Marcel Ophüls (1927-2025)

L’Histoire en question

Le cinéma perd une figure marquante. Marcel Ophüls, réalisateur oscarisé et pionnier du documentaire historique, est décédé le 24 mai 2025, à l’âge de 97 ans, dans sa maison du sud-ouest de la France, où il vivait depuis plusieurs années. Fils du cinéaste Max Ophüls, il s’était fait un nom au-delà des frontières grâce à sa capacité unique à interroger l’Histoire, à déconstruire les mythes et à nous confronter à la mémoire du XXe siècle.

Né Hans Marcel Oppenheimer le 1er novembre 1927 à Francfort-sur-le-Main, dans la République de Weimar, Marcel Ophüls a connu dès son enfance les tumultes du siècle. Fuyant l’Allemagne nazie avec sa famille en 1933, il se réfugie d’abord en France avant de traverser l’Atlantique vers les États-Unis en 1941. Après une expérience en tant que G.I. au Japon, il s’installe à Paris en 1950, où il travaille comme assistant-réalisateur, notamment sur le dernier film de son père, Lola Montès.

L’empreinte de son père, mais aussi son propre parcours et ses origines multiples, nourriront toute son œuvre. Tout au long de sa carrière, Ophüls a su naviguer entre fiction et documentaire, mais c’est bien dans ce dernier genre qu’il marquera son époque.

En 1969, il réalise Le Chagrin et la Pitié, une œuvre monumentale qui change à jamais la perception de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en France. Ce film audacieux et iconoclaste, qui s’intéresse à la ville de Clermont-Ferrand pendant l’Occupation, fait éclater le mythe de la résistance unanimement française, en montrant les zones d’ombre de la collaboration et des compromissions. Interdit de diffusion à la télévision pendant plus d’une décennie, Le Chagrin et la Pitié secoue l’opinion publique et s’impose comme un jalon essentiel du cinéma documentaire, nominé aux Oscars.

Ophüls, un cinéaste « engagé », comme il se plaisait à se définir, n’a jamais cessé d’interroger le passé. Son œuvre suivante, L’Empreinte de la Justice (1976), interroge les responsabilités collectives et individuelles après les procès de Nuremberg. Dans Hotel Terminus (1988), il se penche sur la vie de Klaus Barbie, le « Boucher de Lyon », et sur la protection dont a bénéficié ce criminel de guerre après la guerre. Ce film lui vaudra l’Oscar du meilleur documentaire en 1989. Ce n’était qu’un des nombreux prix honorant son travail rigoureux, son exigence de vérité et son approche exigeante du documentaire.

Les choix de sujets d’Ophüls ne se sont pas limités aux crimes de guerre. Il a aussi exploré des thèmes aussi vastes que la montée de l’extrême droite en Europe, le conflit israélo-palestinien, ou encore la mémoire collective à travers des carnets de voyage comme Un Voyageur (2013).

En dépit de son succès, Marcel Ophüls n’a jamais cherché la gloire. Préférant la sobriété et l’analyse à l’emphase, il était un auteur discret mais déterminé. « Les documentaires restent de la mise en scène », disait-il, toujours critique de l’ »hypocrisie faussement objective ». Son cinéma se caractérisait par un montage audacieux, un style d’interview percutant, et une capacité à interroger les témoins d’une Histoire complexe.

Marcel Ophüls laisse derrière lui une œuvre d’une ampleur impressionnante, une œuvre qui nous oblige à regarder en face nos propres démons et à ne jamais oublier les leçons du passé. Au moment de sa mort, il préparait encore un film sur la montée de l’extrême droite et les tensions au Moyen-Orient, une preuve supplémentaire de son engagement permanent et de son regard lucide sur les évolutions du monde contemporain.

Veuf de Régine Ophüls, il laisse trois filles et trois petits-enfants, ainsi qu’une postérité cinématographique inestimable. La France, l’Allemagne et les États-Unis, où il a vécu et travaillé, pleurent aujourd’hui un homme d’une immense rigueur intellectuelle et artistique. Mais les documentaires de Marcel Ophüls, toujours brûlants de vérité, resteront à jamais des témoins de son époque, et de l’impérieuse nécessité de ne jamais oublier.

Hélène Lemoine

Le chagrin et la pitié

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