Quand on aime (le théâtre), on a toujours 20 ans

 — Par Roland Sabra —

Un des bonheur de chroniqueur de théâtre est de faire une découverte. Un soir comme ça, vous prenez votre voiture pour affronter les embouteillages, les chauffards, la pluie, la route glissante et la nuit tombante. Une heure pour faire moins de 30 kilomètres, en conduisant vous pensez non pas à la mort de Ivan Illitch mais à Ivan Illich le sociologue écologiste qui avançait que si l’on additionnait au temps passé dans nos bagnoles le temps de travail nécessaire à leur achat et à leur entretien pour diviser la distance parcourue, la vitesse obtenue serait telle qu’on achèterait tous des vélos. Bref, vous êtes un peu morose en allant au Festival de théâtre amateur de Trinité. Vous avez beau être ravi de l’initiative, vous déplorez l’absence quasi totale de communication autour de l’évènement et pour clore le tout vous vous dites que vraiment la municipalité aurait pu investir un minimum dans l’amélioration de la salle et qu’il s’agit là de la part des édiles d’une opération « low coast« . Et comme il se doit, le spectacle commence avec une bonne demi-heure de retard sur l’horaire prévu. Et vous voyez arriver sur scène, une troupe de seniors, de troisième âge qui pendant une heure trente va vous emporter dans une histoire dont l’argument est d’une banalité désarmante mais dont le récit est d’une toute autre facture.

Un couple de Martiniquais, au fin fond d’un morne, élève un garçon, Youyou, qui s’engage soldat. Pendant les quatorze ans de son enrôlement il n’écrit pas, disparaît lors d’un engagement, les parents reçoivent une lettre annonçant non pas sa mort mais qu’il est porté disparu. , Il revient enfin au domicile parental, méconnaissable en véritable « gueule cassée ». Un enfant part soldat, disparaît et revient mutilé. Vous avouerez qu’il n’ y a pas de quoi se tenir les côtes de rire. Vous êtes prêt à penser que le critique de théâtre doit être un peu masochiste d’avoir fait tout ce chemin, dans les conditions déjà décrites pour s’infliger une histoire aussi triste. Et bien détrompez vous. « Atifi » la pièce écrite en créole, par Josie DESCAS et mise en scène Émile PELTI est un petit bijou de théâtre amateur. Ils ont opté pour le burlesque, proche par moment de la farce, pour nous raconter des tranches de vie, prises sur le vif, tout droit sorties des livres de familles, de ce qu’étaient il n’y a pas si longtemps la vie là haut sur les mornes de Martinique. Il y a sur scène la factrice, porteuse des bonnes et des mauvaises nouvelles mais aussi de petites affaires qu’elle rapporte de la ville, il y a la marraine un pied dedans un pied dehors, la maquerelle qui fait plus qu’aguicher le père, sous le regard de la mère, le garde-champêtre ou gendarme, le maire, les commères, bref le voisinage sans lequel il n’y a pas de vie sociale possible. Toutes les relations qu’entretiennent ces personnages bien que caricaturées à souhait sont plus vraies que nature et c’est de ça dont on rit de bon coeur. A tel point que par moment on se demande : Mais comment ose-t-on rire de nouvelles aussi dramatiques que celles de la disparition d’un enfant? Un théâtre qui nous fait rire sur un fond d’histoire triste à mourir, voilà la performance, car c’en est une de cette troupe, dont on imagine que certains résident à la maison de retraite de l’Ajoupa-Bouillon. Il était cocasse de voir cabotiner sur scène comme une prima donna débutante une mamie, dont on taira l’âge mais qui est à coup sûr arrière grand-mère ! Et le public de participer à l’action, de devenir spect-acteur. Quand le fils revient méconnaissable, la salle qui a aboli depuis belle lurette la distance de la représentation, qui ne fait plus la distinction en fiction et réalité, souffle au père décontenancé pour l’aider : « Mè cé youyou ki la !». Le spectacle est monté sur les gradins.

La scénographie d’une belle simplicité, des fleurs, Martinique oblige, était accompagnée d’une recherche soignée sur les costumes. Émile Pelty donne le sentiment de ne rien laisser au hasard et surtout d’aimer ses comédiens amateurs. Par exemple, le gendarme, rôle sans texte est tenue par une femme qui en quelques mimiques et quelques gestes accroche le regard du public et rend sa présence sur scène justifiée. La représentation a été suivie d’un long et bel échange entre le public et les comédiens, comme s’il était difficile de quitter la famille.

Et le critique de refaire la route dans l’autre sens, plus léger, moins fatigué qu’à l’aller, ravi d’avoir passé une agréable soirée.

La veille au soir Jandira De Jesus Bauer présentait outre une petite partie de ses ateliers de théâtre avec des moins de vingt ans, un travail avec des enseignants, « Brèves de comptoirs » de bonne tenue. Son style, elle en a un, est assez reconnaissable à tel point que par moment on souhaiterait qu’elle nous surprenne davantage.

Que dire par contre de « Astralement vôtre« ? L’atelier théâtre « Pa vini kon sa » de Rose Séjean présentait un  texte de Dominique Eulalie que l’animatrice de l’atelier mettait en scène avec l’aide de Bérard Bourdon. Dans une boutique d’antiquaire, la tenancière de l’échoppe, son assistante, une cliente un peu fêlée et une chalande interlope  vont batailler autour d’une psyché demeurée jusque là invendue. Comme très souvent dans les travaux d’amateurs, la bonne volonté est présente, mais hélas elle ne suffit pas. Le travail, malgré les conseils de Bourdon, donne l’impression d’avoir été réalisé dans le plus parfait isolement, sans regard extérieur, sans critique. La scène encombrée d’accessoires dont la plupart sont inutiles est réduite de telle sorte que la gestuelle des comédiennes se limite à des levers de bras en faisant les cents pas, agrémentés de trois ou quatre morceaux de hoola-hop. Cela ressemble , sans méchanceté, à du théâtre de colonies de vacances. Il y a pourtant des rôles, celui d’Agathe notamment, qui pouvaient donner lieu à de véritables compositions, mais la direction d’acteurs, le sens du plateau sont inexistants. C’est à ce moment là que l’absence de mise en réseau, des compagnies d’amateurs se fait le plus cruellement sentir.

En clôture Jacques-Olivier Ensfelder présentait les désormais célèbres  » Monologues du vagin« . Jacques-Olivier Ensfelder  est un ancien élève de l’école supérieure d’art dramatique de paris, il a joué dans de nombreuses pièces de théâtre à la télévision et au cinéma. Prix du meilleur acteur au festival caribéen du court métrage, et prix du scénario d’outre mer organisée par RFO aux festivals de Cannes, il s’adonne à l’écriture et a publié deux recueils de poèmes aux éditions Librairie Galerie Racine. Il est aussi intervenant en milieu scolaire agrée DRAC et Education Nationale, et professeur d’art dramatique. Un homme du métier en quelque sorte. La pièce de Eve Ensler a  beau avoir fait le tour du monde, été jouée des milliers de fois, mise en scène pas loin d’une centaine de foi, elle garde une charge corrosive absolument délicieuse. Ensfelder a choisi de représenter sur scène le bureau de l’auteure, dans lequel vont défiler les femmes venues témoigner des rapports qu’elles ont avec leur sexe, leur vulve, leur vagin, etc. ( la liste et longue et c’est d’ailleurs l’objet d’une saynète très drôle) de ce qu’elles en  font, de ce qu’elles attendent que les autres autres, hommes ou femmes, en fassent, et d’un façon plus générale de la considération due à cette partie de leur anatomie. L’éventail des cas représentés est assez large pour plonger le spectateur de l’hilarité la plus grande à la gène la plus extrême quand une femme bosniaque vient faire état des viols systématiques qu’elle a subis, lors de la dernière guerre qui déchira ce que fut la Yougoslavie. Il y a aussi cette narration d’une femme fontaine, qui lorsque les émois sont trop fort se met à couler, et qui devant ce flot de plaisir, à peine métaphorique, décide de stopper toute activité sexuelle jusqu’au jour où… Il ya la motarde homosexuelle qui dédie sa vie au plaisir des femmes qu’elle a décidé de faire jouir, il y a la militante de l’orgasme à plein temps, il y a, il y a…

Les prestations sont inégales, les répétitions ayant eu lieu dans un espace fermé, étroit, la première sur le plateau a connu quelques difficultés, placement hasardeux des comédiennes qui elles-mêmes avaient du mal à placer leur voix par moment inaudible, maladresses de débutantes qui en se déplaçant au hasard  croyaient occuper le plateau auquel elles n’étaient pas habituées, toutes ces imperfections n’ôtaient en rien au plaisir du spectacle. Les techniciens se battaient, comme toujours dans cette salle, avec les lumières, qui n’ont jamais été refaites depuis des années et pourtant la magie opérait. Le plaisir, cause oblige, était là plus sûrement même que lors des précédentes tentatives de mises en scènes martiniquaises qui avaient bénéficié de moyens autrement qualifiés que ceux dont disposait cette troupe amateur. L’imperfection même apportait une touche de d’authenticité, de théâtre témoignage, de théâtre vérité auquel la salle a été particulièrement sensible. Le public majoritairement féminin, il faut croire que la sexualité féminine n’intéresse pas beaucoup les hommes, s’est reconnu, dans ce qui était rapporté sur scène. On comprenait mieux le metteur en scène quand il affirmait que parmi ces comédiennes certaines s’étaient engagées dans l’activité théâtrale comme dans une thérapie. A les regarder après le spectacle, on avait la confirmation que le plaisir consiste à mettre des mots sur la jouissance, tant elles étaient rayonnantes, même si certaines n’avaient eu sur scène de grand flash. L’amour ça ne se commande pas, ce n’est jamais deux fois la même chose et c’est sans doute pourquoi… on recommence.

Roland Sabra le 07/06/08/

Emile Pelti :

  » Si tu combles la distance de la marge de tes rêves, tes espérances atteindront des sommets jamais égalés »

Originaire du Lorrain en Martinique, Emile Pelti exerce son métier de comédien depuis plus de vingt ans et a travaillé notamment avec les metteurs en scènes suivants : Lucette Salibur « Gouverneur de la rosée », Arthur Lérus « Mèsi Bondié « , Elie Pennont « De la chaire au trône », Michèle Césaire « Bal d’éventail », José Exélis « Wopso », Alex Donote « Les mésaventures de Fred », José Alpha « Des ombres et des hommes », Josy Michalon « Aline », Christiane Emmanuel « Perle de lune », Igor Zolotovitsky et Serguei Ziemtsov « Hyménée », Guy Ventura « Le retour du quimboiseur », Ruddy Sylaire « L’Eden cinéma », Nicol Etienne « Arivé d’Paris », Yoshvani Médina « Bésamé mucho », Charly Lérandy « Lambéli», «Laure Taugraphe», «On n’est plus des Bêtes».
Il est par ailleurs, auteur et/ou metteur en scène d’une dizaine de spectacle, (Tambour rédempteur, Fout Sa Rèd, La rivyè Mamounéné, lecture/spectacle et ballet théâtre et met régulièrement en scène des spectacles pour enfants, autour de la prévention et avec les personnes âgées.