Mostra de Venise 2025 : un palmarès entre engagement politique et émotion intime

— Par Sarha Fauré —

La 82e Mostra de Venise, qui s’est achevée samedi 6 septembre, a couronné une édition aussi artistique que résolument politique. Dans un contexte international tendu, où la guerre à Gaza a imprégné débats, discours et créations, le jury présidé par Alexander Payne a surpris en attribuant le Lion d’or au cinéaste américain Jim Jarmusch pour son film Father Mother Sister Brother. Un choix qui a fait débat, tant le film choc The Voice of Hind Rajab, grand favori, semblait incarner la puissance émotionnelle et politique du cinéma engagé.

Un Lion d’or pour l’intime

Avec Father Mother Sister Brother, Jarmusch signe un triptyque minimaliste entre le New Jersey, Dublin et Paris, porté par un casting prestigieux (Adam Driver, Cate Blanchett, Tom Waits). Dans ce film contemplatif où les silences en disent souvent plus que les mots, le réalisateur de 72 ans explore les liens familiaux avec tendresse et sobriété. Présent sur le tapis rouge avec un pin’s « Enough » accroché à la veste, Jarmusch a rappelé que « l’émotion et l’empathie sont une forme de politique », préférant une approche indirecte au militantisme frontal.

Un Lion d’argent bouleversant pour Gaza

Le Lion d’argent, deuxième récompense la plus prestigieuse, a été remis à The Voice of Hind Rajab, de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania. Le film retrace le calvaire de Hind Rajab, fillette palestinienne de 6 ans tuée à Gaza début 2024 après avoir passé des heures au téléphone avec les secours du Croissant-Rouge, dans l’attente d’une aide qui n’est jamais arrivée.

Construit à partir des enregistrements réels de ces appels désespérés, le film a bouleversé la Mostra, recevant une standing ovation de 23 minutes. Sur scène, Ben Hania a dédié son prix à « toutes les victimes palestiniennes » et a dénoncé « un génocide infligé par un gouvernement israélien criminel ». Elle a insisté : « Le cinéma ne peut pas ramener Hind, mais il peut préserver sa voix ».

Des performances marquantes récompensées

La coupe Volpi de la meilleure actrice est revenue à Xin Zhilei, magistrale dans The Sun Rises on Us All de Cai Shangjun. Son interprétation d’une femme rongée par les remords face à un amour du passé a marqué les esprits par sa subtilité et sa puissance émotionnelle. « Je voulais prouver que je pouvais devenir une actrice reconnue au niveau mondial. Aujourd’hui, je suis fière de moi », a-t-elle déclaré émue.

Côté masculin, Toni Servillo a été salué pour son rôle dans La Grazia de Paolo Sorrentino, où il incarne un président veuf confronté à des dilemmes moraux en fin de mandat. Figure respectée du cinéma italien, Servillo a utilisé sa tribune pour dénoncer les violences en Palestine, saluant ceux qui « ont eu le courage de prendre la mer pour porter un signe d’humanité là où la dignité humaine est chaque jour bafouée ».

Autres distinctions

Le prix de la meilleure réalisation a été attribué à Benny Safdie pour The Smashing Machine, portrait brut d’un combattant de MMA en lutte contre ses démons, incarné par un Dwayne Johnson surprenant.

Valérie Donzelli a reçu le prix du meilleur scénario pour À pied d’œuvre, récit d’un photographe quittant sa carrière pour se consacrer à l’écriture.

Le Prix spécial du jury a été remis à Below the Clouds de Gianfranco Rosi, tandis que le prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir a été attribué à Luna Wedler pour Silent Friend d’Ildikó Enyedi.

Enfin, dans la section immersive, la production en réalité virtuelle A Long Goodbye, de Kate Voet et Victor Maes, a remporté l’Achievement Prize. Une œuvre poignante qui plonge le spectateur dans la tête d’une femme atteinte de démence, à travers une expérience sensorielle et émotionnelle inédite.

Une Mostra marquée par la guerre et la solidarité

Au-delà du palmarès, cette 82e édition restera comme l’une des plus engagées de l’histoire du festival. Des déclarations de solidarité à Gaza ont rythmé la cérémonie, culminant avec un message en visioconférence de l’archevêque Pierbattista Pizzaballa, patriarche de Jérusalem : « Il est temps d’arrêter cette dérive. Cette guerre n’a plus de sens. »

La Mostra 2025 aura rappelé que, plus que jamais, le cinéma est un miroir du monde – capable d’embrasser l’intime tout en criant l’injustice.