Prix RFI Théâtre 2023: les douze textes présélectionnés de la 10e édition

Autrices et auteurs francophones sont toujours au rendez-vous avec un nombre important de textes envoyés suite à l’appel à candidatures du printemps. 135 textes venus de 25 pays ont été soumis au comité de lecture avec une forte présence des auteurs de la République démocratique du Congo, de la Côte d’Ivoire, du Benin et d’Haïti. Et toujours davantage d’autrices ! Elles étaient 15 % à déposer un texte en 2022, elles sont 22 % cette année, lors de la dixième édition. Leur présence renouvelle, à n’en pas douter, les grilles de lecture, posant sur les structures sociales et la situation politique de chaque pays un regard neuf et agissant. Le nom du ou de la lauréat(e) du Prix RFI Théâtre 2023 sera annoncé le dimanche 24 septembre et le prix remis à Limoges, dans le cadre du festival Zébrures d’automne. 

Ce théâtre, vivant et adressé, entend porter sur la scène les débats qui traversent notre époque, avec, au centre, un vrai questionnement sur le statut de la parole : entre d’une part la puissance du verbe, la nécessité de dire et de dépasser l’interdit et d’autre part le mutisme comme arme de protestation ou marque de la violence subie.

Beaucoup de pièces sur la condition des femmes, sur la paternité, sur les sexualités et sur les rapports entre tradition et modernité dans lesquelles l’éducation tient une place majeure. Beaucoup de pièces également sur les enjeux entre pays du Sud et pays du Nord, révélant le poids toujours prégnant de l’héritage colonial, au cœur-même des nouvelles guerres, politiques et économiques. Des pièces décryptant sans complaisance les rouages de la violence, de la corruption, de la censure et de la confiscation du pouvoir. Des pièces enfin qui réinterrogent l’Histoire et son écriture, loin des représentations sclérosées ou mensongères.

Formant ce paysage : une diversité enthousiasmante des formes et des paris d’écriture, des dramaturgies inventives, joueuses, tantôt poétiques, lyriques, satiriques ou donnant à entendre une oralité plus quotidienne avec souvent un humour savoureux. 

Le répertoire francophone est assurément vaste, il nous offre aujourd’hui de nouvelles références et de nouveaux points d’appui dont cette sélection se veut le miroir pluriel : une incitation à la rencontre.

Elise Blaché et Michel Cochet

Collectif À mots découverts

LES PIÈCES RETENUES :

La chute infinie des soleils, de Elemawusi Agbedjidji (Togo) 

Mmadi tente le concours d’entrée en master théâtre et anthropologie dans une université française, avec le projet d’une pièce sur un évènement historique méconnu : à la fin du XVIIIe siècle, à la suite d’un naufrage, des colons français abandonnent un groupe d’esclaves sur l’île de sable, au large de Madagascar. Les sept survivants (sur quatre-vingts) ne seront secourus que quinze ans plus tard. L’accueil réservé à ce projet par les professeurs rappelle au jeune étudiant que la domination et le racisme ont certes aujourd’hui d’autres visages, mais toujours les mêmes racines.

Une écriture sensible pour une structure en poupées russes qui révèle les violences d’aujourd’hui par le prisme de l’histoire silenciée.

Fifi, les tambours et les étoiles, de Stéphanie François (Haïti) 

Fifi est seule à la maison, sa mère est partie rejoindre son amant Bonami. Dans la nuit plusieurs convois se mettent en route, celui des Chasseurs d’ombres dont Bonami prend la tête, et celui des Veilleuses menées par Défilé. La mère sera tuée. Fifi, elle, rencontrera Défilé, qui la prendra sous sa protection.

Un récit de résistance et d’espoir, à la poésie puissante, porteur d’un regard neuf sur la situation en Haïti.

La Belle et les bêtes, de Essoham Gnaro (Togo)

L’Afrique (la Belle) reçoit la France, la Chine, les USA et la Russie (les bêtes) : qui choisira-t-elle comme époux légitime ? À moins qu’elle ne décide de rester indépendante…

Un conte satirique à l’humour rageur pour une analyse décoloniale et féministe de la situation géopolitique de l’Afrique.

Caléta, de Gaël Tchêgoun Hounkpatin (Bénin)

Nina, Soco et Bobo vivent en faisant la manche et en dansant la Caléta. Une nuit, alors qu’ils rentrent à moto d’une soirée arrosée, ils tuent accidentellement un homme sur la route. Peu de temps après, les trois adolescents rencontrent Ara, une touriste et se lient à elle. Puis une autre nuit, sur le marché, la rumeur les accuse : Nina, pourchassée, sera victime de la foule. Porter le masque du désordre n’est pas sans conséquence…

Une langue ciselée et de beaux personnages d’adolescents pour une fable complexe à la portée métaphysique.

La faiseuse d’anges, de Nathalie Hounvo Yekpe (Bénin)

« Lui » est un dignitaire politique, « Elle » est sa femme. Mère trop tôt, elle a dû renoncer à poursuivre ses études. Leur fille unique, Liny, a disparu : où est-elle ? Petit à petit, les injustices du passé et les vérités cachées remontent à la surface, révélant les violences systémiques du patriarcat… autant de chemins qui mènent chez la faiseuse d’anges.

Un théâtre en adresse au public, tout en finesse et sensibilité, pour traiter des enjeux de la procréation, des héritages et de l’ascension sociale par le prisme du rapport hommes-femmes.

Gestation, de Moise Kamguen Moafo (Cameroun) 

Un enfant à naître et sa mère débattent ensemble : l’enfant refuse de naitre dans ce monde violent et injuste. Sa mère lui oppose l’espoir. L’enfant finira par venir au monde pour mieux faire entendre son cri.

Un manifeste audacieux et touchant qui milite avec force, lyrisme et tendresse pour le renouveau du monde.

À cœur ouvert, de Eric Delphin Kwégoué (Cameroun)

Le célèbre journaliste Santiago vient d’être assassiné. Avant son enlèvement, il a eu le temps de prévenir son ami Paul Alain du sort qui l’attend lui aussi. Tandis que ce dernier tente de se mettre à l’abri puis revient sur ses pas pour sauver sa famille, une blogueuse sort du silence et exhorte la population à se révolter contre le régime et ses agissements : la foule sauvera Paul Alain en se rassemblant devant chez lui.

Un thriller théâtral haletant, inspiré par l’assassinat du journaliste camerounais Martinez Zongo. Une dénonciation qui démontre la puissance de la parole – politique et intime – lorsqu’elle redonne aux êtres toute leur humanité.

Pandémonium, de Rolaphton Mercure (Haïti)

À Haïti, entre les murs du pénitencier national, cinq détenus discutent de leurs projets d’évasions, de leur quotidien et des injustices qui les ont menés là, eux et leur pays.  Mais que se trame-t-il dans le cachot 15 où peut se monnayer une étrange libération ?

Une écriture vive, virulente, lyrique pour un portrait au vitriol de la situation politique en Haïti.

Méandres, de Natacha Muziramakenga (Rwanda) 

Sur la scène, deux êtres se rencontrent, chacun avec un lourd secret. Comment arriver à dire ? Comment se libérer ? Comment se confronter ? Danser, s’apprivoiser, affronter les fantômes, pour que le silence soit brisé.

Une partition de jeu inventive, sensible et souvent drôle, malgré un sujet grave.

Analogie du vertige, de N’Anza Tata (RDC)

« Chez Mama ni Mama », un bar de Kinshasa, le soir de l’inhumation de la dent de Lumumba enfin rendue à son pays, 61 ans après son assassinat. Des clients de tous horizons confrontent leurs points de vue, la patronne arbitre les débats, Kabukula (le troubadour du quartier) improvise un poème. Peu à peu les langues se délient…

Au fil des conversations se dessine un portrait tout en finesse de la société congolaise contemporaine.

Petite musique des damnés et leurs corps privés de bon Dieu, de Dondedieu Richtel Ollier Lemvo (République du Congo)

La dernière journée de la vie de Muda, l’aboyeur des mots, dont on suit les pérégrinations à travers la ville. De rencontre en rencontre, les forces de la mort et de la vie s’affrontent, rendant toujours plus vive l’urgence d’écrire et de dire. Même lorsque Chien méchant lui aura tiré une balle dans le cœur, la voix de Muda continuera à clamer son poème…

Une ode drôle et puissante à l’écriture et à la vie. Un théâtre-monde, un poème-vie.

Le silence qui sait tant, de Claudia Shimwa (Rwanda) 

Deux femmes – qui n’en sont qu’une – dialoguent avec la voix des collines. L’une a traversé la rive quand l’autre est restée au pays ; l’une veut briser le silence quand l’autre s’y réfugie pour trouver là le lieu de la protestation.

Une pièce-randonnée, singulière et touchante, dans la géographie des silences du Rwanda. Et si le silence n’était pas déni, mais bel et bien chant de l’indicible ?

Source : Rfi