Philippa C. Jabouin : Le minimalisme littéraire à son apogée.

— Par Jean-Robert Léonidas —

Short shorts on family, c’est le premier livre écrit en anglais par cette auteure polyglotte, petite fille d’un grand poète haïtien. Je me suis laissé dire que c’était un recueil facile à lire et digérable en un rien de temps. Rien n’est moins vrai.

Le livre, un ensemble de 30 histoires succinctes, pourrait donner une fausse impression de facilité. Mais la couverture en impose par sa gravité, elle offre à notre regard une œuvre d’art suggérant un puzzle titré Sulphurous Exchange. Ce n’est donc point de l’eau de rose. Nous sommes en face de croquis, de réflexions qui, plongeant dans l’âme humaine, obligent à cogiter en profondeur sur les choses, les hommes, leur nature, leur travers. Point de longs discours dont l’auteure est certainement capable vu sa préparation académique et son expertise. De petites histoires de famille qu’il ne faut pas prendre comme une confession d’un enfant du siècle, mais plutôt comme une tactique d’écriture pour se révéler à soi-même et au monde. D’autres sujets semblent provenir du lieu de travail. L’auteure, par pudeur, garde une difficile distance par rapport à l’intimité et maintient une éthique professionnelle, même quand elle a décroché volontiers de ses occupations antérieures.

Dans un passé récent, Philippa C. Jabouin, jeune avocate canadienne, a su plaider avec brio devant qui de droit la cause des immigrants et des réfugiés. J’ai lu et aimé plusieurs de ses articles en français où l’on a souvent ressenti une mission de solidarité humaine. Aujourd’hui, celle qui encore jeune et sans ambages s’appelle une ex-avocate, se veut autrice, journaliste et éditrice.

Ce qui est certain, sa vie, sa profession et ses origines l’ont inspirée pour ce livre dédié à sa fille Leïla. La jeune auteure canadienne maîtrise le français, l’anglais, l’espagnol. Comme un personnage de l’histoire # 4, elle comprend le créole d’Haïti, la terre de ses parents et de ses ancêtres dont une branche est re-traçable à Cuba.

J’ai admiré cette brièveté de l’écriture qu’elle fiance à une densité de la réflexion. Il y a en même temps une circonspection par rapport aux sujets traités, de telle sorte que le lecteur puisse saisir les sous-entendus et terminer le récit en en comblant les trous. Le minimalisme est à son comble.

Dans l’histoire #6, elle fait allusion à la triangulation psychologique. Ce qui me fait penser à Bowen et à sa notion de projection générationnelle. Comme quoi il y a une force transgénérationnelle qui régit les comportements dans une famille. Philippa C. Jabouin, quoique fille d’un père médecin exerçant au Canada, a abandonné le droit pour la littérature. Les quoique sont des parce que qui s’ignorent, dit-on. Quoi qu’il en soit, son grand-père maternel, Emile Roumer, célèbre poète haïtien, a consacré sa vie à la poésie et n’a jamais exercé le commerce qu’il a étudié ni le droit.

Il reste que P. Jabouin a trouvé sa ligne de plus grande pente dans la littérature. Elle s’y est engagée à fond. You can’t hide for ever, déclare-t-elle. Oui, on ne peut pas indéfiniment fuir sa vérité. Bravo pour cette belle entrée dans le monde des lettres ! Merci pour ce petit bijou de toutes les saisons, qu’on peut tenir en main l’été et glisser facilement dans la poche d’un manteau l’hiver venu.

Jean-Robert Léonidas