L’Espace Habité d’Alain Joséphine

Tropiques Atrium du 27 mai au 29 juin 2019

— Par Michèle Arretche, Amateur d’Art —

A La véranda de Tropiques Atrium, « l’Espace Habité » par Alain Joséphine, nous donne à voir une mise en scène lumineuse où se répondent petits dessins et grandes, très grandes toiles.

L’artiste nous convie à une promenade à travers les paysages de son enfance, dans la campagne martiniquaise, ou plutôt à travers les impressions qu’ils ont gravées en lui.

Pour ce résultat il en appelle au hasard et aux postures du corps.

Le hasard est revendiqué par l’artiste dans son processus de création, la place de l’aléatoire fait partie de sa réflexion.

Citons Dominique Berthet dans une conférence sur art et hasard : « Jean Dubuffet par exemple, dans L’Homme du commun à l’ouvrage, a souvent parlé de son rapport au hasard. Il y présente l’œuvre d’art comme « l’empreinte d’une aventure » dont on ignore où elle nous mène et dans laquelle « on y lit tous les combats intervenus entre l’artiste et les indocilités des matériaux qu’il a mis en œuvre ». La dimension imprévisible du résultat était pour lui ce qui faisait l’intérêt de la création, ce qui rendait l’œuvre captivante ; à l’artiste de composer avec le fortuit, de l’exploiter et de tenter d’en tirer bénéfice. Laisser le hasard se produire, c’est laisser à l’œuvre toute sa vitalité (…) l’artiste est attelé avec le hasard ; ce n’est pas une danse à danser seul, mais à deux ; le hasard est de la partie »

Une danse ! oui, une danse ! La mise en manœuvre du corps, comme dans un koumbite, un koudmen. Alain Joséphine nous le dit : le fait de vivre dans la nature induit un engagement du corps qui est parfois extrême.

Sa houe c’est son balais, l’artiste, pour ses grandes toiles, est dans un corps à corps physique avec sa création ; les toiles sont à terre dans une sorte de garage, et il entame une danse avec des balais chargés d’eau et de pigments, d’encre de chine et de peinture blanche. Les pinceaux viendront après pour des rehauts, mais toujours en grands gestes assurés de calligraphe inspiré ou, comme il le dit lui même, une gestuelle de travailleur de la terre, travail de la terre au son de la musique, debout à l’aide d’une houe, effort nécessaire pour manier une terre lourde, rouge et collante.

« Les hommes avançaient en ligne. Ils sentaient dans leurs bras le chant d’Antoine, les pulsations précipitées du tambour comme un sang plus ardent. … Brandissant les houes longuement emmanchées, couronnées d’éclair » (Gouverneurs de la rosée, Jacques Roumain).

Mais est-ce vraiment que du hasard et que du corps à corps ?

La présentation en parallèle des petits dessins et des grandes toiles évoque une toute autre démarche. Relisons la page facebook de l’artiste, où il nous met en ligne chaque dessin ou peinture, aussitôt terminés.

« Bienvenue, ici est l’espace actualisé de ma démarche de peintre et de poète (…) Enfin le retour à l’atelier !!! Nouveau challenge : travailler les peintures avec le même processus de création que les dessins…. On commence donc par l’encre de Chine… »

Ces petits dessins (14,6 x 21 cm) numérotés dans l’ordre de leur création, on en est au moins au n° 100 – encres, crayons de couleur, pastels, brou de noix, sont l’essence même de sa création. Nourris de souvenirs, de photographies du pays habité et aimé, plus besoin de grands gestes, seule la lumière, l’énergie et la réflexion.

Pour les grandes toiles, le hasard alors est bien intériorisé, consubstantiel à l’artiste; la composition est très recherchée, la lumière y est travaillée pour que les toiles deviennent des endroits, des espaces habités.

Citons l’historien d’art Pierre Watt : « … le paysage, c’est la nature éprouvée : nature traversée, nature possédée, nature sublimée, nature terrifiante, nature qui échappe à qui tente de la conquérir. L’artiste qui s’adonne au genre du paysage nous offre bien plus qu’une simple représentation de morceaux de nature. Il se fait archéologue, scrutant comme dans un livre le sol où affleure la mémoire de l’histoire humaine, sous forme de traces (…) Le paysage s’impose comme l’une des formes majeures, pudique et émouvante, de l’histoire contemporaine. »

Les grandes toiles ici présentées, ST 109 à ST 119, s’inscrivent dans la filiation des grands peintres du paysage et de la lumière : les nymphéas de Claude Monet, les vues de port de William Turner et le mentor Zao Wou-Ki.

Alors allons partager avec Alain Joséphine cet espace, allons l’habiter avec lui :

« Imperceptible est

Le tremblement du mutisme blanc

A peine incarné dans la fibre

Ailleurs semble-t-il

Là où la lumière

Aveuglément expire »

Michèle Arretche, Amateur d’Art

Le 31 mai 2019

Habiter l’espace

Alain Joséphine

Galerie La Veranda

Tropiques Atrium du 27 mai au 29 juin 2019

Tel 05 96 70 79 29