Les Rencontres Cinéma de Martinique (édition 2015) – Premières impressions

Ma Manman D’lo, Los Hongos.

— Par Selim Lander —

rcm_2015Prenant les « RCM », en marche, nous avons par définition raté beaucoup de choses. Quelques impressions néanmoins sur les premiers films visionnés. Parmi les courts métrages récompensés par le Prix de Court, seul le film couronné, Ma Manman D’lo, retient l’attention. Cette histoire d’un jeune garçon perturbé depuis la mort de sa maman, navigue avec bonheur entre réalisme et fantastique, entre jeux d’enfants et chagrin inguérissable. Les personnages sont émouvants, pas seulement celui du petit garçon, mais encore celui du père, veuf, impuissant à toucher le cœur de son fils. Et tant d’autres : ainsi cet homme qui vient de perdre son frère. Il y a des scènes relevant de l’ethnologie, comme la veillée mortuaire, ou chaque fois qu’intervient le quimboiseur (?), prêtre autoproclamé d’un culte improbable, acharné à rappeler la morte – ou plutôt son esprit – afin qu’elle revienne apaiser son fils. Ce film de Julien Silloray, tourné à Vieux Port, en Guadeloupe (?), est une plongée dans l’univers magico-religieux. Et le spectateur de s’interroger sur l’authenticité de ce qui lui est montré : ces rituels ont-ils toujours cour, ces croyances en les esprits sont-elles encore vivaces ? J. Silloray distille son histoire. La caméra s’attarde sur des visages, des attitudes. Le temps semble comme suspendu, dans l’attente que quelque chose se passe qui adoucira le chagrin du garçon.

Ce dernier, à vrai dire, est rarement seul. Il a un ami de son âge qui le soutient dans sa quête avec une fidélité sans faille. On retrouve ce même schéma de deux garçons dans le long métrage colombien, Los Hongos, d’Oscar Ruiz Navia, à ceci près qu’il s’agit de grands adolescents partageant une même passion pour le street art. Contrairement au film précédent, où une intervention surnaturelle permet finalement d’apporter au personnage central l’apaisement tant souhaité, ici la situation posée au début n’évolue pas : on voit simplement vivre les deux personnages dans leurs familles, à l’école des beaux-arts (brièvement) pour l’un d’entre eux, dans des fêtes de jeunes, et, bien sûr, dans la rue, seuls ou avec d’autres street artists, taggers ou peintres. L’un est noir et l’autre blanc (à moins que ce ne soit le contraire). L’un se déplace sur une planche à roulettes et l’autre sur un vélo trop petit pour lui. Ils sont beaux, tous les deux, mais sont encore à l’âge où les filles  demeurent des êtres imprévisibles et mystérieux.

À défaut d’être pourvu du moindre suspense, le film captive en raison de la variété des situations qui s’enchaînent. Les relations avec les parents sont particulièrement intéressantes. Le jeune noir vit seul avec sa mère, laquelle, dépassée par un fils trop tôt émancipé (les street artists œuvrant la nuit découchent donc souvent), met tout son espoir dans une religion syncrétique mêlant Jésus et la magie (autre point commun avec le film précédent). Quant au jeune blanc, il vit avec une grand-mère très âgée, atteinte d’un cancer, mais douée d’une sagesse et d’une compréhension à toute épreuve. En réponse, son petit-fils est aux petits soins avec elle et lui témoigne une tendresse… attendrissante. Contrairement à son camarade, il est également pourvu d’un père mais ce dernier, chanteur de bel canto sur le retour, qui vit seul dans un appartement à peu près vide, n’est pas d’un grand secours. Si personne ne roule sur l’or, le manque d’argent, quoique souvent évoqué, ne semble jamais peser. Le film se montre plus réaliste quand il offre des aperçus sur la politique colombienne (corrompue), la police (brutale), les religieux (manipulateurs), les mœurs des jeunes marginaux et leur musique (pas plus agréable à entendre, hélas, que celle prisée par les jeunes Martiniquais !) Si le street art est bien présent dans ce film (tourné dans la ville de Cali), il n’est pas omniprésent. D’une manière générale, l’art, et particulièrement l’art cinématographique, n’est pas ce qui intéresse le plus le réalisateur, davantage attaché à nous faire partager la vie de ses deux personnages principaux ; il atteint son objectif puisqu’il nous y intéresse aussi.