« Nature humaine » de Serge Joncour, Prix Femina 2020

La France est noyée sous une tempête diluvienne qui lui donne des airs, en ce dernier jour de 1999, de fin du monde. Alexandre, reclus dans sa ferme du Lot où il a grandi avec ses trois sœurs, semble redouter davantage l’arrivée des gendarmes. Seul dans la nuit noire, il va revivre la fin d’un autre monde, les derniers jours de cette vie paysanne et en retrait qui lui paraissait immuable enfant. Entre l’homme et la nature, la relation n’a cessé de se tendre. À qui la faute ?
Dans ce grand roman de « la nature humaine », Serge Joncour orchestre presque trente ans d’histoire nationale où se répondent jusqu’au vertige les progrès, les luttes, la vie politique et les catastrophes successives qui ont jalonné la fin du XXe siècle, percutant de plein fouet une famille française. En offrant à notre monde contemporain la radiographie complexe de son enfance, il nous instruit magnifiquement sur notre humanité en péril. À moins que la nature ne vienne reprendre certains de ses droits…

  • 400 pages – 148 x 220 mm 
  • Broché 
  • EAN : 9782081433489 
  • ISBN : 9782081433489

« Nature humaine » de Serge Joncour, Prix Femina 2020 : un jeune paysan et les affres de l’amour

 Par Alexis Brocas

Serge Joncour confronte un jeune paysan éleveur aux affres de l’amour et séduit… le jury du prix Femina.

Il s’appelle Alexandre Bertrange, il est agriculteur et porte sur ses épaules l’avenir de la ferme ­familiale. Elle s’appelle Constanze, elle est étudiante, Allemande de RDA et militante antinucléaire. Ils se rencontrent en 1976 à ­Toulouse, et pour attirer son attention, Alexandre va prendre de gros risques, et frayer avec des ­activistes violents – très intéressés par ses stocks d’engrais, dont un artificier pourrait faire tant de choses…

Doué d’une plume qui sait ­épouser les contours de la réalité sans l’enchanter, Serge Joncour est l’un des rares auteurs français capables de raconter des histoires d’amour sans sombrer dans la mièvrerie – il l’avait déjà bellement prouvé dans les nouvelles de Combien de fois je t’aime ou dans le roman L’Amour sans le faire. Et c’est sans doute par cette écriture tendre et cependant lucide qu’il a conquis le prix Femina. Son roman, le bien titré Nature ­humaine, qui peut se décrire comme le récit d’une passion amoureuse avec assez de ­complications, de ­disparitions et de ­rebondissements pour remplir une vie. Mais c’est aussi l’histoire, de 1976 à 2000, d’une ferme du Sud-Ouest ­plantée dans un décor idyllique. Et, plus largement, l’histoire d’une paysannerie menacée et contrainte à vendre son âme pour ne pas ­mourir.

Un roman sans cynisme où l’amour est omniprésent
A l’inverse de sa belle, Alexandre n’a pas d’éducation politique, pas d’opinion préconçue. Comme son père avant lui, c’est depuis sa ferme qu’il voit l’histoire avancer ou dérailler. Le roman raconte ainsi l’avènement des vaches en batterie, dont la viande, bien rouge grâce aux colorants, se vend mieux que celle des bêtes élevées en plein air. Il décrit de même les terres lessivées par les engrais, la crise de la vache folle, les autoroutes que la globalisation en marche veut faire passer par chez vous, les steaks congelés qui font le tour de la planète… Voilà les fermiers obligés de se faire exploitants, de grandir pour ne pas périr, et tant pis pour le lien qui les rattache à leur terre et à leurs bêtes! Alors que ses sœurs feront des études et s’égaieront en ville, il devra assurer la continuité d’un monde millénaire dans une époque à la fois obsédée par le changement et malade de ses effets secondaires. Un combat perdu d’avance?

Et pourtant, s’il finit par décrire, au sens littéral, un paysan au bord de l’explosion, Nature humaine n’est pas un sombre remake du Sérotonine de ­Houellebecq. Le cynisme y est absent et l’amour, omniprésent. Celui d’Alexandre pour Constanze, bien sûr, qui survit à toutes les femmes qui lui succéderont. S’y ajoute, comme toujours chez Joncour, la bienveillance de l’auteur pour son personnage. Et l’amour mêlé de haine que celui-ci éprouve pour sa ferme – qui est à la fois la mémoire de sa famille, son gagne-pain et sa prison.

Mais son histoire peut aussi donner lieu à des collisions comiques, comme lorsqu’un photographe de pub débarque chez les Bertrange pour immortaliser un jambon industriel dans le décor naturel de leur exploitation qui n’a jamais vu le moindre cochon. C’est grâce à de telles scènes, entre le sketch et la parabole biblique, que ce roman ancré dans un terroir parvient, mine de rien, à nous parler de l’absurdité du monde et de l’amour qui nous en console.

* Nature humaine, de Serge Joncour. Flammarion. 400 pages. 21 euros

 

 
Source : LeJDD.fr