SNCF : derrière le statut, des enjeux économiques, sociaux et environnementaux

— Par Léo Charles et Sabina Issehnane —

Le 15 février 2018, Jean-Cyril Spinetta a remis un rapport au Premier ministre intitulé « l’avenir du transport ferroviaire ». Ce rapport préconise de « recentrer le transport ferroviaire dans son domaine de compétence », de « créer les conditions d’un retour à l’équilibre économique » et de « préparer l’ouverture à la concurrence ». Cette ouverture s’inscrit dans la grande vague de libéralisation des industries de réseaux, comme l’électricité, le gaz, les télécommunications, le transport aérien ou encore La Poste. Ces industries s’appuient sur des infrastructures dont le coût est élevé, si bien que leurs opérateurs en situation monopolistique de fait étaient traditionnellement publics.

La SNCF était jusqu’en 1982 une société d’économie mixte à laquelle l’État avait concédé son réseau ferroviaire. La loi d’orientation des transports intérieurs, dite Loti, a introduit à cette date un droit au transport, celui « de se déplacer dans des conditions d’accès raisonnables, de qualité et de prix ainsi que de coût pour la collectivité, notamment par l’utilisation d’un moyen de transport ouvert au public ». Elle garantit ainsi ce droit pour tous et consacre le réseau ferroviaire comme un service « d’intérêt général ». Son article 18 a institué le monopole de la SNCF pour le trafic voyageur en ces termes : « Il est créé, à compter du 1er janvier 1983, un établissement public industriel et commercial qui prend le nom de Société Nationale des Chemins de Fer Français. Cet établissement a pour objet (…) : d’exploiter les services de transport ferroviaire de voyageurs sur le réseau ferré national ; d’exploiter d’autres services de transport ferroviaire. ». À l’inverse, la création du Marché commun a conduit à une accélération de la réglementation européenne visant à libéraliser la plupart des secteurs des industries de réseaux, autrement dit des services assurés par des entreprises publiques. Ainsi, depuis l’Acte unique européen signé en 1986, nombreux sont les secteurs qui ont été ouverts à la concurrence en Europe. De 2001 à 2016, quatre « paquets » ferroviaires ont été adoptés par l’Union européenne pour ouvrir à la concurrence d’abord le fret, puis le transport international de voyageurs et enfin le transport national de voyageurs. Ils ont conduit à l’adoption de directives européennes qui seront traduites dans le droit des pays de l’Union européenne. Le gouvernement prétend que l’ouverture à la concurrence découle de la seule obligation des directives européennes, or ce sont les gouvernements français successifs qui ont accepté ces directives. Ces mêmes gouvernements n’ont pas réclamé que le transport ferroviaire soit considéré comme un service public, étant donné son rôle dans l’aménagement du territoire, de ses obligations en matière de transport des voyageurs, notamment son obligation de desservir tous les usagers sur l’ensemble du territoire français. La libéralisation fait en effet courir le risque que les concurrents privés se réserveront les liaisons rentables – les voyages d’affaires, les grandes villes – tandis que la SNCF garderait les lignes déficitaires. C’est notamment le cas de l’Italie, avec NTV-Italo (la société privée créée en 2006 faisant concurrence à Trenitalia) ne desservant que les principales villes du centre et du nord du Pays, sur les seuls réseaux grande vitesse…

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