Qu’est-ce que la culture aujourd’hui ?

— Par Roland Tell —

Il est de plus en plus évident que l’école ne constitue plus le lieu unique de la référence culturelle. Car la culture, ce sont des connaissances, certes, mais ce sont aussi les réseaux capables d’organiser celles-ci, de les intégrer dans un système donné de références. Les réseaux conceptuels donnent à ces connaissances une structure. C’est pourquoi on peut avancer qu’un homme cultivé est un homme intégrateur, un homme qui intègre donc à un réseau consistant, préexistant en lui, les éléments nouveaux, que lui apporte l’expérience.
Autrefois, l’école traditionnelle fournissait les connaissances, en même temps que les réseaux. Aujourd’hui, il n’en est plus de même ! En ce qui concerne les connaissances, l’école est dépassée, de toutes parts, par le foisonnement, par la démultiplication de ce que le cybernéticien Abraham MOLES a appelé des culturèmes, c’est-à-dire des petits éléments de culture, dispersés et reçus, de manière aléatoire, par les micro-climats humains, en provenance des médias, des émissions de télévisions, des films, d’internet, des réseaux sociaux, etc.. N’est-ce pas là ce qu’on appelle l’école parallèle ? Ne fournit-elle pas, elle aussi, des éléments intégrateurs, notamment à la jeunesse actuelle ?
L’école d’aujourd’hui, à travers ses programmes et ses disciplines, peut-elle lutter avec l’école parallèle, en ce qui concerne les connaissances? A vrai dire, il lui faut mettre de l’ordre dans cette masse considérable d’acquisitions de toutes natures, mais en a-t-elle le temps et les moyens? Par conséquent, notre école manque aujourd’hui la culture vécue, puisqu’elle n’assure pas l’intégration des connaissances, dont dispose en fait ses élèves. De plus, elle manque la culture, parce qu’elle ne l’appelle pas sous sa forme fonctionnelle, par exemple à la Martinique, s’agissant de la langue et des traditions créoles. Car la culture d’aujourd’hui, c’est la conjonction du savoir et du réseau.
La culture encore, c’est la communication régulatrice. Elle institue entre les individus une communication régulatrice. En ce sens, c’est le langage, comme moyen d’expression, quel qu’il soit : langue parlée, sms, textes, photos, vidéos sur Whatsapp, messages et images numérisés, langue mathématique, dessin industriel, image, symbole, etc.. Quand la communication est régulatrice et exclusive à un groupe ( exemple : les réseaux sociaux ), elle coupe ce groupe des autres. Ceux qui ne participent pas au groupe culturel sont considérés comme étrangers à la culture. Cette fonction peut donc avoir un aspect négatif, en ce sens qu’elle peut être l’exclusion des individus ou des groupes, qui n’entrent pas dans ce système de communication et de régulation ( par exemple, les parents par rapport à certains réseaux sociaux ).
Par conséquent, la culture, en tant que moyen de communication, peut être le moyen de défense d’un groupe. Vu sous cet angle, il peut y avoir même une défense des vocabulaires, défense du milieu culturel, dans lequel, s’instaurent ces vocabulaires spécialisés, et les moyens spécifiques de communication. Le groupe particulier, qui accède à cette culture, considère celle-ci comme défendant ses propres valeurs, auxquelles il souhaite donner un caractère d’universalité. Ainsi la culture du groupe dominant se pose comme universelle, et fait apparaître les autres groupes comme des sortes de manque, d’approximation. A remarquer, de plus en plus, que cette fonction de défense est, sociologiquement, celle de la culture des masses.
L’école d’aujourd’hui ne doit pas se faire la complice de ces mouvements de défense et de dissociation, à travers leurs contenus culturels. Elle doit se donner comme but une culture de communication entre tous les citoyens d’un pays démocratique, sans qu’il y ait introduction de facteurs de dissociation. C’est une nécessité idéologique profonde ! Car, en général, la culture n’unit pas les hommes, elle les divise, du fait qu’elle crée, de plus en plus, des milieux culturels, excluant ce qui est « autre », comme « étranger ». L’école n’est-elle pas le reflet des valeurs et des attitudes, incarnées par le système économique et par la société globale ? Elle doit s’attacher à dominer les cloisonnements, et viser l’intelligence des élèves, leur développement créateur, car il y a de moins en moins de savoirs finis et capitalisables. C’est ainsi que l’axe d’évolution du monde moderne tend à transférer la mémoire à l’extérieur du cerveau humain, et ce qui devient important, c’est la manière de construire des mémoires, de se placer dans un processus d’auto-création irréversible, en donnant aux élèves les moyens de découvrir les structures eux-mêmes, à partir d’une offre permanente d’expériences individuelles et sociales, extrêmement riches de possibilités inductrices. L’école doit devenir une « vie concentrée », un milieu d’expériences, où la méthode prend le pas sur le contenu, à partir des technologies éducatives, des stations numériques d’interrogations collectives, où l’ordinateur s’illustre par sa grande puissance de diagnostic automatique et de traitement de l’information.
Le présent actuel étant beaucoup plus ouvert vers l’avenir, donc plus ouvert vers les possibles et les changements, que le présent d’autrefois, les élèves de 2017 en école élémentaire, devenus plus tard adultes, devront faire face à des catégories de compréhension très vastes, et probablement assister à d’autres révolutions technologiques. C’est pourquoi, étant eux-mêmes des êtres indéfiniment inachevés, il importe de lier leur éducation scolaire à ce caractère inachevé. Quant à la culture, elle est déposée hors d’eux, dans les produits culturels. C’est pourquoi elle est constamment recréée et reprise, de manière permanente, parce que de plus en plus pauvre se fait le savoir humain. Aussi importe-t-il à l’homme de chercher toujours les frontières de la connaissance ! Car, comme le dit Gaston BERGER, dans  » L’homme moderne et son éducation »:
 » Toute culture est prospective. Elle n’est point la stérile évocation des choses mortes, mais la découverte d’un élan créateur, qui se transmet à travers les générations, et qui à la fois réchauffe et éclaire. C’est ce feu, d’abord, que l’Éducation doit entretenir. »

ROLAND TELL