Massacre d’Oran le 5 juillet 1962

Victimes Pieds-noirs et Algériens partisans de l’Algérie française
Morts Selon l’historien Jean-Jacques Jordi : 326 Européens
Disparus Selon l’historien Jean-Jacques Jordi : 353 Européens
Auteurs Armée de libération nationale (Algérie), auxiliaires temporaires occasionnels, et civils algériens
Motif La lutte GPRA-état-major de l’ALN et l’hypothèse du coup monté
Participants Soldats de l’ALN, d’ATO et civils algériens

Guerre Guerre d’Algérie
Le massacre d’Oran ou massacre du 5 juillet 1962, se déroule à Oran en Algérie, le jour indiqué, trois mois et demi après la signature des accords d’Évian mettant fin à la guerre d’Algérie, deux jours après la reconnaissance officielle de l’indépendance, et quelques heures avant sa proclamation.

Le jour du transfert officiel de la souveraineté entre le gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne, une fusillade — dont l’origine est inconnue — provoque panique et confusion à la place d’Armes, lieu de manifestations populaires fêtant l’indépendance. Si l’on ignore qui prend l’initiative du massacre, les témoignages font état de la présence d’éléments de l’Armée de libération nationale algérienne (en violation des accords d’Évian), d’auxiliaires temporaires occasionnels et de civils algériens, commettant des exactions à l’encontre de pieds-noirs et d’Algériens pro-français. Les forces armées françaises tardent plusieurs heures avant de s’interposer.

Les estimations du nombre de victimes du massacre sont incertaines et vont de 95 tués (dont 20 pieds-noirs et 75 musulmans) à près de 700 Européens morts et disparus et une centaine de musulmans morts et disparus. Des chiffres encore plus élevés sont parfois avancés.

Après soixante ans d’occultation par les pouvoirs publics, le chef de l’État Emmanuel Macron déclare le 26 janvier 2022 devant des associations de rapatriés que le « massacre du 5 juillet 1962 » à Oran, qui toucha « des centaines d’Européens, essentiellement des Français », doit être « reconnu ».

Le contexte
La violence, de février 1961 à février 1962
À la fin de l’année 1960, le FLN commence à se fondre dans la population d’Oran (220 000 personnes) et, durant l’été 1961, l’OAS fait de même dans la population européenne (213 000 personnes). Dans une ville où le terrorisme avait été relativement contenuc, cette double infiltration provoque un déferlement de violence. Aux attentats FLN (à partir de février 1961d) répliquent ceux de l’OAS (à partir d’août 1961). Les attentats — facilités par le fait que les populations sont bien plus mêlées que, par exemple, celles d’Alger — dressent les habitants les uns contre les autres (11 septembre 19612). Chacun voit désormais dans l’autre un possible complice des terroristes adverses. Confrontées à un sanglant chaos, les autorités sont conduites à séparer les deux communautés, ce qui a des conséquences dramatiques pour les nombreux Algériens travaillant dans les quartiers européens. Et la ville, où s’affrontent FLN, OAS, « barbouzes » et forces de l’ordre françaises, devient un champ de bataille jusqu’à l’été 1962, les Algériens et les Européens payant au prix fort des stratégies de terreur, de contre-terreur ou de répression.

La violence, après le cessez-le-feu
Les accords d’Évian (18 mars 1962) ont fixé la date de cessez-le-feu (19 mars 1962) entre la France et le FLN, ainsi que le principe d’un scrutin d’autodétermination de l’Algérie. Après le cessez-le-feu, le FLN n’est plus contenu par l’armée françaiseh et peut donc agir plus librement. Dès le 19 mars, le massacre des harkis commence en Algérie. Dès le 17 avril, une vague d’enlèvements de personnes3 s’abat sur Oran. Les rapts s’effectuent par le moyen de barrages4 établis dans la ville par le FLN, notamment dans les quartiers musulmans que doivent traverser des Européens pour se rendre à leur travail — quartiers où les soldats français ne patrouillent plus. Les enlèvements sont quotidiens. Ils se poursuivent jusqu’au mois de novembre6. On découvre des charniers du FLN5. Les habitants du bled, eux-mêmes visés par les enlèvements, se replient sur la ville. L’épouvante s’installe. C’est en ce mois d’avril que se déclenche l’exode des Européens d’Orank. L’OAS, se lance à son tour dans les attentats visant délibérément des innocents.

Le 26 juin 1962, l’OAS a cessé le combat. Ses effectifs ont quitté la ville pour l’Espagne — les derniers, le 28 juin. Un Comité de réconciliation entre les deux communautés a été créé. Il tient une réunion d’organisation à la préfecture, le 28 juin. Au cours de celle-ci, le chef du FLN d’Oran, le capitaine Bakhtim, se veut rassurant : « L’ALN est présente à Oran. Pas question d’égorgements. Au contraire, nous vous garantissons une vie meilleure11. » Les titres de l’Écho d’Oran donnent à penser que l’heure est à l’apaisement.

Depuis le 25 juin, des camions militaires français sillonnent les rues de la ville, diffusant des messages rassurants, promettant la protection de l’armée française à la population européenne, l’incitant à ne plus avoir peur, à sortir et à reprendre normalement ses activités.

Néanmoins, l’inquiétude est grande, concernant la poursuite des exactions FLN. Car les enlèvements continuent. Du 26 au 29 juin, près d’une centaine de personnes sont enlevées en Oranie ; puis, du 30 juin au 4 juillet, 30 autres. Dans le petit peuple, c’est toujours la peur qui prédomine. On ne peut écarter les images horribles qui ont marqué la fin du Congo belge, deux ans plus tôt. Les Européens continuent de quitter la ville. Mais bateaux et avions sont insuffisants pour assurer l’exode. À partir du 29 juin, en métropole, une grève de personnels de navigation vient tout aggravern. Le rythme des départs d’Oran n’est que de 3 000 par jour.

La lutte GPRA-état-major de l’ALN et l’hypothèse du coup monté

e scrutin d’autodétermination a eu lieu, le 1er juillet. Les résultats en sont connus (99,72 % de voix favorables à l’indépendance). L’ALN de l’extérieuro, jusque-là cantonnée au Maroc, commence à entrer en Algérie le 3 juillet. L’état-major général de l’ALN, allié à Ben Bella, est en pleine lutte pour le pouvoir, face aux modérés du GPRA. Et, au contraire de ce dernier, il est hostile au maintien d’une présence européenne en Algérie. Mohamed Harbi, ancien responsable FLN et historien précise : « Avec la France, la Tunisie et le Maroc, il faut bien manœuvrer. Car si ces États apportent leur soutien au GPRA et bloquent l’ALN à l’extérieur, c’en est fini de la coalition benbelliste […] L’état-major a une vue cynique des choses ; il désire ruiner l’autorité du GPRA. Avec Ben Bella, il ne reculera devant aucun procédé pour se saisir du pouvoir. ».

Ce contexte fournit des arguments à ceux qui soulèvent l’hypothèse de troubles prémédités en haut lieu19. Certes, le massacre du 5 juillet permet à l’ALN de l’extérieur de dire qu’elle entre dans Oran le 8 pour « maintenir l’ordre » — entendant par là que le GPRA est incapable de le fairer. Mais, concernant un coup monté, on est toujours dans le domaine de l’hypothèses.

Dans un compte rendu de livres paru dans la revue Outre-mers20, l’historien Guy Pervillé écrit : « Mais depuis quelques années, l’hypothèse d’une provocation menée par l’ALN du colonel Boumedienne pour discréditer le GPRA et aider à porter Ben Bella au pouvoir, soutenue depuis longtemps par l’un des principaux contributeurs de L’agonie d’Oran, Jean-François Paya, a reçu le soutien des historiens Gilbert Meynier et Jean-Jacques Jordi. Le livre de Guillaume Zeller permet au lecteur une bonne initiation sur ce thème… ».

Le politologue Bruno Étienne, spécialiste de l’Algérie, est seul à désigner un groupe comme responsable des massacres et des enlèvements à Oran le 5 juillet : il s’agit d’après lui d’une katiba (compagnie) de l’ALN de l’extérieur, celle de Cheir Belkacem. Arrivée du camp A de Dar El Kebdani (Maroc) en avant-garde, elle aurait été déjà présente à Oran ce jour-là. Pour Jean-François Paya, une confirmation de cette implication ne pourrait que « renforcer la thèse du coup monté par Oujda22 » (par l’état-major général de l’ALN, basé à Oujda, au Maroc).

L’appel à la manifestation du 5 juillet
Depuis le 1er juillet, des manifestations musulmanes ont salué joyeusement l’indépendance — défilés de voitures chargées d’hommes et de femmes « hurlant des slogans et des you-you mais, en somme, plutôt bon enfant23 ». Le chef de la wilaya V (Oranie), le colonel Othmane, acquis à l’ALN de l’extérieur, a dépêché sur Oran les sept katibast de l’ALN qu’il a pu reconstituer après le cessez-le-feu. Elles ont défilé dans la ville le 3 juillet, encadrant les manifestants19. Ce même jour, 3 juillet, le capitaine Bakhti a donné l’ordre de cesser les manifestations.

Mais 4 au soir elles reprennent24. Car, sur Radio-Alger, le GPRA appelle à de grands rassemblements pour le 5 juillet, jour de la proclamation de l’indépendance. À Alger, les festivités seront présidées par Benyoucef Benkhedda et Krim Belkacem. Cette coloration GPRA de manifestations irrite peut-être les « ultrasu » : selon Jean-François Paya, aucun déploiement de foule n’est prévu en Oranie, bien tenue en main par les benbellistes. À Oran même, le capitaine Bakhti, lié aux ultras, affirme qu’aucune manifestation n’est prévue. Il appelle à la reprise du travail. Le capitaine Bakhti informait jusque-là le général Katz (par le canal du commandant de gendarmerie Humbert) de tout ce qui touchait aux démonstrations de liesse. Il ne le prévient pas d’une manifestation devant se dérouler le jour de la proclamation de l’indépendancev. Il ne le fera que le 5 juillet, « vers midi », c’est-à-dire après le début du massacre.

Les opinions divergent quant à la prise d’initiative de la manifestation…

Le général Katz avance que les gens, ayant entendu Radio-Alger, auraient spontanément décidé de défiler le 5 juillet26.
L’historien algérien Fouad Soufi fait observer que les milieux intellectuels, scouts musulmans et syndicalistes UGTA de la villew étaient hostiles à l’ALN de l’extérieur. Ces modérés, ayant entendu les consignes du GPRA sur Radio-Alger, auraient initié la manifestation au mépris des injonctions du capitaine Bakhti.
Les théoriciens du coup monté, tel Jean-François Paya, souscrivent à cette idée. Mais ils vont plus loin. Le coup de feu mystérieux faisant dégénérer la manifestation « GPRA » aurait été, selon eux, une provocation des benbellistes. En déclenchant volontairement des troubles, les ultras accentuaient l’exode européen, déconsidéraient le GPRA et justifiaient l’entrée de l’ALN de l’extérieur dans la ville.
Jean Monneret balaie ces hypothèses. Selon lui, le FLN benbelliste d’Oran avait parfaitement en main la population musulmane. Elle n’aurait pu spontanément décider de défiler. Quant aux fidèles du GPRA (les modérés), ils n’étaient pas assez influents pour contrarier la volonté des ultras. L’historien affirme d’autre part que l’ALN de l’extérieur n’avait nullement besoin d’un prétexte pour entrer dans Oran. Selon Jean Monneret, la manifestation aurait bel et bien été organisée par le FLN benbelliste tenant la ville. Sur le point de comprendre pourquoi Bakhti n’a pas prévenu le général Katz, Jean Monneret veut y voir l’affirmation d’une distance prise, dans l’ivresse d’une émancipation toute neuve, vis-à-vis de procédures tatillonnes imposées par les Français…

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