Saccage à Martinique 1ère

— Par Georges-Henri Léotin —

Martinique 1ère a décidé de retirer de ses programmes 3 émissions-radio : Tout lang sé lang de Daniel Boukman, Farin cho de Sully Cally, et La nature aux Antilles d’Alain Delatte. Le point commun entre ces émissions : elles ont un rapport à la langue et à la culture créole, elles sont animées par 3 figures importantes du monde culturel antillais.

Tout lang sé lang existe depuis une dizaine d’années. Comme son nom l’indique, elle vise à la reconsidération et la promotion du créole, dans sa dimension de langue littéraire en particulier, même si, dans ce dernier domaine, elle n’a pas encore « fait éclore la succulence de tous ses fruits pour la soif universelle ». Daniel Boukman donne des extraits d’œuvres, des traductions de classiques (fables p.ex.) qui font dialoguer les différents créoles. Dans ce sens Tout lang sé lang était un complément utile des chroniques de Littérature au quotidien d’André Lucrèce.

Jean Bernabé parlait de la nécessité urgente d’une recréolisation, d’un combat déterminé pas tant pour la survie mais pour regénération d’un bon créole. Même s’il semblait avoir abandonné, pour l’écriture, la notion de déviance maximale, il soulignait l’impératif d’une refondation lexicale allant de pair avec une défense de ce qui fait la structure syntaxique du créole (phénomène de duplication : p.ex. : « sé manjé man ka manjé » / rivé man rivé / bagay la man té ba’w la etc). Dans ce combat de reconquête, outre l’école, il y un rôle capital de la transmission générationnelle : sans jeu de mots, souvent notre grammaire ce sont nos grand-mères et grands-pères ; nos dictionnaires aussi, fréquemment, nos parents et grands-parents. C’est donc une nécessité que les émissions en créole soient plutôt confiées à des séniors, ces bibliothèques vivantes. Ce sont les vieux, les « premiers de cordée », les « bois-dressés » pour maintenir à flot la yole créole Même s’il ne faut pas nier l’apport des jeunes dans le vocabulaire : j’ai appris benndo (maison abandonnée, squatt) en écoutant Kalash ; et le monde du ragga nous a donné djunmpi, mistik (bizarre), wataponmpi (=manawa), pa dig, pa fann….

Daniel Boukman a contribué à remettre en circulation l’expression « A anlot soley » (orivwè), et le titre même de son émission (calquée sur Tout moun sé moun) est devenu proverbe et comme drapeau de tous ceux qui affirment l’égale dignité des langues et leur droit au respect.

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Dans la même période où s’opérait ce saccage à Martinique 1ère, un ancien collègue (Pierre Philippi) me faisait parvenir une analyse d’un poème de Césaire (Comptine). Philippi écrivait : « J’ai voulu montrer que la poésie césairienne est dans sa facture un cri surréaliste, mais surtout une poésie lyrique de protestation, celle du constat amer, mais ô combien vrai, de notre humiliation historique, afin de nous persuader d’assumer notre déshérence, car ce tragique constat, cet état des lieux, pour ainsi dire, est la condition indispensable de notre libération future ».

Voici quelques extraits du poème au titre si rassurant : « Cage et marécage / …ce rapt /ce sac / ce vrac / cette terre… »

Dan tjek jou, nou ké gloriyé Romain ki bat tanbou pou gran gaoulé 22 Mé a. Men pandan tan an, Martinique 1ère , ni 3 tanbou – nou, yo di yo :  !

Georges-Henri Léotin.