Saint-Barthélemy : Le massacre des voisins

24 août 1572

À l’été 1572, un mariage censé apaiser les tensions religieuses allait précipiter la France dans l’un des épisodes les plus sombres de son histoire. Catherine de Médicis, reine-mère, pense alors sceller la paix entre catholiques et protestants en mariant sa fille Marguerite de Valois à Henri de Navarre, chef du camp réformé. Mais cet espoir de réconciliation se heurte à des années de haine accumulée.

Le 18 août, Paris fête cette union royale. Pourtant, derrière les façades illuminées du Louvre, l’équilibre est déjà rompu. Quatre jours plus tard, un attentat vise l’amiral de Coligny, chef de file protestant. Craignant une riposte, la Cour, dans la panique, ordonne l’élimination des principaux chefs huguenots. Le massacre commence dans la nuit du 23 au 24 août.

Ce que l’histoire a retenu comme la Saint-Barthélemy ne fut pas qu’un déchaînement spontané de violence : c’est une explosion qui couvait depuis longtemps. Loin d’un acte isolé, il s’agissait d’un massacre de proximité, minutieusement préparé par des années de stigmatisation, de dénonciations, de violences tolérées. Jérémie Foa, historien, montre comment, dès les années 1560, les protestants étaient fichés, surveillés, repérés. Le geste meurtrier de 1572 ne fut qu’une étape finale : les tueurs savaient déjà où frapper.

Ce ne sont pas seulement des soldats ou des fanatiques qui ont tué. Ce sont souvent des voisins, parfois même des proches, qui ont frappé à la porte de ceux qu’ils côtoyaient au quotidien. Cette violence, terrifiante par son intimité, rappelle les génocides plus récents, comme au Rwanda ou dans l’ex-Yougoslavie, où les relations personnelles furent retournées en armes. Une fois l’ordre donné — ou perçu comme tel — la parole de l’État a ouvert la voie à l’horreur.

À Paris, on compte 3 à 4 000 morts, mais la vague de tueries s’étend rapidement en province, portant le bilan à environ 10 000 victimes. Partout, les autorités locales font des choix : certains notables protègent les protestants, d’autres ferment les yeux, d’autres encore dirigent la chasse.

Ce massacre ne fut pas seulement une crise politique : il marqua les corps et les esprits. Les cadavres mutilés, castrés, jetés dans la Seine, traduisent une volonté d’anéantissement symbolique. Détruire le visage de l’autre, c’était le priver de son humanité, créer une différence radicale là où il y avait trop de ressemblance.

Le traumatisme fut immense. Les fosses communes, les scènes d’épouvante, les silences coupables. Dans les tragédies écrites peu après, comme La Troade de Robert Garnier, transparaît l’horreur impossible à dire : « Penser ce que j’ai vu m’affole », y gémit un personnage. La Saint-Barthélemy hante encore la mémoire collective française, non seulement pour sa cruauté, mais pour ce qu’elle dit de la capacité des sociétés à basculer dans la violence.

Les archives exhumées aujourd’hui, les noms enfin restitués aux victimes anonymes, les réflexions nouvelles sur les dynamiques de voisinage, d’amitié trahie, montrent à quel point cette page d’histoire reste actuelle. Car derrière chaque massacre, il y a toujours un visage familier.

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‘Un matin devant la porte du Louvre’ (tableau 1880) / Catherine de Médicis dévisage les cadavres de protestants au lendemain du massacre de la Saint-Barthélémy. – Édouard Debat-Ponsan (1847–1913) (WikiCommons musée d’art de Clermont-Ferrand)