Milady se rebelle : Adélaïde de Clermont-Tonnerre, prix Renaudot 2025 pour « Je voulais vivre »

— Par Hélène Lemeoine —

En cette rentrée littéraire 2025, le prix Renaudot a récompensé un roman à la fois audacieux et profondément romanesque : Je voulais vivre d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre (Grasset). En redonnant chair, voix et âme à Milady de Winter — l’inoubliable antagoniste des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas — l’autrice accomplit un véritable tour de force : faire d’une figure honnie de la littérature classique une héroïne moderne, complexe et résolument féministe.

Adélaïde de Clermont-Tonnerre, directrice de la rédaction du magazine Point de vue et déjà couronnée par le Grand Prix du roman de l’Académie française en 2016 pour Le dernier des nôtres, signe ici son quatrième roman. Sous sa plume, la célèbre espionne du cardinal de Richelieu devient une femme de chair et de feu, en quête de liberté dans un monde façonné par les hommes.

Donner la parole à la condamnée

L’autrice s’empare du mythe dumasien sans le trahir, mais en le détournant subtilement. Là où Dumas faisait de Milady la figure de la perfidie, Adélaïde de Clermont-Tonnerre choisit de l’écouter. Je voulais vivre explore la genèse d’une femme marquée par l’abandon, l’humiliation et la soif de reconnaissance. La petite Anne — ainsi nommée par le prêtre qui la recueille — devient Milady à force de blessures et de survie. Sa faute, inscrite dans sa chair par un fer rouge, devient le symbole d’une société qui condamne avant d’entendre.

Dans cette relecture, Milady n’est plus seulement la manipulatrice meurtrière que l’on croyait connaître. Elle devient la victime d’un ordre patriarcal qui ne laisse à la femme d’autre choix que la dissimulation ou la vengeance. Sous la plume de Clermont-Tonnerre, elle prend enfin la parole, refusant d’être un simple objet de désir, d’intrigue ou de jugement moral.

Une réinvention féministe du roman de cape et d’épée

Revisiter Dumas sans en trahir la flamboyance : tel est le pari réussi de Je voulais vivre. On y retrouve les complots de cour, les duels et les intrigues d’espions, mais la lumière change de direction. L’action reste palpitante, la langue vibrante, et la tension dramatique digne des grands feuilletons d’antan, mais l’héroïne n’est plus spectatrice : elle est actrice de sa destinée.

Cette inversion du regard est ce qui donne au roman sa force contemporaine. Milady devient une figure féminine intemporelle, prisonnière d’un monde d’hommes mais jamais soumise à lui. Son parcours, de l’enfance mutilée à la femme redoutée, évoque le combat de toutes celles qui, hier comme aujourd’hui, refusent d’être effacées.

Un souffle romanesque dans une rentrée dominée par l’intime

À l’heure où l’autofiction règne sur les tables des libraires, Adélaïde de Clermont-Tonnerre revendique le plaisir du grand roman d’aventures, du récit ample et incarné. Son écriture moderne, énergique et sensorielle insuffle un souffle nouveau au genre historique.

Nombreux sont les lecteurs à avoir été saisis par la densité de son récit et la profondeur de sa Milady. En version audio, l’interprétation de Claire Cahen ajoute encore une dimension émotionnelle à ce portrait de femme à la fois coupable et bouleversante.

Une édition Renaudot riche en surprises

Le palmarès 2025 du prix Renaudot confirme la vitalité de la scène littéraire française. Le prix du roman revient donc à Je voulais vivre, tandis que le prix Renaudot essai distingue Le Crépuscule des hommes (Robert Laffont) d’Alfred de Montesquiou, un texte vibrant sur les journalistes couvrant le procès de Nuremberg, de Joseph Kessel à Rebecca West. Le prix Renaudot poche, enfin, a été attribué à Boualem Sansal pour Vivre (Folio), un geste symbolique fort alors que l’auteur franco-algérien est emprisonné dans son pays pour ses prises de position politiques.

Quand la littérature revisite ses mythes

En offrant à Milady une voix, Adélaïde de Clermont-Tonnerre invite à reconsidérer tout un pan du patrimoine littéraire sous un regard féminin. Le roman interroge la manière dont les mythes se construisent — et surtout, qui a le droit de les raconter.

Dans un siècle où la parole des femmes se réécrit et se revendique, cette Milady renaissante apparaît comme une héroïne d’aujourd’hui, animée par une même injonction vitale : « Je voulais vivre. »