Pour une restructuration (raisonnable) de la dette

la_ettted-3Cessons de diaboliser la dette
La dette publique est utilisée comme prétexte pour culpabiliser la population : «la dette pèsera sur nos enfants», «la charge de la dette nous paralyse, elle absorbe la totalité du produit de l’impôt sur le revenu». Il n’y aurait qu’un seul moyen pour la réduire : couper dans les dépenses publiques. […] En France (comme dans la plupart des pays industrialisés), la dette publique est inférieure à la dette privée (115 % du PIB pour les ménages et les entreprises, 93,5 % du PIB fin 2013 pour la dette publique). Pour les libéraux, l’endettement privé est légitime puisqu’il permet aux entreprises de produire de la richesse. Mais les administrations publiques produisent aussi de la richesse. La dette publique permet, elle aussi, de soutenir l’activité, d’investir pour l’avenir.

Il est légitime de financer les investissements publics, qui seront utilisés pendant de nombreuses années, par du déficit public. C’est d’ailleurs la vraie «règle d’or» des finances publiques. En France, cela justifie un déficit de l’ordre de 2,5 % du PIB, en situation conjoncturelle normale. L’Etat ne doit pas seulement se préoccuper de sa propre situation financière, mais aussi de l’équilibre macroéconomique. Dans une situation de récession économique, où les ménages épargnent beaucoup par peur de l’avenir, consomment peu, car leur niveau de vie est affaibli par la montée du chômage, où les entreprises investissent peu, car la demande est faible, il est légitime d’avoir un déficit public plus important que celui de la règle d’or.

Tout est-il alors pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Non, malheureusement, la dette publique est malade du libéralisme. La crise ouverte en 2007 l’a fortement creusée : il a fallu soutenir les banques, déployer des mesures de relance et, surtout, enregistrer des pertes de recettes fiscales. Mais la dette avait déjà augmenté auparavant. En France, par exemple, de 21 % du PIB seulement en 1979, elle est passée à 64 % en 2006. Quatre facteurs ont été primordiaux.

L’effet taux d’intérêt. A partir des années 80, sous l’effet des changements de politique économique, les taux d’intérêt réels ont été fortement supérieurs aux taux de croissance ; ainsi, la dette publique a fait boule de neige. Ce fort niveau des taux d’intérêt a aussi pesé sur la demande, contraignant l’Etat à maintenir un fort déficit.

La financiarisation. En France, les milieux dirigeants ont voulu faire de Paris une grande place financière. Heureusement, ils n’ont pas complètement réussi. Nous avons conservé un système moqué comme «archaïque», mais finalement heureux : la retraite par répartition plutôt que les fonds de pension, les HLM plutôt que les crédits subprimes. Mais la financiarisation de la dette publique faisait partie de leur plan. L’Etat s’est ainsi placé sous la coupe des marchés financiers internationaux et des agences de notation. Cette politique a conduit à internationaliser le financement de la dette publique française et à ce que plus de sa moitié soit détenue par des non-résidents. L’abondance de l’épargne et l’attrait pour la dette publique (la plus sûre) font que les taux peuvent être bas (ils le sont dans la plupart des pays depuis 2008). Mais, laissés dans les mains des marchés, ils peuvent dangereusement grimper.

L’effet recettes fiscales. Les recettes fiscales ont été réduites par les cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises, par la concurrence fiscale, par l’évasion et l’optimisation fiscales. Les riches ont fait d’une pierre deux coups : ils ont payé moins d’impôts, ce qui a creusé les déficits, puis ils ont financé ces déficits en touchant des intérêts.

L’effet PIB. Les politiques d’austérité contractent l’activité, ce qui alimente à nouveau la baisse des recettes. Moins d’activité, c’est aussi moins de TVA, d’impôt sur le revenu, d’impôt sur les sociétés, de cotisations sociales. Ce que l’on croit gagner d’un côté, par la baisse des dépenses publiques, on le perd de l’autre, par la chute des recettes fiscales. L’effet PIB joue aussi directement : la baisse du PIB fait spontanément augmenter le rapport dette/PIB. La baisse de la dépense publique est néfaste : elle creuse la dette ! […]

La Cour des comptes se plaint régulièrement dans ses rapports : la croissance est finalement moindre que ce qu’elle avait prévu, les recettes fiscales aussi, les déficits se réduisent peu et la dette continue à augmenter. Elle en tire à chaque fois la même conclusion : il faut réduire plus fortement la dépense publique. Mais pourquoi la croissance est-elle moindre ? La cour, devenue temple du libéralisme le plus dogmatique, ne s’interroge jamais sur ce point. La réponse est pourtant simple : ce sont les politiques d’austérité, celles-là mêmes qu’elle préconise, qui étouffent la croissance. Début 2013, le FMI a reconnu cette leçon keynésienne élémentaire : le «multiplicateur budgétaire» est élevé, beaucoup plus qu’il ne le prétendait. Tout euro de baisse des dépenses publiques diminue l’activité de nettement plus de 1 €. L’enseignement des quatre dernières années en Europe doit enfin être tiré : la baisse des dépenses publiques est contre-productive pour réduire la dette publique, a fortiori dans la situation de crise que nous connaissons. L’Etat doit continuer à soutenir l’activité tant que la reprise n’est pas là.

Il importe donc de distinguer deux types de déficit. Le déficit expansionniste : lorsque c’est nécessaire, le déficit public initial permet de relancer l’activité, ce qui engendre finalement un surcroît de recettes (l’Etat «gagne ce qu’il dépense»). Le déficit récessif : les politiques d’austérité budgétaire, en plombant l’activité, creusent les déficits par défaut de recettes.

Dans certains pays, la Grèce est sans doute dans ce cas, la dette est devenue insoutenable. Elle doit être restructurée. Dans de telles situations, les accords conclus entre créanciers privés et gouvernements ne sauraient être remis en cause par des tribunaux étrangers alertés par quelques détenteurs de titres qui spéculent sur l’annulation de ces accords.

Si elle est parfois nécessaire, la restructuration de la dette publique doit toutefois être maniée avec prudence. La dette publique est utile. L’émettre dans de bonnes conditions suppose que l’Etat respecte sa parole et que la Banque centrale garantisse les titres publics et si nécessaire les achète. En 2013, les administrations françaises ont payé 45,5 milliards d’intérêts, mais le déficit, financé par émission de dette, a été de 89 milliards : si la France avait renoncé à la dette, elle aurait dû se priver de 43,5 milliards de financements.

Comment alors réduire la dette ? Les dettes publiques, l’histoire de ces deux derniers siècles le prouve, ne peuvent pas être réduites par l’austérité. Celle-ci engendre finalement la stagnation et la déflation (la baisse généralisée du niveau des prix), ce qui fait augmenter les taux d’intérêt réels par rapport à un taux de croissance affaibli, et plus affaibli encore par l’austérité.

Les Etats-Unis ont poussé leur déficit budgétaire jusqu’à 12,8 % du PIB en 2009 ; celui-là était encore à 9,3 % en 2012. Ils ne s’en sortent pas plus mal. Avec le retour de la croissance, le déficit se réduit progressivement. La dette publique, très élevée à l’issue de la Seconde Guerre mondiale (entre 120 et 300 %, selon les pays), s’était réduite comme peau de chagrin ensuite (passant entre 20 et 30 % en 1973). Il faut renouer avec les cercles vertueux que le néolibéralisme a brisés.

>>> Nos propositions
1. En finir avec les politiques d’austérité afin de relancer l’activité.
2. Faire fondre les dettes grâce à la hausse des prix. La cible d’inflation de la BCE de 2 % doit être relevée. Elle doit être subordonnée à une cible de plein-emploi.
3. Retirer aux marchés financiers le pouvoir de fixer les taux d’intérêt. La BCE doit garantir les dettes publiques et maintenir des taux d’intérêt de long terme inférieurs aux taux de croissance.
4. Définanciariser et renationaliser la dette publique grâce à des circuits financiers publics.

Extraits du Nouveau manifeste des économiste atterrés paru dans Marianne daté du 16 janvier