« N’y avait-il pas mieux à faire ? »

— Par Marc Séfil, historien —

En juillet 2014, se tint au Museo Napoleonico de La Havane le 12e Congrès Napoléonien. Ce musée abrite une des plus importantes collections d’objets ayant appartenu à Napoléon rassemblée par Julio Lobo Olavarría, un riche cubain admirateur passionné de l’empereur. Exilé après la révolution castriste, sa collection passa dans « le patrimoine de la nation cubaine ». Le régime castriste intégrant ses objets et tenant colloque sur un esclavagiste ! Nos idéologues locaux, aussi thuriféraires de ce régime, auraient-ils raté une leçon en voulant éradiquer Joséphine de l’espace public ? Ne privent-ils pas la Martinique d’un formidable produit d’appel touristique sur la base de faits non encore prouvés ? Aucun document n’atteste que Joséphine est responsable du rétablissement de l’esclavage. Or, trois le corroborant et dûment authentifiés sont nécessaires pour qu’un fait soit avéré. Principaux bénéficiaires du commerce triangulaire et financiers des guerres napoléoniennes, les armateurs de Nantes, La Rochelle ou Bordeaux, y ont beaucoup plus contribué que les charmes de Joséphine.

Quant à son lieu de naissance. Martinique ou SainteLucie ? Une vieille controverse que l’historienne Suzanne England-Ancey a tenté d’apaiser même si les documents sur lesquels elle s’appuie (Cf. FA du 24/05/2014) ont été depuis longtemps étudiés par Joseph Rennard (Revue d’histoire des colonies, t.36, n°127-128, 1949).

Quoi qu’il en soit, la ferme volonté de nos voisins de faire fructifier l’idée de cette naissance sur leur sol est le signe évident qu’ils veulent leur part de Joséphine pour attirer des touristes. D’autres aussi sont sur l’affaire : Noisy-leGrand, ville natale d’Alexandre de Beauharnais son premier époux, inscrit sur ses plaquettes touristiques et site Internet, les liens entretenus avec l’impératrice ; en 2014, année du bicentenaire de sa mort, le Sénat lui consacra une exposition. Bilan : plus de 200 000 visiteurs en 4 mois d’exposition à 20 euros l’entrée. En direct de la Caraïbe et de l’Hexagone, voilà quelques leçons d’exploitation de l’image de Joséphine comme potentialité touristique !

Il ne s’agit pas de nier que Joséphine fut esclavagiste. Personne n’est assez « ababa » pour soutenir qu’elle n’ait pas été porteuse des représentations, normes, valeurs, idées, stéréotypes, préjugés, bref, des mœurs de la socio-classe à laquelle elle appartenait. Il ne s’agit pas non plus d’en faire un héros national.

Il s’agit, en toute conscience de ce que nous sommes et surtout libérés de tout esclavage mental, d’utiliser la renommée mondiale d’un personnage de l’histoire martiniquaise pour en faire un produit d’appel touristique. Et par là même, faire connaître notre histoire à ce monde, notamment le rôle joué par la caste à laquelle appartenait Joséphine. Il y a là une dialectique fructueuse à défricher.

Source: France-Antilles du 02/10/20