MJF2015 : une voix qui tutoie les dieux, celle de Dianne Reeves

Un concert d’ouverture inégal mais de qualité

—Par Roland Sabra —

dianne_reevesLe chaudron musical ? Elle n’est pas tombée dedans ! Elle est née dedans !
Le père ? Chanteur ! La mère ? Trompettiste ! L’oncle ? Contrebassiste dans le Denver Symphony Orchestra ! Le cousin George Duke ? Joueur de clavier ! Sa voix ? Elle l’a d’abord vécue comme une malédiction. Il a fallu qu’elle reçoive en cadeau d’anniversaire deux disques de Sarah Vaughan, l’un avec Clifford Brown, l’autre avec Michel Legrand, pour qu’elle découvre ce qu’elle pouvait en faire. Et ce qu’elle en a fait est une pure merveille à force de travail sur les conseils d’un mentor qui en avait formé plus d’un avant elle, parmi lesquels on compte Miles Davis, Qincy Jones. Excusez du peu. Ce trompettiste funambule Clark Terry, décédé en février 2015, lui dit un jour alors qu’elle avait seize ans, qu’elle était sur scène et multipliait les variations autour d’une chanson : « Apprends la mélodie ! »
Dianne Reeves dit aujourd’hui que jamais conseil ne fut suivi à la lettre avec autant de persévérance et d’humilité. Cette humilité des plus grandes. Si elle s’inscrit aujourd’hui dans la lignée des Betty Carter, Sarah Vaughan et Ella Fitzgerald c’est d’avoir trouver sa liberté dans le cadre des grands standards de Broadway en multipliant à l’infini les versions. Le  succès : 95% de travail; 5 % de talent. De Clark Terry elle développé cet art des mumbles , des onomatopées qu’elle introduit comme un feu d’artifice au sein d’une nuit sans lune et sans étoiles dans le classique «Summertime» batu et rebattu par d’autres jusqu’à la nausée.
Dianne Reeves ? C’est une voix à nulle autre pareille qui aillant labouré, hersé le répertoire de celles et ceux qui l’ont précédée peut s’aventurer librement aux frontières de son domaine de prédilection avec cette certitude affichée et assumée dans « Endangered Species » : « I am a woman, I am an artist / And I know where my voice belongs ». Le récital à Fort-de-France au-delà de la coloration jazzy et bluesy s’est donc teinté de belles nuances latino mises en valeur sur scène par une énergie, un humour et une complicité sans failles entre la chanteuse et ses deux guitaristes. Un travail d’épure rappelant à qui l’aurait oublié que la voix humaine avant même de prononcer des mots est un instrument de musique d’une richesse insoupçonnée. La seule fausse note de ce concert clairement perceptible a été un dérèglement passager de la balance du trio au profit (?) de la guitare de Russel Malone et donc au détriment de la chanteuse et de Romero Lumambo. Le musicien de swing, membre du Golden Striker Trio, nominé de nombreuses fois et récompensé aux Grammy Awards pour sa participation à l’album When I Look In Your Eyes, à vite rétabli l’équilibre.

Il y avait un première partie. Jacky Bernard. Les « Bernard » pourrait-on dire. Alors bien sûr comparaison n’est pas raison d’autant plus qu’en matière d’art la raison n’est pas de mise. C’est d’émotion dont il s’agit. Et là l’émotion s’est faite rare. Certes il y avait cette bienveillante nostalgie à les voir après tant et tant d’années, un demi-siècle au moins, fidèles au poste à puiser eux aussi dans un répertoire mais non pas pour faire du neuf mais pour raviver le souvenir et les regrets d’un temps qui n’est plus, un temps qui s’enfuyant se pare de qualités inventées. Bref ça ronronnait et la contribution ponctuelle du quatuor à cordes de Mano Césaire n’a pas bouleversé la salle.
Est-ce à dire que ce qui vient de l’extérieur est toujours meilleur que la production « bokay » ? Non ce n’est pas sur ce que sont les artistes, sur leur « être » domaine insondable, mais sur ce qu’ils font, sur leurs oeuvres, que ce fait l’appréciation. Si Dianne Reeves par la magie de son talent qui tutoie l’irréel pourrait presque nous faire croire en Dieu  (c’est dire!) les « Bernard » nous ramène sur terre, sur cette bonne vieille terre,  certes parfois colérique mais qui est celle de nos amoures, la Martinique. C’est à la fois peu et beaucoup.
Fort-de-France,
le 21/11/2015
R.S.
Piano : Jacky Bernard
Contrebasse, basse : Alex Bernard
Batterie : Guillaume Bernard
Percussions : Nicol Bernard
Premier Violon : Mano Césaire
Second violon : Nona Lawrence
Alto : Damien Poullet
Violoncelle ; Lara Slabiak

Chant Dianne Reeves
Guitaristes : Russell Malone & Romero Lumanbo