« Murs-murs », de la crédibilité au théâtre

— Par Roland Sabra —

C’est du Nigéria que nous vient ce texte de l’autrice Zainabu Jallo mis en scène et joué par la comédienne, danseuse et saxophoniste belge d’origine rwandaise Carole Karemera, accompagnée de Cécilai Kankonda. Des trois personnages présents dans le texte initial il n’en demeure que deux. Lola, la psychologue clinicienne et Malinda la « criminelle », celle qui par un acte, au dehors d’elle- même, a tué son Daniel de mari, cet homme violent qui la tabassait. Elle attend son procès dans sa chambre du bloc L, celui des individus dangereux de quelque manière que ce soit, et reçoit la visite de Lola qui vient l’«expertiser »(!) L’une sujet connaissant , l’autre objet de connaissance, le cadre ainsi posé ne tiendra pas. Cette opposition va très vitre est subsumée par les conditions vie des femmes au Rwanda. Les violences conjugales dont était victime Malinda ne sont pas étrangères à la situation que vit Lola. Elle aussi est confrontée aux coups d’un mari, Ali. Cette communauté de situation l’emportera sur les oppositions de statuts qui les définissaient. Et Malinda maïeuticienne avérée, délivrera Lola de ce qu’elle n’osait dire dans un renversement des rôles frisant le contre-emploi.  À la fin de la pièce quittant les habits, les costumes, qui les définissaient, elles partiront, sororité marchante, bras dessus, bras dessous, en tenue de ville vers le tribunal. La pièce est en quelque sorte le chemin vers une « révélation » : les violences masculines à l’égard des femmes sont le lot de toutes les sociétés patriarcales quelque soit la situation sociale des unes et des autres. Les prénoms des maris de Daniel à Ali balaient le spectre d’un certain monothéisme.

Extraits :

Malinda : Si la société décide que tu es une femme que les hommes veulent tenir dans leurs bras
Lola : Tu peux les laisser te prendre dans leurs bras, toute la journée. Après tout, ils s’exercent toute leur vie, pour avoir des corps forts, des muscles tendus. Et peu d’entre eux veulent réellement embrasser cette énigme que nous sommes et admettre qu’ils n’en connaîtront jamais la réponse. Mais nous devons leur faire savoir que ne sommes pas la réponse, nous ne sommes pas le problème, nous ne sommes pas une chanson, ni un poème ou une blague …
Malinda: Si la société décide que tu es une femme que les hommes veulent toucher, laissent-les te toucher.
Lola : Parfois ce n’est même pas toi qu’ils cherchent à atteindre, parfois c’est une porte, un pommeau de douche, une clé ou un sandwich, mais leurs mains t’ont trouvé en premier.
Malinda : Mais si ils te touchent violemment, te brutalisent psychologiquement ou physiquement, Hurles, cries, pars en courant, Rappelles-toi tu es femme, tu es peau, os, veines et sang. Et rappelle-toi que chaque jour x femmes se roulent par terre de douleur, sous les coups de leurs hommes et meurent.

Le plateau est un carré de deux mètres sur deux avec deux tabourets dans la diagonale des coins. Des tubes dessinent la dimension cubique de l’enfermement. Au sol, des papiers, ou des tissus multicolores, pour une terre indéfinie, pour un pays de tous les lieux possibles. Le dispositif est conçu pour un théâtre d’appartement.

Le théâtre est le lieu d’un partage d’émotions. Il n’y a pas d’identification du spectateur aux personnages, mais plutôt la reconnaissance de l’évocation d’une situation qu’il traverse ou qu’il a traversée. Dans Murs-murs, Lola, la psychologue, entre d’emblée dans le discours de Malinda, qui dès les tous premiers échanges mène le jeu et prend le pas sur la clinicienne. Lola est sous emprise dès le début. Elle ne tient pas sa position.  On comprendra plus tard que la communauté de souffrance qu’elle partage avec Malinda en est sans doute la cause. Mais se pose un problème de déontologie. Un clinicien n’ayant pas la distance suffisante pour être en relation avec un patient ne doit-il pas passer la main à un confrère, une consœur ? Que la souffrance de l’autre fasse écho en soi est la condition pour l’entendre, mais c’est un écho maîtrisé. Faut-il qu’il n’y ait pas d’instance de régulation, de séance de débriefing, pour que Lola persiste à se laisser submerger par le dire de Malinda? Auquel cas l’universalité du propos en pâtirait renvoyant le cas évoqué à une zone géographique en mal de développement. J’ai été le seul apparemment dans la salle à être gêné par cette situation peu claire, ambiguë, peu crédible, au delà encore une fois du fait qu’une psychologue clinicienne puisse être victime de violences conjugales. Une spectatrice rappellera, lors des échanges après la représentation qu’il n’était pas nécessaire pour un psychologue clinicien d’avoir fait un travail sur soi pour exercer. Certes, mais on peut changer de psy.

Par ailleurs la pratique du théâtre d’appartement, semble induire une diction à voix basse sur le mode de la confidence mezza voce pas toujours audible. Un homme de théâtre africain, bien connu en Martinique, il y séjourne depuis si longtemps, le fera remarquer avec force et justesse.

Fort-de-France, le 07/03/20

R.S.