Pour Ie Prix Carbet des Lycéens

— Par Pierrette Leti-Palix —

escalier_de_mes_desillusionFin mars 2015, des élèves de Seconde, Première et Terminale de l’académie, ont rencontré l’écrivain haïtien Gary Victor, l’auteur du roman « L’Escalier de mes désillusions » , auquel ils avaient décerné, la semaine précédente Le Prix Carbet des Lycéens.

Après Audrey Pulvar (Martinique), Gisèle Pineau (Guadeloupe), Edouard Manet (Cuba), Zoé Valdès (Cuba), Frankito (Guadeloupe), André Paradis (Guyane), Yanick Lahens (Flaiti) et d’autres encore, des jeunes entre 15 et 18 ans ont voté pour Gary Victor. Qui s’est dit ému de cette reconnaissance et qui a pris le temps de leur expliquer en quoi l’écriture était un acte difficile, incertain, quand des personnages vous échappent et semblent vouloir s’imposer à leur créateur.
Cette rencontre est l’aboutissement de six mois de confrontation avec des romans contemporains écrits par des auteurs caribéens. En effet, chaque année, depuis 2005, l’association Sansévieria propose à des lycéens de lire six romans, entre septembre et janvier pour décerner ce fameux Prix Carbet des Lycéens à l’un d’entre eux, en février.
Les professeurs accompagnent les élèves dans cet exercice difficile (diable ! 6 romans en 5 mois, en sus des cours obligatoires et des examens…) jusqu’au vote final du Grand Jury des élèves, où seuls dans un amphithéâtre, parrainés par un adulte, ils votent à bulletin secret.
Entre-temps, les élèves ont participé à un pique-nique littéraire où chacun a montré son appropriation, c’est-à-dire la façon dont il a compris tout ou partie de l’œuvre : chant, mises en scène, danse, films, cuisine, tout est permis. De même, quelques jours avant le vote final, lors d’une visioconférence avec les élèves de Guadeloupe et de Guyane, les élèves ont discuté, ont confronté leurs points de vue.

Des démocrates éclairés

sanseveiriaPourquoi ? Parce que l’occasion est enfin offerte aux jeunes de lire des ouvrages contemporains sans censure aucune, de participer à des échanges qui favorisent leur subjectivité de lecteur, de se confronter à leurs pairs qui, eux, ne sont pas entrés dans l’ouvrage de la même façon. Parce qu’ils ont à mettre en place des stratégies de lecture pour lesquelles ils mobilisent des compétences : vocabulaire, des règles de grammaire et de syntaxe, mais aussi capacité à faire des liens avec ce qu’ils savent et ce qu’ils découvrent dans le texte; capacité à évaluer ce qu’ils comprennent ou non et, le cas échéant, capacité à mettre en œuvre des procédures de régulation. Compliqué. Mais tellement important. Ils sont en train de se construire et d’apprendre à vivre en intelligence avec l’autre : leur lecture subjective devient l’affaire de débats du groupe jusqu’à une lecture commune partageable par tous. Ils sont prêts au vote. En démocrates éclairés. C’est là la force du Prix Carbet des Lycéens.

Pierrette Leti-Palix
Présidente de l’association Sansévieria Prix Carbet des Lycéens

 


 

En quatrième de couverture:
« En cette fin de soirée de janvier 2010 en Haïti, les convulsions de la terre ont aussi fissuré la vie de l’écrivain Carl Vausier. Redoutant l’annonce de la mort de son ex-femme Jézabel, qu’il continue à aimer en secret, et de sa fille Hanna, il attend dans l’angoisse, assis à côté de sa belle-mère, la mutique Man Hernande. Tandis que, tout autour de lui, le pays est anéanti, Carl est hanté par des récits qu’il a longtemps tus et qui jaillissent de l’oubli ». « Au long de ce texte fiévreux, Carl Vausier plonge dans les profondeurs de son passé pour exhumer des blessures douloureuses, et pour enfin saisir la vérité de l’inaccessible Jézabel. Car dans les abysses de la mémoire gisent parfois des étrangetés qu’un séisme peut réveiller. »

Un extrait :

« L’enfer, c’est le désir impossible à assouvir, toujours présent, dans son lit, chaque nuit. L’envie vous prend d’avancer la main, de la poser sur l’être aimé, de le couvrir de baisers, de lui inventer des mots d’amour n’existant pas encore, de lui dire des contes rabaissant ceux des Mille et Une nuits à de vulgaires histoires de gare. Pour cette personne, on rêve de mettre en captivité les orages, les éclairs, les tonnerres, de les faire jouer à l’unisson, que la magnitude de cet amour ébranle l’indifférence des dieux. En même temps, on sait que du vacarme de cet amour, on ne recevra que les échos dans une cathédrale vide, peuplée de statues de pierre, de vierges minérales, de divinité de pacotille. C’est monter sur un tremplin et plonger dans une piscine sans eau. Avec Jézabel, c’était une recherche de plaisir solitaire, sans possibilités d’imaginaire, un amour tournant en rond dans une cage, un cri impossible à exprimer, une mort lente par asphyxie – et malgré tout, un amour comme une plante parasite, s’accrochant à tout, décidée à survivre malgré les conditions contraires, en défi jeté aux lois naturelles».