Ma présentation du  Festival international de théâtre d’Almada

— par Janine Bailly —

Au Portugal, le 42° Festival international de théâtre d’Almada, outre qu’il occupe les diverses salles de spectacle de la ville, prend aussi ses quartiers de l’autre côté du Tage, investissant à Lisbonne le Centre Culturel de Belém et la fondation Culturgest. Dans sa déclaration d’intention, « Ouvir o público / Écouter le public », le Directeur artistique Rodrigo Francisco rappelle la coutume selon laquelle, depuis 1987, le public du festival a voix au chapitre puisqu’il vote pour désigner sa pièce préférée, celle qui reviendra l’année suivante, « o Espectáculo de Honra / le spectacle d’honneur ». Une tradition qui, selon Rodrigo Francisco, dirait les liens du théâtre et de la démocratie, dont le « berceau commun remonte à la Grèce antique ». 

Une des expositions organisées pour le festival permet aux spectateurs les plus assidus de se remémorer, par la grâce d’images et de courtes vidéos, toutes les pièces élues ! L’an passé, c’est La Tempesta qui a remporté les suffrages, dans la traduction de la pièce de Shakespeare, en langue napolitaine, qu’en fit Eduardo De Filippo – disparu en 1984 mais dont la voix enregistrée assure la narration et l’essentiel des dialogues. Sur scène, quelques 150 marionnettes, extrêmement élaborées, ciselées, travaillées dans le détail, et si bien animées par la Compagnia Carlo Colla & Figli qu’on les croirait vivantes – l’illusion est parfaite –, pour nous conter les aventures de Prospero et Miranda. Le décor figure un théâtre à l’italienne, où se déploient la magie des figurines humaines et animales, la splendeur des costumes, la beauté des paysages qui défilent en arrière-plan et font se lever les enfants dans la salle. 

Écouter le public, c’est donc lui permettre d’exprimer par un vote son opinion, mais encore lui donner la parole lors des rencontres de fin d’après-midi, dans la cour de l’école D. António da Costa, où lorsque le soleil se fait moins ardent se déroulent les interviews des gens de théâtre, toutes catégories confondues. Et le bonheur se décuple quand ce sont de très jeunes gens, filles ou garçons, qui osent poser de judicieuses questions, ou demander à leurs aînés des conseils ! 

Écouter le public, c’est sans doute aussi faire revenir les artistes fidèles, qui depuis un temps plus ou moins long et de façon plus ou moins régulière cheminent en juillet aux côtés du festival, et qui sont porteurs de nouvelles créations : Thomas Ostermeier et la Schaubühne Berlin, Emma Dante et le Teatro Biondo Palermo, Joël Pommerat et la Compagnie Louis Brouillard, Michael Vogel et la Familie Flöz, Baro d’Evel, Le Galactik Ensemble… Il est bon aussi de retrouver des auteurs que l’on aime, et je pense ici à Édouard Louis : en 2021 nous fut proposée, par Ivo van Hove, une adaptation du roman Qui a tué mon père, et cette année c’est Histoire de la violence / History of violence que nous pourrons voir, grâce à Thomas Ostermeier.

Écouter le public, certes, mais aussi prendre pour lui des risques, lui donner la possibilité de découvrir les formes actuelles et novatrices qui éclosent au sein des arts vivants, c’est bien ce que propose la programmation éclectique du festival, où de grands textes, passés ou présents, côtoient des spectacles sans paroles, où danse, cirque d’aujourd’hui, marionnettes et théâtre d’objets se glissent et trouvent leur juste place entre des représentations plus conventionnelles.

La musique ne manque pas à l’appel, qui se donne sur l’esplanade lors de concerts offerts gratuitement chaque soir, ouverts à ceux qui viennent au théâtre comme à ceux qui n’y viennent pas – pas encore !

Almada offre un festival qui veut s’adresser à nous tous, comme une invitation à sortir de notre petit cocon protecteur pour entrer à la fois dans l’imaginaire et la réalité du monde, dans sa dureté et dans sa tendresse. Un festival comme un voyage – le mot est de Inês de Medeiros, à la tête de la Mairie d’Almada –, un voyage qui mène du Portugal vers divers pays d’Europe. Huit créations portugaises et douze venues de l’étranger, dans leurs langues respectives, légendées en portugais. L’opportunité de s’ouvrir aux autres, de s’ouvrir à la différence, et de l’accepter !

Photo Paul Chéneau : Inês de Medeiros & Rodrigo Francisco

Almada, 9 juillet 2025