Ravi Shankar, sitar dans la nuit

Par FRANÇOIS-XAVIER GOMEZ

Disparition. Emblème de la musique indienne, l’instrumentiste, qui avait notamment collaboré avec Satyajit Ray et influencé les Beatles et les Rolling Stones, est mort à 92 ans.

Etrange instrument que le sitar, ce luth pansu au manche démesuré qui, à partir de son ancêtre médiéval, le setâr iranien, s’est développé en ajoutant des cordes aux trois originelles : cordes de bourdon (qui jouent une seule note en continu), et cordes sympathiques, qui entrent en vibration quand on pince les cordes principales. Un peu comme le travail de Ravi Shankar est entré en résonance avec la génération hippie, faisant de lui la première star non occidentale de l’ère rock.

Lors de ses séjours en France, Ravi Shankar aimait évoquer ses souvenirs de Paris, où il avait débarqué en 1930 dans les bagages de son frère Uday Shankar et de sa compagnie de danse. Ravi n’avait que 10 ans, il chantait et dansait sans être vedette. Dans sa passionnante autobiographie (1), le musicien, né à Bénarès en 1920, mentionne son école du XVIe arrondissement, l’appartement où les amis de passage s’appelaient Paderewski, Chaliapine, Casals, Segovia… Il liait aussi Paris, où il vécut trois ans, avec sa passion pour le cinéma. Son acteur préféré était le fantaisiste Milton, «le joyeux Bouboule».

La compagnie comptait dans ses rangs un polyinstrumentiste et compositeur hors pair, Allauddin Khan, réputé pour enseigner le sitar à coups de trique. C’est pourtant lui que Shankar choisit comme gourou pour apprendre la tradition de l’Inde du Nord, quand il rentre au pays après trois ans de tournée.

Spiritualité. Issus de la caste des brahmanes (prêtres), Ravi Shankar et ses frères appartiennent à la classe privilégiée, mais leur père, avocat qui a déserté le foyer, ne les a pas élevés. Allauddin Khan sera un père de substitution pour Ravi. Auprès de cet homme intransigeant, il fait le long apprentissage des tâlas (formules rythmiques) et des ragas (modes).

C’est d’abord vers la composition que s’oriente sa carrière, à la radio nationale et, plus tard, au cinéma. En 1952, le violoniste Yehudi Menuhin, de passage à Delhi, le découvre et n’en croit pas ses oreilles. Ses efforts pour le faire jouer aux Etats-Unis aboutissent en 1955. L’année suivante, il enregistre des 33 tours à Londres, et se produit au musée Guimet à Paris. En Inde, il compose la bande-son des premiers films de Satyajit Ray, la trilogie d’Apu (entre 1955 et 1959), au succès mondial, mais aussi le Salon de musique (1958) dont la tardive sortie française, dans les années 70, sera un choc pour les cinéphiles.

Transmise par les disques, l’irréelle sonorité du sitar séduit ceux que la lecture de Siddhartha, d’Hermann Hesse, a initiés à la spiritualité indienne. Le monde de la pop music en premier lieu : les Beatles introduisent l’instrument dans Norvegian Wood en 1965, les Rolling Stones un an plus tard avec Paint It Black. Shankar est convié au festival de Monterey, en Californie, en 1967, avant d’être sacré rockstar à Woodstock en 1969. George Harrison sera le Beatle le plus assidu, puisqu’il produira ses disques et l’invitera au Concert for Bangladesh à New York en 1971.

12 décembre 2012 à 22:16 (Mis à jour: 13 décembre 2012 à 10:47)

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