« Serge Letchimy exige le titre de Président de la collectivité de Martinique »

— Par Yves-Léopold Monthieux —

Ainsi se manifeste l’expression d’une des nombreuses carences contenues dans les statuts de la collectivité territoriale de Martinique (CTM). Ces dysfonctionnements sont nés de l’entrée par la fenêtre de l’article 73 de la nouvelle collectivité de dispositions prévues au titre de l’article 74, que les électeurs martiniquais avaenit sorti par la porte. Aussi, l’ancien président de la région Martinique qui se laissait volontiers appeler Président de ou « of » Martinique, paraît se trouver à l’étroit dans le rôle de Président-du-conseil-exécutif-de-la-collectivité-départementale-de-Martinique. En effet en plus de l’aspect rébarbatif de l’appellation, il s’agit, y compris pour la Martinique, d’un recul de notoriété. Cependant, en visant d’abord cette dénomination, Serge Letchimy reconnaît tout à coup que « de nombreux aspects politiques (sic) de son fonctionnement quotidien restent à éclaircir. »

Il n’a pas hésité à commencer par son statut propre en invitant les députés à « préciser le rôle du président du conseil exécutif, en qualité de président de la collectivité territoriale de Martinique (sic) ». Certains y voient une maladresse, d’autres de l’assurance et même de l’audace. Reste que le geste n’est pas sans violence pour le président de l’Assemblée qui est rappelé à la réalité : une présidence bicéphale n’est possible que pour l’exécutif. Ce n’est pas le cas pour la CTM dont le président de l’Assemblée n’est pas à la tête d’un exécutif. L’exemple type est le couple exécutif français formé par le président de la République et le premier ministre, et non par l’un des deux et le président d’une assemblée. Aussi, derrière le style abscons de la proposition présentée à l’Assemblée nationale par Mme Manin, il s’agit de donner une enveloppe juridique à une réalité incontestable. Quel que soit le titulaire de la fonction, le PCE est structurellement le véritable patron de la collectivité. Sauf la surprise de l’intervention qu’il aurait pu exprimer plus tôt, Serge Letchimy a raison de confirmer une thèse que votre serviteur a défendue dans une immense solitude pendant la présidence d’Alfred Marie-Jeanne. J’ai presque toujours nommé ce dernier : « président de la CTM ». Cependant par la phrase contenue dans le projet, « cet amendement, proposé par la collectivité territoriale de Martinique, vise… », il estime devoir, de façon fort peu démocratique, représenter à tout seul la collectivité. La méthode interroge.

Moins spectaculaire, le premier point de l’intervention de Mme Manin est plus significatif sur le plan de l’idéologie politique. Le Président Letchimy a besoin du titre qui lui permettra de conduire l’institution « au-delà d’une simple fusion des niveaux d’action départemental et régional. » Pour ceux qui, à regret ou non, doutent de la sincérité des idées du président du PPM, la seule expression « ingénierie institutionnelle » pourrait contenir sa détermination à faire avancer le mot d’ordre d’autonomie. Ne pouvant atteindre cet objectif par l’expression populaire, il semble vouloir contourner la volonté des électeurs et susciter une décision du gouvernement. La consultation du peuple ne serait plus à l’ordre du jour.

L’architecture de la CTM et les pouvoirs qui en découlent confèrent au triple président du Parti progressiste martiniquais, de la Collectivité territoriale et momentanément des Régions ultrapériphériques d ‘Europe un statut politique inégalé. On le présente souvent comme le maître de tout ce qui bouge en Martinique : élus, presse, associations, corporations et autres comités Théodule. Il peut compter sur la faiblesse de l’opposition, une majorité silencieuse qui a perdu le souffle, enfin, sur 7 longues années de présidence. Il n’est pas jusqu’à la triple crise actuelle, sanitaire, sociale et par-dessus tout politique, qui ne paraisse lui être favorable. Quoi qu’il en soit, le désir légitime de reconnaissance exprimé par le président Letchimy ne peut pas se voir en dehors de sa volonté de faire évoluer la CTM, répétons-le, loin de la volonté populaire.

Fort-de-France, le 12 janvier 2022

Yves-Léopold Monthieux.