Publication des « Manifestes » d’Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau 

Les Manifestes des écrivains  Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau paraîtront le 4 février en librairie, à l’occasion du 10ème anniversaire du décès d’Édouard Glissant. Il s’agit de leurs divers textes théoriques et critiques, de textes de réflexion, publiés entre 2000 et 2009.

La sortie de Manifestes, programmée à cette date par les Éditions La Découverte et les Éditions de l’Institut du Tout-Monde, peut s’entendre comme un hommage à Édouard Glissant, disparu à Paris, le 3 février 2011, à l’âge de 82 ans. Un auteur martiniquais qui par ses écrits a influencé profondément son époque. Son ami de longue date, Patrick Chamoiseau, prix Goncourt en 1992 pour le roman Texaco, l’a accompagné dans son parcours intellectuel. Ensemble, ils ont publié les Manifestes, qui traitent entre autres de thèmes sociétaux, et qui sont réunis aujourd’hui pour être édités dans un seul ouvrage, dont l’avant-propos est écrit par Patrick Chamoiseau lui-même, sous le titre de Malgré tout. La postface, Une poétique de la politique, est quant à elle proposée par Edwy Plenel, journaliste politique français qui participe au site d’information indépendant Médiapart. 

Présentation par les éditions « La Découverte » : 

« Il n’y a de puissance que dans la Relation, et cette puissance est celle de tous. Toute politique sera ainsi estimée à son intensité en Relation. Et il y a plus de chemins et d’horizons dans le tremblement et la fragilité que dans la toute-force ». Cet ouvrage rassemble pour la première fois six textes : De loin…, Dean est passé. Il faut renaître. Aprézan !, Quand les murs tombent et L’Intraitable beauté du monde, coécrits par Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant ; et avec Ernest Breleur, Gérard Delver, Serge Domi, Bertène Juminer, Guillaume Pigeard de Gurbert, Olivier Portecop, Olivier Pulvar et Jean-Claude William le Manifeste pour un projet global et le Manifeste pour les « produits » de haute nécessité.

Site du journal Le Point :

D’Édouard Glissant (1928-2011), il faudrait retenir a minima deux mots qui résonnent aujourd’hui plus que jamais : « Relation » et « Tout-Monde ». Deux concepts qui ont inspiré nombre d’autres écrivains et chercheurs. Prix Renaudot 1958 pour La Lézarde¹, l’auteur a travaillé sa vie durant à imaginer un monde qu’il avait perçu depuis sa Martinique natale, un monde créolisé. À l’encontre des assignations identitaires, des stigmatisations, des fermetures de frontières et des peurs de l’autre, celui dont les archives sont entrées à la Bibliothèque Nationale de France écrivait : « Je peux changer en échangeant avec l’autre sans me perdre ni me dénaturer. »

Esprit libre, visionnaire, poète avant tout, mais penseur, essayiste et romancier aussi, Édouard Glissant imaginait une humanité en relation dans un “Tout-Monde” dont l’utopie demeure, envers et contre tout. Qu’est-ce que le Tout-Monde ? « Le Tout-Monde, c’est le monde tel que nous désirons qu’il soit et tel qu’il n’est pas encore c’est-à-dire le monde que l’on partage, le monde où les différences sont acceptées, où on ne réduit pas la diversité à un banal enfermement.» (Édouard Glissant, Salon du livre 2010 à propos de son ouvrage Une anthologie du Tout-Monde). Ces paroles, on les retrouve dans le film² que lui ont consacré son plus jeune fils Mathieu et Yves Billy³. À VOIR SUR LE SITE.

Outremers 360, d’après Eline Ulysse :

Quand on relit ces textes, on est frappé par leur actualité. Reprenons par exemple celui consacré au passage du cyclone Dean en Martinique en août 2007, intitulé Dean est passé, il faut renaître. Aprézan !, initialement publié par le quotidien Le Monde. Les signataires écrivent notamment que « les moments chaotiques sont souvent des lieux de renaissance » ; « Toute régénération surgit toujours d’une perturbation. Plus la perturbation est sévère, plus le renouvellement qui s’ensuit est profond, puissant, parfois jusqu’à la mutation ». Comment ne pas penser aux “moments chaotiques” et à la “perturbation” que nous vivons, engendrés par une pandémie mondiale ? « En fait, le désastre ou la crise sont aussi, et surtout, des opportunités. Quand tout s’effondre ou se voit bousculé, ce sont aussi des rigidités et des impossibles qui se voient bousculés. Ce sont des improbables qui soudain se voient sculptés par de nouvelles clartés », poursuivent les auteurs.

Un autre manifeste, Quand les murs tombent. L’identité nationale hors-la-loi ?, édité peu après la création d’un Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement, en 2007, adhère encore singulièrement à notre époque. « Sapiens est par définition un migrant, émigrant, immigrant », disent Glissant et Chamoiseau. « Il a essaimé comme cela, pris le monde comme cela et, comme cela, il a traversé les sables et les neiges, les monts et les abîmes, déserté les famines pour suivre le boire et le manger. Il n’est frontière qu’on n’outrepasse ». Cela se vérifie sur des millions d’années. (…) « Aucun de ces murs qui se dressent tout partout, sous des prétextes divers (…) ne saurait endiguer cette vérité simple : que le Tout-Monde devient de plus en plus la maison de tous – Kay tout moun -, qu’il appartient à tous et que son équilibre passe par l’équilibre de tous.»

Le livre comporte également le Manifeste pour les “produits” de haute nécessité  paru en février 2009, durant les grèves et les mouvements sociaux qui ont agité la Guadeloupe puis la Martinique, mouvements contre la vie chère, la “pwofitasyon” – l’exploitation outrancière – et les hausses de prix. Douze ans plus tard, ce texte n’a pas pris une ride, et tous les territoires d’Outre-mer pourraient s’y retrouver. « Ce mouvement a mis en exergue le tragique émiettement institutionnel de nos pays, et l’absence de pouvoir qui lui sert d’ossature. (…) La compétence n’arrive que par des émissaires. La désinvolture et le mépris rôdent à tous les étages », écrivent les auteurs, qui prônent notamment « une force politique de renouvellement et de projection apte à nous faire accéder à la responsabilité de nous-mêmes par nous-mêmes et au pouvoir de nous-mêmes sur nous-mêmes ». Les autres textes regroupés dans l’ouvrage  sont tout aussi passionnants (…)

Quant à L’intraitable beauté du monde, il s’agit d’une lettre ouverte, par laquelle  Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau s’adressent au 44e président des États-Unis, Barack Obama, premier Africain-Américain à accéder à la Maison Blanche, incarnation de ce que Glissant nommait la créolisation du monde. À lire, un bel extrait dans Jeune Afrique.

Pour rappel :

Coïncidence… Michel Le Bris, fondateur du festival Étonnants Voyageurs, vient de disparaître. Un bel hommage avait été rendu en juin 2011 à Édouard Glissant, ami de ce Festival : une grande après-midi de rencontres, de films, de lectures à l’auditorium du théâtre, avec Patrick Chamoiseau en maître-d’œuvre, puis  une grande soirée mise en scène par Razerka Ben Sadia-Lavant, qui déjà avait monté la soirée consacrée à l’Anthologie du Tout-Monde, en mai, au théâtre de l’Odéon. Avec Denis Lavant, prodigieux diseur, dont on dirait qu’il brûle comme torche vive sur scène (…)

Manifestes, par Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau. Éditions La Découverte et les Éditions de l’Institut du Tout-Monde, 120 pages, 10 euros.


  1. La Lézarde. Nouvelle édition. Collection Blanche, Gallimard. Parution : 02-05-1997. Prix Renaudot 1958, ce livre exceptionnel témoigne de l’émergence de la parole antillaise et de la genèse d’un langage. Dans une île tropicale, de jeunes révolutionnaires décident de tuer l’homme chargé de réprimer les soulèvements populaires. Leur premier acte de liberté est un meurtre. La Lézarde, rivière qui unit les montagnes secrètes à l’océan, accompagne, dans sa traversée, les étapes dramatiques que vivent Mathieu, Thaël et leurs amis, leur montrant le chemin du monde.
  2. Deux portraits d’Édouard Glissant ont été réalisés de son vivant pour la télévision, deux documents de très haute qualité : celui de Guy Deslauriers réalisé en 1996 pour France 3 (série « Un siècle d’écrivains ») et celui d’Yves Billy et Mathieu Glissant en 2010, sous le titre Édouard Glissant, la créolisation du monde. Ce portrait a été souvent utilisé sur Édouard Glissant.fr, qui vous donne aujourd’hui la possibilité de le découvrir (ou de le redécouvrir) dans son intégralité. À la fois biographie, évocation de l’œuvre et entretiens de fond avec l’écrivain, ce portrait est une plongée sensible dans la vision du monde passionnante et tremblée du « déparleur ». À voir ou revoir, d’urgence.

  3. Yves Billy commence sa carrière de cinéaste en 1986. Il est ensuite l’auteur et le réalisateur de beaucoup de films documentaires aussi bien sur des faits de société que sur des situations géopolitiques révélatrices de l’état de notre monde.