L’innovation …pour quoi faire ?

— Par Guy Pollier(*) —

J’ai visionné avec beaucoup d’attention le rendez-vous du « Hub Economie » France Antilles consacré à l’innovation, que j’ai reçu comme une grande bouffée d’oxygène, dans un contexte mondial anxiogène, et des résultats d’élections tant locales que nationales, de nature à amplifier nos inquiétudes (pour ceux qui en auraient) à la veille de vacances dédiées à la fête dont certaines tournent à la tragédie.

A cet instant, cette réflexion à l’initiative de FA, pouvait paraitre accessoire, et pour le moins incomprise, tant cette notion (à l’égal de la qualité, de l’efficience…) est abstraite pour beaucoup. Innover… pour quoi faire ?

Les différents intervenants, dans un exercice pédagogique, illustré par leurs expériences et expertises, ont décrit pour l’essentiel les ingrédients qu’il est nécessaire de mettre en œuvre et les différents mécanismes pour y parvenir. Avec brio, avec sérieux, avec humilité et surtout avec passion qui caractérise les curieux et les audacieux, qui se conjugue souvent avec une certaine dose d’inconscience. Car, à petite dose, il faut en avoir pour se lancer dans des aventures entrepreneuriales et humaines, aux risques bien réels. Il convient de le mesurer et d’anticiper tous les obstacles. Prévoir l’imprévisible et déjouer tous les pièges qui vont devoir nécessiter de l’agilité et de l’adaptabilité, en gardant un cap dans le temps long, et sans jamais se laisser aller au découragement. Car le monde est en mouvement perpétuel et rien n’est figé. Aujourd’hui plus que jamais.

Remède contre l’immobilisme et moteur de croissance.

Innover c’est avoir la bonne idée qui réponde à un besoin identifié ou à révéler. Rares sont les vrais produits nouveaux. Car à l’instant où vous imaginez un produit, un service, un concept, d’autres personnes sur notre planète l’ont déjà créé ou sont dans une réflexion très avancée. Il faut rester humble et se garder de tomber dans « le syndrome du réinventé »

Pour ce il convient d’observer, de voyager les yeux ouverts, d’évaluer de possibles analogies, de se projeter dans l’imaginaire du consommateur ou de l’utilisateur. Vient le temps de structurer, de construire, d’adapter l’idée ou le produit au contexte du marché ciblé. Et ce travail est tout aussi noble.

Le drame en Martinique est que « copieur est un métier » qui, trop souvent, ne respecte pas les exigences que sont l’excellence (ou la qualité) et qui torpille des marchés en devenir. Le concepteur originel voyant parfois son projet ruiné par une concurrence déloyale à la vue des services de l’état. Faire une étude de marché c’est déjà s’exposer à un piratage.

Les hypothétiques réussites se heurtent à une multitude de raisons : structurelles, conjoncturelles, culturelles, relationnelles, concurrentielles, et « Goyave sur le Mont Blanc », politiques, sociales et syndicales. Une spécialité maison !

La difficulté de trouver des financements auprès d’un système bancaire frileux a été évoquée, mais il convient de dire que les financements publics, sélectifs dans une attribution à géométrie variable, sont souvent mal utilisés, voire dévoyés. L’état de mort cérébrale de filières de production agricoles, sur fond de malversations avérées, n’offre aucune garantie pour assurer un approvisionnement quantitatif et qualitatif à une agro-industrie supposée devoir répondre à une autosuffisance alimentaire.

La réunion prochaine d’un Congrès qui solliciterait le partage de prérogatives régaliennes, devrait prioritairement se pencher sur la refonte du système de production dans lequel elle est engagée (coopératives, Saem…) en éliminant tous les canards boiteux et en fédérant leurs budgets avec ceux de l’Etat et de l’Europe sur des projets vitaux. Et surtout dans un strict contrôle de leur utilisation. Cela nécessite du courage politique, des esprits libérés de tout calcul personnel ou d’idéologie destructrice, de la rectitude morale, de la concorde, de la cohésion sociale, et du temps.

Mrs et Mmes les élus, « réinventez-vous… innovez vous aussi… dans la rigueur et la cohérence ». Tous nouveaux désordres seraient rédhibitoires.

Dans l’attente des premiers effets de chantiers de long terme, la piste du développement de services numériques me parait, la plus immédiate et plus en phase avec les aspirations d’une jeunesse qui demande qu’à s’investir et à vivre ses rêves. De surcroît elle servirait d’appui au projet global Martinique.

L’innovation est un sujet de partage, de fierté et d’invitation à se surpasser.

J’adresse toutes mes félicitations à France Antilles pour son engagement au service de l’économie et aux participants, qui ont débattu avec clarté devant un auditoire qui m’a paru cependant clairsemé. Et dépourvu de la présence d’acteurs majeurs.

Je reste perplexe devant tant d’indifférence sur des enjeux aussi vitaux et sur la forme d’exercer des responsabilités. Il est vrai, ici comme ailleurs, qu’il est plus facile de se gargariser de formules stéréotypées, anglicisées et trompeuses, que d’impulser une véritable réflexion sur les limites et les potentialités réelles de notre tissu économique et social.  « On ne gouverne pas avec des identités (ou des statuts), mais avec des programmes » pour citer le philosophe Marcel Gauchet.

Le 29 Juin 2022

Guy POLLIER

Ingénieur en retraite