Pawol de théâtre

— Par Daniel Boukman —

Le texte ci – dessous a été lu, le 11 novembre 2003, lors d’un bokantaj pawol à la Maison de la Culture du Lamentin en réponse à une série de questions préalablement soumises à l’auteur qui le publie, aujourd’hui, tel qu’il fut écrit, il y a dix années de cela (1)

Quel théâtre en pays non souverain ? Pour quoi faire ?

La Martinique est un pays non souverain, dominé non plus, comme aux temps d’autrefois, par la force brutale mais, aujourd’hui, de façon subtile et d’autant plus pernicieuse, et, convient-il d’ajouter, grâce à la complicité active ou passive de beaucoup d’entre nous.

En apparence donc pas de domination. Une preuve parmi d’autres : au sein des espaces artistiques et culturels du système dominant, il existe des feux d’artifice dont la brillance éblouit et puis aussitôt meurt sans laisser de traces, si bien que, si l’on veut être plus incisif dans la critique, on peut parler d’éphémères coups artistico – médiatiques.

La question à laquelle répondre n’est pas tant de demander quel théâtre en pays non souverain mais quel projet culturel global (donc incluant le théâtre) pour ce pays dominé.

Sous la poussée sainement revendicative des premiers concernés (gens de théâtre, public) les décideurs politiques natif – natal et autres ainsi que les médiateurs (presse écrite, audiovisuelle) doivent être alertés, interpellés, constamment.

Le théâtre, selon moi, comme les autres composantes de l’ensemble culturel de notre pays, doit répondre à ce qu’on peut appeler la  commande sociale.

Ne pas toutefois se bercer de l’illusion de croire que la production théâtrale va changer le monde, notre monde, an manniè blip !

Ecrivants pour le théâtre, metteurs en scène, comédiens, décorateurs, éclairagistes, costumiers… en un vaste réseau en souplesse organisée, oeuvrons pour que le théâtre martiniquais soit autant de petites lampes multiformes pour éclairer.

Qu’est-ce que l’identité en pays « dominé » ?

L’identité en pays dominé (je ne mets pas de guillemets à pays dominé) ?… Arrêtons de vaticiner à ce propos ! Ayons, pour délimiter le chemin, quelques balises essentielles… épi annou bay alé ! avec, en amont, tout un jeu de réponses aux questions relatives à quel public toucher (au sens profond du terme), de quelles formes esthétiques et linguistiques s’approprier.

 

Relations entre théâtre et identité ?

Toutes les formes de théâtre peuvent être expérimentées, celles venues d’ailleurs, celles inspirées de nos réalités artistiques et culturelles plurielles, pourvu que l’on allie le aimer pour soi avec le aimer avec les autres.

Théâtre insulaire, national, universel, spécifique ou théâtre tout court ?

Un théâtre « spécifique » (je mets cette fois des guillemets au mot spécifique) comme contribution à l’universel, pourquoi pas ? mais pas à cet universel abstrait dont béatement nombre de laudateurs ignorent (ou feignent d’ignorer) que si l’on compare la terre à un village planétaire, vu le monde tel qu’il est, aujourd’hui, il convient, avant toutes choses, de se demander qui est le chef de cet immense village, qui en est le donneur d’ordres et de leçons.

Le théâtre relève t-il d’une urgence identitaire et culturelle ?

Oui ! dans la mesure où il convient de créer les conditions matérielles, intellectuelles, artistiques (y compris celles, essentielles, des armes de la critique) pour ne pas laisser l’espace culturel dans ce pays, le nôtre, être occupé exclusivement – ou presque – par les serviteurs de l’idéologie dominante, ceux-ci excellant souvent à couvrir leurs visages de masques séducteurs.

Le théâtre est-il vecteur d’émancipation ou d’aliénation culturelle ?

Le théâtre peut être vecteur de l’une ou l’autre de ces pratiques ; cela dépend de ceux et celles qui en sont les promoteurs, de leurs consciences et talents éveilleurs ou endormeurs… De leur engagement pour ou contre un théâtre de divertissement au sens pascalien du terme, c’est à dire qui détourne la réflexion du réel fondamental.

Bien entendu, dans la mesure où la chose théâtrale est à la confluence de l’oral, du visuel et de l’écrit, je ne peux pas ne pas aborder la question du choix de la langue : langue créole ? langue française ? langue créole et française ?

Pour ma part, j’opte volontiers pour une discrimination positive en faveur de la langue créole en raison de l’ostracisme (ou des dérives populistes) dont cette langue est délibérément – ou sournoisement – la victime.

Et puis, et surtout, selon le principe que la littérature (le théâtre est partie prenante de la littérature) se nourrit de la langue qu’en retour elle enrichit, davantage encore, mettons sur scène le créole mais que l’usage qu’on en fait, ne contribue pas en définitive à le…dékalé.

 

Daniel Boukman écrivain militant culturel

(1) C’est à l’occasion de l’édition de ses deux nouvelles pièces, Liwa Lajan (en créole martiniquais) et La mésaventure d’Adiraban le marchand (en français) que ce texte est publié.

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