Pierre Choderlos de Laclos à livre ouvert

— Par Sophie Joubert —

liaisons_dangereurses

Brigitte Enguerand

Christine Letailleur adapte les Liaisons dangereuses, de Laclos, avec Dominique Blanc, magistrale marquise de Merteuil.

Les Liaisons dangereuses est une machine de guerre, conçue par un militaire, Pierre Choderlos de Laclos. Madame de Merteuil, se rendant à un rendez-vous galant, n’emploie-t-elle pas un vocabulaire de stratège ? « Une attaque bien vive, bien menée, me fera le plus grand bien », dit-elle à Valmont. L’intrigue est connue : par vengeance, la marquise de Merteuil persuade le vicomte de Valmont de déshonorer la jeune Cécile de Volanges, promise à son ancien amant. Le libertin, occupé à séduire la prude madame de Tourvel, accepte le défi, espérant reconquérir les faveurs de Merteuil. L’issue de cette guerre amoureuse, qui manipule les corps et les cœurs, ne peut être que fatale. La liberté et l’aspiration égalitaire sont au cœur de ce roman épistolaire publié en 1782, à la veille de la Révolution française.

Les Liaisons dangereuses est un roman plus cérébral que libertin. Tout se joue dans la langue, l’érotisme et la transgression sont entièrement contenus dans le récit par lettres. Les mots sont une arme puissante, Christine Letailleur l’a bien compris, de même que la dimension théâtrale du roman. Merteuil et Valmont sont des acteurs qui répètent leur rôle en coulisses. À la fin du spectacle, la marquise défigurée par la petite vérole, mise au ban de la société, tourne le dos au public et s’enfuit sous les huées d’invisibles spectateurs.

Prenant le contre-pied du film étincelant de Stephen Frears, resté dans les mémoires, Christine Letailleur a choisi la pénombre, les décors stylisés, épurant sa mise en scène pour faire toute la place au texte de Laclos. Un escalier mène à une mezzanine, des silhouettes se découpent comme des marionnettes dans des encadrements de fenêtres, une porte dérobée laisse deviner les plaisirs de l’alcôve. Seuls les costumes évoquent le XVIIIe siècle, avec une mention particulière au jupon cage de madame de Merteuil qui dévoile un instant ses jambes nues. Entravée par sa condition de femme, elle doit gagner de haute lutte sa liberté à l’intérieur de cette prison symbolique…

Lire la Suite => L’Humanité.fr