« L’homme qui dormait sous mon lit », un travail épuré pour dire l’essentiel

Les 18 & 19 novembre 2022 à 19h30 au T.A.C.

— Par Roland Sabra —

C’est un texte cruel et tendre à la fois, féroce et drôle dans le même élan, et c’est le style même de Pierre Notte, iconoclaste par passion. Ses écrits, ses mises en scène, les chansons qu’il compose, s’appellent « La Chair des tristes culs » « Je ne vous aime pas », « C’est Noël tant pis », « Chansons pour cœurs pourris »etc. La liste est longue. Dans sa dénonciation des hypocrisies, il est infatigable. « L’homme qui dormait sous mon lit » a été créé en 2020 au Théâtre de la Ville à Paris. Il reprend un thème déjà développé dans  une pièce précédente « Un certain penchant pour la cruauté ». La pièce fait le récit d’une fiction d’un devenir proche, dépeignant une société régie par une idéologie totalitaire, et dont le modèle ne doit pas être imité. C’est la définition, au mot près, de la dystopie. Pierre Notte imagine des lendemains au cours desquels une indemnité serait allouée à ceux qui hébergent un réfugié, et qui obtiendraient une récompense supplémentaire au cas où ledit réfugié, poussé à bout, se suiciderait !

Un bon migrant est donc, dans cette société, un migrant qui se suicide, proprement, sans engager la responsabilité de l’hébergeur pour ne pas dire du « pays d’accueil »

L’hôtesse, une femme blanche, héberge un homme noir dans un petit studio sous les combles. Elle ne supporte plus sa présence : «  Ça fait deux mois que vous êtes là, et vous avez fini le dentifrice ? ». Elle lui serine à longueur de temps : » « Les lames de rasoir sont sous l’évier, à droite. Les lames de rasoir sont sous l’évier, à droite. Les lames de rasoir sont sous l’évier, à droite. » Une médiatrice intervient, c’est une intermittente du spectacle qui entre deux cachetons veille à ce que le le processus convenu parvienne à son terme, : «  « On ne pousse pas les gens par la fenêtre, on les incite – nuance »

A peine imaginable diriez-vous ? Pierre Notte précise : «  Recueillir l’autre, l’accueillir et le sauver, bien sûr. Mais qu’il s’adapte, qu’il prie ses dieux avec discrétion, qu’il ne regarde pas nos filles de travers, qu’il baisse un peu sa musique s’il vous plaît. Et qu’on ait droit à quelque compensation, tout de même. Et quand le bien est accompli, elles ressurgissent toujours, les bestioles immondes de l’égoïsme, de l’autosuffisance, du confort personnel, de la peur qui exclut. Dans le couple, pareil. Dans le travail, pareil. Dans le monde, pareil. Fouiller le pire, c’est toujours aller chercher ce à quoi pourrait ressembler le monde s’il faisait un petit pas en avant vers le pire où on se laisse aller. La poussière sous le tapis, les secrets de famille dans les caves à vin, et le réfugié par la fenêtre… »

Le texte est féroce, sanglant, hargneux, jubilatoire, traversé d’humour noir de part en part et ne verse jamais dans une position moralisatrice. La mise en scène est suffisamment réfléchie, pensée pour mettre le texte à distance. La scénographie dépouillée à l’extrême se contente de quelques traits dessinés sur le sol pour figurer un lit, une armoire, un buffet. Le phrasé, la diction, la double énonciation, le jeu des comédiens qui se dispense de tout accessoire de scène excepté un tabouret de piano, nous rappellent sans cesse, à mille lieues de tout pathos et de tout didactisme, que l’on est au théâtre, avec ce souci de nous faire entendre l’au-delà du texte.

Il faut aller voir « L’homme qui dormait sous mon lit » au T.A.C. à Fort-de-France.