Sony Labou Tansi, la « douce morsure du langage »

sony_labou_tansiSony Labou Tansi, Encre, sueur, salive et sang, avant-propos de Kossi Efoui, édition établie par Greta Rodriguez-Antoniotti, septembre 2015.

Né en 1947, mort prématurément à Brazzaville le 14 juin 1995, Sony Labou Tansi était une figure de proue de la jeune littérature africaine. Il a laissé derrière lui six romans – tous publiés au Seuil – ainsi que des pièces de théâtre, des poèmes, des essais critiques. Relus aujourd’hui, tous ces textes apparaissent d’une actualité plus que jamais brûlante. Lorsqu’il dénonce la « poudrière incontrôlée » qu’est devenue la planète, ou l’avènement du « grand marché de la misère et du dénuement », et son corollaire, la fabrique d' »un réservoir de terroristes et de désespérés », ses propos s’inscrivent dans l’ici et le maintenant. Debout et libre, Labou Tansi se définissait comme un « proscrit idéologique ». Le vingtième anniversaire de sa disparition sera l’occasion, pour Le Seuil, de mettre en avant deux de ses romans majeurs – La vie et demie (1979) et L’anté-peuple (1983) – et de faire connaître le mouvement de sa pensée à travers un recueil de textes pour la plupart introuvables ou inédits, réunis par Greta Rodriguez, spécialiste de son oeuvre.

Lire un extrait d’Encre, sueur, salive et sang (Seuil, 2015).

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Sony Labou Tansi, la « douce morsure du langage »

— Par Sophie Joubert —

Un recueil publié à l’occasion des vingt ans de sa mort rappelle que l’écrivain congolais était aussi un penseur incisif et un essayiste pertinent.

Encre, sueur, salive et sang, de Sony Labou Tansi, avant-propos de Kossi Efoui. Seuil, 208 pages, 17 euros. Sony Labou Tansi avait la « folie de nommer ». Le Seuil, éditeur de ses romans, a eu la bonne idée de rassembler des préfaces, lettres, conférences ou entretiens. Présentés dans l’ordre chronologique, ces textes dits et écrits, souvent brefs, témoignent d’abord de l’extraordinaire liberté de l’auteur de la Vie et demie et de l’Anté-peuple. Comme Césaire, qu’il admirait, il était à égalité « un poète, un penseur et un homme ». Un homme avant tout, « largué dans ce monde obscur » et dans un « siècle foiré », qui refusait les assignations géographiques, linguistiques, ethniques ou littéraires.

sony_labou_tansi-1Né en 1947, Sony Labou Tansi commence ses études au Congo belge et est alphabétisé en kikongo, une des quatre langues nationales de l’actuelle République démocratique du Congo. Dans J’ai dû apprendre un peu le français en courant, extrait d’une intervention prononcée devant des étudiants de l’université de Brazzaville, il raconte que son oncle l’a changé d’école pour qu’il apprenne le français, une langue qui l’ennuyait et dans laquelle il a finalement choisi d’écrire « parce que c’est en cette langue que se font les diplômes en littérature et polémique littéraire ».

Les trois piliers du recueil sont la politique, l’écriture et le théâtre, pour lequel il a rédigé une quinzaine de pièces. « Faire du théâtre pour moi (…), c’est répéter la vie par le biais d’un assassinat : l’assassinat perpétuel du mensonge », explique le fondateur du Rocadu Zulu Théâtre dans le Grand Rire énorme de l’histoire. La littérature et le rire pour contrer la « division tragique entre les nantis qui ont tout de tout et les rigolos de la périphérie ». Les mots claquent, tapent juste, l’invention est présente à chaque ligne. La voix de Sony Labou Tansi est un « cri intérieur » qui dévoile par les mots ce qui fait mal.

Il avait été élu député de Brazzaville en 1992. C’est d’abord en poète, voyant rimbaldien plutôt que visionnaire, puis en homme politique qu’il interpelle François Mitterrand et Jacques Chirac sur le nécessaire respect de la tradition humaniste de la France, le devoir d’ingérence, l’échec de l’aide au développement et la tolérance coupable envers les dictatures africaines. Plus de quarante ans ont passé depuis la rédaction du premier texte (1973), mais ses analyses concernent malheureusement notre présent tragique. L’Europe qui exclut, le mépris pour l’Afrique qui « demeure pour l’Occident une curieuse bête velue », voire un « réservoir de terroristes », le colonialisme qui imprègne encore les esprits.

La révolte était son métier. On aimerait qu’il soit encore vivant pour réagir aux dérapages de certains hommes politiques et intellectuels d’aujourd’hui, leur rétorquer que « le racisme est un manque d’imagination ». Penseur incisif, Sony Labou Tansi revendiquait le droit à la folie. « Bien nommer revient pour l’écrivain à introduire le doute », disait-il. C’est déjà beaucoup.

Sony Labou 
Tansi est mort 
du sida en 1995, 
à 48 ans, au congo-Brazzaville. 
Le dernier festival des francophonies en Limousin 
lui a rendu 
hommage.

L’Humanité.fr

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