« Nos adolescents d’aujourd’hui », un livre de Julie Ostan-Casimir(*)

L’éducation bien-traitante contre le violence

Julie Ostan-Casimir est psychologue clinicienne, docteur en psychologie de l’enfant et de l’adolescent (1983), docteur en psychopathologie et psychologie clinique (2006).
Après Ces enfants en échec scolaire massif (2009), Adolescents dans la tourmente, Troubles des conduites et des comportements
(2013), L’éducation bientraitante contre la violence (2015), elle analyse dans Nos adolescent d’aujourd’hui l’épineuse question des adolescents.

Sur un plan général, les jeunes ne semblent pas bénéficier d’une place hospitalière dans nos sociétés. Le concept adolescent semble porter des représentations négatives. Ces jeunes feraient l’objet de stigmatisations d’adultes.
En Martinique, une partie de la population vieillissante, chimérique, regrettant le pays antan lontan, pourrait avoir tendance à porter un avis généralisé sur toute une classe d’âge. Actuellement, 58 % des adultes ont entre 20-64 ans et les plus de 65 ans représentent 17 %.
Les parents aussi appréhendent la période. « Mon Dieu ! disent certains. Comment vais-je le protéger des mauvaises fréquentations ? J’ai peur de la drogue pour lui. »

““Pour le salut des adolescents, pour le salut de leur immaturité,
ne favorisez pas leur accession à une fausse maturité
en leur transmettant une responsabilité
qui ne leur incombe pas encore,
même s’ils luttent pour l’obtenir.
Donald Winnicott.”

Madinin-art : Pourquoi avoir écrit cet ouvrage ?

Julie Ostan-Casimir : Je me suis penchée en 2009 sur l’épineux problème des enfants et adolescents en échec scolaire massif, puis suite à ma seconde thèse de doctorat, j’ai publié adolescents dans la tourmente en 2013

mettant en exergue une enquête menée sur le terrain en Martinique, à l’aide de différents outils, afin de porter des éléments d’analyse sur les profils psychologiques des jeunes qui posent un trouble des conduites et des comportements.

Suite à ces différents travaux, J’ai souhaité attirer l’attention en 2015, des parents, enseignants et autres adultes sur la nécessité de mettre en place une éducation définie « bientraitante », pour contrer la violence. Ce troisième ouvrage a concerné l’éducation des enfants.

Ce quatrième met l’accent sur certains aspects psychologiques de l’adolescence, réfléchissant sur l’aménagement de la dépendance pendant la période, avec souligné les bienfaits de l’éducation bientraitante.

M’A: Qu’appelez vous éducation bientraitante :

J.O-C : L’éducation en processus, que nous définissons bientraitante, participe à l’élaboration de la personnalité. Elle ne se réduit pas à l’absence de maltraitance, ni ne se définit comme le contraire de la maltraitance. Elle est la démarche positive qui vise à promouvoir le bien-être de l’enfant et répond à ses droits. Elle en appelle au questionnement, sollicitant un aller-retour entre penser et agir. (J. Ostan-Casimir, L’éducation bientraitante contre la violence, 2015) D’une façon générale, « des soins « maternels » satisfaisants, il découle l’édification chez l’enfant, l’adolescent d’un sentiment de sécurité.

L’éducation doit permettre à l’individu d’utiliser ses possibilités au maximum, de faire face aux difficultés qu’il rencontrera inévitablement dans la vie et de s’adapter à l’évolution sociale de son temps qui peut avoir une répercussion directe sur son mode de vie, son activité professionnelle.

 La finalité est de former des citoyens qui trouvent un sens à leur vie.

M’A : Vous dites que 90 % de ces adolescents en Martinique semblent aller bien ?

J.O-C : Ce quatrième ouvrage donc, se penche sur le développement de l’adolescence dit « ordinaire » dans nos régions. J’ai souhaité pour commencer mon étude porter une analyse sociologique, recourir à des chiffres clés présentés par différentes institutions de Martinique, Guadeloupe, Guyane, pour tenter de situer des sujets dans leur dynamique sociétale, ouvrir aussi le lecteur aux difficultés que rencontrent certains enfants, certains jeunes.

S’agissant de la Martinique, selon le directeur de la santé publique lors de la présentation des chiffres de la délinquance en 2013, il est observé une montée puissante et violente de la délinquance, mettant en cause 10 à 15% des mineurs et jeunes majeurs.

Selon les chiffres clés de la Direction Régionale de la jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale(DRJSCS) de 2016, les chiffres de la santé mentale des 15-30 ans sont sensiblement les mêmes en comparaison avec ceux de la France hexagonale. Et pour Patrice Huerre, chef de service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent en France métropolitaine, 90% des adolescents vont bien.

Toutefois, les transformations de la société violentes quelquefois, les mutations familiales, l’évolution des mœurs demandent à considérer la période et à penser ou re-penser l’accompagnement éducatif.

Ainsi, je me suis attachée à interroger la période dite de latence en lien avec l’hypersexualisation que subissent nos sociétés, les conséquences sur le développement et les voies de dégagement.

M’A :-Qu’est-ce que cette période de latence et que signifie l’hypersexulisation?

J.O-C : Il est mentionné par les psychanalystes, que la période de latence « marque un temps d’arrêt dans l’évolution de la sexualité ». Il est observé pendant la période qui va de la cinquième ou sixième année jusqu’au début de la puberté à une diminution des activités sexuelles infantiles, à la désexualisation des relations et des sentiments. La prévalence est à la tendresse, à l’apparition de sentiment comme la pudeur, les aspirations morales. Est-il encore exact, compte tenu de l’évolution de nos sociétés, de parler aujourd’hui de désexualisation des relations.

Actuellement, les enfants attendent la phase adolescente avec impatience. Ils se vivent “grand”, aidés en cela par la société et la publicité qui y concourent fortement. Des enfants insuffisamment équipés pourraient présenter des difficultés à exploiter le potentiel que leur offre la période pour se préparer à se confronter aux remaniements que va leur imposer l’adolescence.

Il y a quelques années, des enfants en période de latence ne mettaient pas le corps et la séduction en avant. Le plaisir passait par les jeux, les enjeux intellectuels. Dans nos sociétés modernes, voire postmodernes, on parle d’hypersexualisation. En donner une définition est difficile, car la notion n’en présente pas une unique qui ferait l’unanimité.

Sur un plan général, il est question d’hypersexualisation de la société lorsque la sexualité envahit tous les aspects du quotidien, relayée par les publicités, internet ou tous autres médias. Une définition retient notre attention : «  Des magazines à la publicité, de la télévision à Internet, des films aux images fixes, la société actuelle subit un vacarme sexuel assourdissant caractérisé par une banalisation de la pornographie et du sexe-marchandise. Le sexe est partout. Il s’achète, se vend, se loue, et il vend et fait vendre… » Il est observé en conséquence une sexualisation précoce. « On parle de sexualisation précoce lorsque des enfants développent des attitudes et des comportements sexués ne correspondant pas à leur stade de développement psychologique et sexuel. » Les fillettes, jeunes garçons et jeunes filles “sexualisées” imitent les adultes. Des caractéristiques qui jusqu’alors faisaient partie d’une sexualité adulte leur sont attribuées. La séduction est survalorisée. Ils, elles doivent être “sexy”, disponibles. Les enfants vulnérables sont visés spécifiquement par des compagnies de marketing qui leur proposent des modèles et produits très sexualisés, tels poupées, vêtements, jeux, dessins animés et téléréalités diffusés aux heures de grande écoute.

Par ailleurs, nous explique un psychanalyste, nous vivons actuellement dans une société exhibitionniste. Pour exister, s’exhiber devient nécessaire, ajoute-t-il. Et  cet exhibitionnisme social, politique, professionnel s’accompagne d’un exhibitionnisme sexuel ». Les images publicitaires s’y mettent. Ainsi, entre autres exemples, nous avons pu voir sur les écrans en Martinique que telle bière présentée est symbolisée par une éjaculation symbolique pour marquer les effets orgastiques. Le plaisir de manger telle glace est vanté et démontré par l’apparition d’une femme la suçant de façon lascive. Il est véhiculé une image déformée, caricaturée de la femme plus particulièrement, de la sexualité.

La pornographie semble devenir une voie à l’initiation sexuelle des jeunes.

Le jeune qui devient adolescent et qui cherche à regarder un film porno, il n’y a là rien de bien grave. Le jeune cherche à savoir. Par contre, lorsque l’adolescent pense qu’il a dans de tels films une représentation réelle de la réalité, les choses se compliquent et la situation est inquiétante. La sexualité est montrée, présentée, exhibée, avec des images marquées par les stéréotypies, véhiculant violence dans des rapports déshumanisants.

Ces jeunes visionnent un film ou plusieurs d’une heure trente avec  des séquences en gros plan d’organes sexuels. Certains se trouvent bloquer et ne parviennent pas à accéder à une sexualité génitale, à instaurer des relations amoureuses. Ils se donnent entre autres, peu de valeur, ne peuvent rivaliser avec ces femmes et/ou ces hommes bien pourvus.

Plus largement, le mode éducationnel est à interroger. L’accompagnement éducatif commencé dès l’enfance, poursuivi pendant la période de latence, le dialogue favorisé, la relation de confiance instaurée, incitent le jeune à discuter, à parler de lui, à échanger sur la sexualité. Il est important, de parler d’amour, d’autant qu’il semble que  les représentations romantiques soient plus importantes qu’hier.

Il est fondamental, que les parents ne parlent pas et ne décrivent pas leur propre sexualité à leurs enfants. La vie amoureuse de leurs parents ne les concerne pas.

M’A :-Une seconde partie s’intéresse au développement psychologique ?

J.O-C : Nous nous intéressons entre autres, à l’aménagement de la dépendance pendant la période.

L’enfance a pour un grand nombre le gout de la dépendance. Aussi mourir à l’enfance symboliquement suppose une fin des attachements d’un temps, évoque un travail de deuil que les uns et les autres devront accomplir. La dépendance est à traiter avec prudence car lorsque le jeune reste dramatiquement dépendant, cette dépendance pourrait faire lit des tendances addictives, voire d’une vraie toxicomanie. Nous avons occasion de traiter ainsi de la consommation des substances psychoactives chez le jeune.

M’A : Qu’entendez-vous par substances pychoactives ?

J.O-C : Le terme de substance psychoactive est préféré à celui de drogue. Aujourd’hui pour nommer l’ensemble des produits qui agissent sur le cerveau, y compris le tabac et l’alcool. Ce terme est utilisé car plus neutre et plus précis, selon la définition de l’Institut national de prévention et de l’éducation pour la santé.

Nous verrons et nous rappelons aussi que le cerveau de l’adolescent est plus vulnérable aux substances psychoactives que le cerveau de l’adulte. Les recherches en imagerie récentes, ont montré que l’adolescence s’accompagne d’importantes transformations cérébrales. C’est à l’adolescence précisent les experts que le cerveau passe par plusieurs étapes clés de son développement.

M’A : Quels sont les thèmes abordés quand vous parlez de culture des adolescents ?

J.O-C : De nos jours, les ados semblent posséder un pouvoir d’achat. Ils parviennent par différents moyens à participer à la société de consommation. Ils sont fortement appelés dans et par la publicité. Ils sont ciblés par les publicistes sur des marchés comme le fast-food, la téléphonie, les vêtements, les boissons… Le marketing et la communication publicitaire savent comment les inciter à acheter les produits. Ils travaillent “le manque” pour susciter un désir, pousser le sujet à la consommation. Ils  ont fait des adolescents leurs cibles privilégiées, car ces derniers représentent un marché et un potentiel inestimable. Les jeunes apparaissent sur les écrans, la télé particulièrement, et sont mis sur la scène, acteurs promouvant des produits. Objets utiles, futiles, inutiles sont présents sur le marché de la consommation. Actuellement, nous remarquons bien que les messages sont adressés directement aux enfants qui entrent en scène sur les panneaux publicitaires, sur les écrans. Des messages s’adressent aussi aux parents, à la femme souvent, au premier plan, accompagnée de l’enfant activement acteur. Une des fonctions de ces objets est de pacifier les relations entre parents et adolescents. La proposition de produits à profusion donne l’impression que ces objets de plaisir viennent combler les difficultés, donner aux adultes, aux parents, les moyens pour acheter une paix, abolir les conflits qui pourraient se manifester.

Nous essayons de donner sens à la mode des tatouages et piercings.

M’A : Des chapitres s’intéressent aux enfants et adolescents face aux écrans ?

J.O-C : « Le numérique est de plus en plus présent à l’école, précise le France-Antilles junior du jeudi  31  août 2017 (n° 14 912). Les tablettes, tableaux numériques et clubs de robotiques débarquent dans les écoles et collèges. Le numérique a entraîné l’apparition de différents outils et une révolution dans la communication. Bien utilisées, les tablettes peuvent être un excellent outil pour apprendre. »

 Dans ce Nouveau Monde numérique qui tente de s’imposer à chacun, les enjeux de développement émotionnel et affectif, relationnel et social sont immenses. Ces objets numériques sont capables du meilleur et du pire dont « l’éveil, la sollicitation de l’intelligence, la socialisation, mais aussi la dépendance plus ou moins pathologique, l’oubli de la vie réelle, et l’illusion. »

Les contes et les légendes qui instaurent la distance entre le réel et l’imaginaire, la formule magique du “timtim bois sec” ou encore “Il était une fois…” indiquent au sujet une entrée dans l’imaginaire. Avec le numérique, il entre de plain-pied dans le monde du virtuel.

Les aspects positifs du numérique sont effectivement nombreux. L’intelligence est sollicitée, la vie sociale enrichie. Les outils sont utilisés pour les loisirs (jeux, discussions, échanges, entre autres exemples), pour les apprentissages. Les logiciels aident à la lecture, au calcul. En cas de troubles spécifiques ils sont utilisés par les orthophonistes, les psychomotriciens, entre autres, pour rééduquer, dyslexies, dyscalculies….

Les points négatifs se révèlent sérieux, particulièrement à l’adolescence. La dépendance menace certains jeunes.

Des parents se sentent larguer face aux évolutions rapides. Pourtant, la protection de l’enfant est nécessaire. La démarche est certes de protection. Elle est aussi de précaution, de prévention et d’éducation, tout au long de la croissance vers l’âge adulte. 

«  Tous doivent considérer que les outils numériques, les relations qu’ils permettent et les images qu’ils transportent, si puissamment séduisants et accessibles aux jeunes, appellent une réflexion nouvelle sur l’apprentissage de la liberté responsable, de la sexualité et du respect de la vie privée de chacun », nous dit l’Académie des sciences (2013).

Des parents accusent souvent les jeux vidéo, « ces jeux inutiles  », de mobiliser l’attention de leur enfant ou de leur adolescent. « Ils perdent leur temps, disent-ils, avec ces jeux qui sont responsables des résultats scolaires qui pourraient être meilleurs. »

Des jeux vidéo comportent bien des aspects positifs analysés par l’Académie des sciences.

Il est démontré que leur pratique peut avoir une influence importante sur différents paramètres comme le développement des fonctions cognitives et spatiales, chez l’enfant et l’adolescent.

Ces outils numériques possèdent une puissance inédite pour mettre le cerveau en mode hypothéticodéductif. Des sujets ont la possibilité de développer et d’exploiter notamment la concentration, leurs capacités déductives, de mettre en valeur leurs capacités d’anticipation.

Certains cependant sont l’objet de comportements problématiques que nous allons analyser.

Par ailleurs, de nombreuses personnes pensent que la consommation d’images violentes entraîne des comportements violents.

Quelle serait l’influence des images violentes sur les comportements? Le cinéma, les jeux vidéo entre autres sont mis en cause.

Les histoires de vie sont à considérer. Des motifs pourraient émerger, causés par maltraitance, abandons…

Les chercheurs de remarquer : «  Face à une personne violente qui regarde souvent les images violentes, il est impossible d’affirmer qu’elle serait violente pour cette raison. L’observation des conduites d’autrui n’est qu’un facteur parmi d’autres qui influencent les conduites agressives. 

S’agissant des jeux vidéo, il apparait que ceux-ci ne peuvent expliquer à eux seuls les comportements violents.

Le passage à l’acte violent s’explique avant tout par l’histoire de la personne et son environnement à la fois familial, éducatif et social. Bien souvent, l’organisation de la personnalité révèle des pathologies sous-jacentes avérées.

Toutefois, la création de jeux vidéo et d’émissions de tv valorisant l’entraide, la résolution pacifique de conflits et les comportements prosociaux doit être encouragée.

(*)Psychologue clinicienne (Paris, 1978), Docteure en psychologie de l’enfant et de l’adolescent (Paris, 1983), Docteure en psychopathologie et psychologie clinique (Toulouse, 20006)