» Un chapeau de paille d’Italie » de Labiche, m.e.s. d’Alain Françon

Dimanche 1er juin à 21h sur France 4

Un vaudeville en cavale : Labiche ressuscité par Alain Françon et Vincent Dedienne

Dans un tourbillon de quiproquos et de chapeaux envolés, Un chapeau de paille d’Italie, chef-d’œuvre comique d’Eugène Labiche créé en 1851, retrouve un éclat neuf sous la direction d’Alain Françon au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Mis en scène pour la première fois par ce pilier du théâtre public, le vaudeville se pare ici d’une énergie électrisante, soutenue par la musique en live de Feu! Chatterton et porté par une troupe de comédiens d’exception, avec Vincent Dedienne en Fadinard étincelant.

Le point de départ est aussi absurde qu’irrésistible : le jour de son mariage, Fadinard, jeune rentier parisien, voit son cheval dévorer le chapeau de paille d’une dame surprise en plein adultère dans un bois. Pour sauver l’honneur de cette dernière et éviter un drame conjugal, il doit impérativement trouver un chapeau identique — tout en cachant cette affaire rocambolesque à sa future épouse et à sa belle-famille, fraîchement débarquée de la campagne.

La force de cette mise en scène réside dans son alliance improbable mais réussie entre tradition et modernité. Françon choisit de situer l’action dans les années 1930, dans un décor graphique et épuré, où les corps dansent au rythme de l’électropop du groupe Feu! Chatterton. Anachronique et exaltée, la musique accompagne les déplacements effrénés des personnages, transforme les changements de décor en chorégraphies, et confère à l’ensemble des allures de comédie musicale burlesque.

Vincent Dedienne, vif et nerveux, incarne un Fadinard à la fois dépassé et hilarant, qui court littéralement après son destin. Autour de lui, Anne Benoît (en beau-père candide et tonitruant), Suzanne De Baecque (jeune mariée ingénue et silencieusement expressive) et une vingtaine de comédiens chevronnés tissent la toile d’une société aussi cloisonnée que frénétique. Le jeu s’appuie sur la précision du rythme et du geste : ici, le moindre décalage ferait basculer le burlesque dans la confusion. Heureusement, tout est réglé au millimètre.

Si Un chapeau de paille d’Italie séduit encore aujourd’hui, c’est qu’il conserve une vérité cinglante. Derrière les rires provoqués par les portes qui claquent et les identités embrouillées, se dessine la satire d’un monde bourgeois obsédé par l’argent, l’apparence et le mariage comme transaction sociale. Ce théâtre sans grands discours ni introspection psychologique devient, entre les mains de Françon, une mécanique joyeusement cruelle, qui met chacun face à sa propre absurdité.

Et si le mariage n’était qu’un prétexte à la fuite ? Un leurre d’ordre au cœur du chaos ? Dans le dernier tableau, baigné de parapluies à la Magritte, la pièce se referme comme un rêve étrange — ou un cauchemar domestique. Françon signe ici une relecture à la fois fidèle et libre, légère et lucide. Un chapeau bien porté, décidément.

Hélène Lemoine