Théâtre. Un chant contestataire contre l’exclusion

Par Marina Da Silva —

Avec Faith, Hope and Charity, aux Ateliers Berthier, à Paris, Alexander Zeldin créé un effet de prise de conscience salutaire en partageant la détresse et l’insoumission de ceux que l’on désigne comme exclus.

Une salle des fêtes municipale reconvertie en lieu d’accueil et banque alimentaire où s’égrènent des chaises et des tables. Aux murs défraîchis, des dessins d’enfants. À jardin, une petite cour, où l’on entendra régulièrement la pluie tomber violemment. À cour, des toilettes, et au centre une petite cuisine où Hazel s’affaire et se traîne, soucieuse. Elle porte l’âme du lieu depuis plus de 25 ans avec Pete – qu’on ne verra pas car, malade, il est en train de s’éteindre -, et est bien seule pour se battre contre sa disparition programmée qui menace de mettre à l’épuisement, voire à la mort, la petite communauté d’habitués qui y trouve soutien et solidarité. Sollicité par Pete, Mason est venu en renfort y faire son premier jour de bénévolat. Musicien, il propose de monter une chorale et d’apprendre à chanter à tous ceux qui le souhaitent.

Des histoires de vie naufragées

Ils sont nombreux à pousser la porte du matin au soir mais surtout au moment du déjeuner et du goûter. Il y a là, Tharwa et sa fille, réfugiées soudanaises qui portent le voile, Beth, à qui on a enlevé sa fille à la suite d’un drame que l’on devinera par éclats, et se bat pour la récupérer avec son fils Marc, trop vite grandi, Bernard, sorte de troubadour qui s’est trompé d’époque, Hicham, Anthony, Carl… Tous ont des histoires de vie naufragées, comme Charity qui ne va pas bien et crie parce que « C’est juste que Genre des trucs lourds qu’elle essaie de dégager » – et composent un grand tableau d’humains, en souffrance mais en vie et en lutte, réunis.

Des acteurs professionnels et amateurs

Faith, Hope and Charity, Foi, espoir, charité, écrit comme une fiction, à partir d’une réalité vraie, traduit de l’anglais par Daniel Loayza et mis en scène par Alexander Zeldin, artiste associé au National Theatre of Great Britain de Londres et au Théâtre de l’Odéon, crée un effet de surprise et de souffle avec ce thème et cette approche, qui, produit par de grandes institutions donne une visibilité à des personnes la plupart du temps reléguées hors de l’espace public.

Faith et Charity sont aussi deux des personnages, présents mais fantômes, du récit magistralement interprété par Lucy Black, Tia Dutt, Llewella Gideon, Tricia Hitchcock, Dayo Koleosho, Joseph Langdon, Shelley McDonald, Michael Moreland, Sean O’Callaghan, Bobby Stallwood, Posy Sterling et Hind Swareldahab, des acteurs professionnels et amateurs – dont certains ont traversé ces conditions d’existence – et que le spectateur est mis au défi de distinguer. En particulier dans les scènes de groupe où ils se meuvent et occupent l’espace tous ensemble dans une chorégraphie silencieuse ou vocale magistralement aboutie par le metteur en scène avec la complicité de Marcin Rudy, pour le travail du mouvement.

« La violence sociale est une chose qui dure »

Auteur et metteur en scène prometteur (il est né en 1985), Alexander Zeldin s’est fait reconnaître par le public et par ses pairs avec Beyond Caring en 2014 puis LOVE en 2018. Faith, Hope and Charity est le dernier volet d’une trilogie « sur l’intimité en temps de crise », qu’il a intitulé « Les Inégalités ».

On reconnaît sa filiation avec Peter Brook, dont il a été l’assistant, dans l’épure et la rythmique. Il ne commente ni ne dénonce mais cisèle la présence et la parole de chacun. Il porte esthétiquement à la scène une réalité sociale qu’il a longuement étudiée et vécue sur le terrain, notamment dans sa découverte d’un centre communautaire de Sheffield où des gens venaient chercher à manger et chantaient ensuite ensemble. Une expérience qui a donné la trame de la pièce pour montrer cette réalité de dénuement et de violence sociale qu’il installe en quatre actes comme en quatre saisons « parce que la violence sociale est une chose qui dure ».

Surtout dans un pays, le Royaume-Uni où l’austérité est le programme politique – que l’on peut décalquer dans toute l’Europe –, où depuis 2010, le gouvernement a opéré des coupes de plus de 30 milliards de livres sterling dans les prestations sociales, où, au cours des cinq dernières années, le recours aux banques alimentaires au a augmenté de 73 %.

La pièce s’est fabriquée pour et avec ses acteurs, merveilleux de poésie et d’humour, transcendant dans leur insoumission et leur appétit de vie un destin qui n’est pas écrit pour toujours et contre lequel ils entendent se battre dans la métaphore d’un grand concert collectif.

Elle vient aussi rappeler – les acteurs portant des masques pour marquer le passage de l’extérieur à l’intérieur – que « Le virus a montré que nous n’étions pas tous égaux face à la crise ».

 

Festival d’Automne à Paris, jusqu’au 26 juin.

En anglais, surtitré

Ateliers Berthier 1, rue André Suares Paris 17e

Tél. : 01 44 85 40 40

Puis du 1er au 4 juillet, au Wiener Festwochen (Vienne, Autriche).

 

Source: L’Humanité.fr