Les raisons d’un avenir incertain pour la Guadeloupe !

— Par Jean-Marie Nol, économiste —
L’attitude insouciante des guadeloupéens face à l’avenir, risque d’hypothéquer le développement économique et social du pays Guadeloupe !
Pour bon nombre de guadeloupéens les pouvoirs publics français ne croient pas en l’avenir économique et à la soutenabilité du modèle social du pays Guadeloupe et tout est la faute du gouvernement et de Emmanuel Macron. Ou plutôt de la distance qui existe entre ce que dit le gouvernement et ce qu’il fait réellement. Comme le dit l’adage : « Du dire au faire il y a au milieu la mer ». En fait, cette perception résulte d’une attitude de comportement paradoxal entre les français de l’Hexagone et les guadeloupéens.

Selon un sondage Ifop l’avenir apparaît comme anxiogène aux yeux de la majorité des Français.
Face à la vision sombre de l’avenir, les consommateurs français culpabilisent, modifient leur comportement mais aussi font pression sur les autres. C’est le principal enseignement de la 35e enquête de l’Observatoire de la consommation Cetelem, présentée le 28 janvier dernier.
Pour une large majorité des Français (84%), l’avenir apparaît comme quelque chose d’inquiétant. 52% pensent que dans le futur, le monde connaîtra plutôt une période de régression. Prévisions alarmistes et angoissantes, chômage, pauvreté, planète en danger, individualisme, digitalisation à outrance, danger du numérique et de l’intelligence artificielle …

Face aux incertitudes de ce monde changeant et instable, certains abordent l’avenir avec inquiétude et pessimisme, mais en Guadeloupe, ils sont encore très minoritaires . En une décennie, les choses ont bien évolué et le désir de consommation à la mode des Trente glorieuses a du plomb dans l’aile. La prise de conscience écologiste est passée par là en France hexagonale mais pas en Guadeloupe .

Aujourd’hui, 44 % des Français disent consommer moins qu’il y a trois ans selon l’étude du 35e Observatoire . Et 32 % envisagent de le faire moins à l’avenir. La raison est loin d’être seulement financière. Moins acheter apparaît de plus en plus comme un moyen de lutter contre une dérive de la société consommation décrite surtout de manière négative. Mais pourtant, en ce qui concerne les guadeloupéens c’est l’insouciance et la légèreté de l’être qui prédominent toujours aujourd’hui en matière de consommation .

Pourquoi cette attitude des guadeloupéens à contre courant de la France hexagonale, et ce alors même que les guadeloupéens se montrent particulièrement critiques vis-à-vis du paysage politique local ? En fait pour certains, la Guadeloupe est victime d’un mauvais leadership politique qui risque de ruiner des décennies de progrès de la départementalisation et couler par manque de vision prospective l’économie du pays . Que pouvons-nous y faire disent d’autres quand on sait que le pays est confronté à de nombreux défis tels que la pollution des sols par les pesticides qui affectent la santé , les tours d’eau qui n’en finissent pas , le vieillissement accéléré de la population, l’exil des jeunes, la faillite des collectivités locales, Etc….

En dépit de ce sombre tableau, nulle prise de conscience apparemment à l’horizon des guadeloupéens, ni changement de comportement responsable se traduisant notamment par une pression sociétale de plus en plus forte exercée sur les autres consommateurs, que ce soit au sein des entreprises ou même au sein des familles. Imputer notre actuelle irresponsabilité à la traite négrière et à la colonisation revient à toujours tenir les conséquences pour les causes. Le recours perpétuel au passé pour y trouver des causes de l’insouciance des guadeloupéens et du mal -développement de la Guadeloupe exclusivement imputables aux autres serait un acte d’abandon face à nos responsabilités. L’insouciance n’a pas sa place dans cette configuration atypique de l’état réel du pays. Pour mieux appréhender la problématique actuelle des enjeux de demain, nous nous devons de brosser un rapide état des lieux et de voir comment les choses peuvent évoluer dans le temps. Le constat actuel est le suivant : Un
chômage en baisse nonobstant une croissance durablement en berne , qui nous oblige à croire que bientôt l’économie de la Guadeloupe s’apprête à entrer dans une zone de turbulences.

Les séquences de l’histoire économique se font sur des décennies, avec des variations sur l’emploi et des croissances moyennement basses . En ce début d’année 2020, les bonnes nouvelles se succèdent sur le front de l’emploi tant en France hexagonale qu’en Guadeloupe , malgré le ralentissement de la croissance. Après l’annonce, en fin de semaine dernière, d’une hausse du nombre des créations d’emplois l’an passé, les chiffres de l’Insee publiés récemment font état d’une forte baisse du taux de chômage, calculé au sens du BIT, en fin d’année dernière. En c’est le cas de la Guadeloupe , et ce alors même que l’on émet l’hypothèse d’une croissance nulle ou proche de zéro sur une période d’une décennie, c’est-à-dire jusque vers 2030. Cette hypothèse est-elle recevable ? Oui. Il n’y a que deux types d’individus qui la rejettent d’emblée, les fous et les optimistes . En nous basant sur cette hypothèse, une seconde question en découle. Quelle crise sociale ou bien politique majeure, pouvant s’avérer redoutable, peut-on envisager à horizon 2030 ? L’éventualité d’un chaos social avec le numérique et l’intelligence artificielle est une hypothèse que seuls, deux types d’individus rejettent d’emblée, les fous et les politiciens.Il va sans doute falloir s’habituer à un PIB en baisse, mais le pays Guadeloupe ne semble pas préparé à un repli de la croissance .

La configuration socio-économique actuelle ne peut qu’aboutir à une crise de société. Les dispositifs de captation financière par les plus aisés sont opérationnels. Du coup les revenus des autres classes sont voués à diminuer. Si de plus on prend en compte l’impact des retraites, le coût sanitaire de la vieillesse et la dépendance, on constate que le travail sera moins rémunéré dans les prochaines années . Et que le chômage risque de rester pendant une décennie en Guadeloupe à un niveau jugé inacceptable. Que sera la croissance de la zone Caraïbe dans 10 ans ? La croissance de long terme en Guadeloupe , c’est fini ! Certains économistes sont d’accord pour dire que la Guadeloupe va connaître une croissance proche de zéro et qu’une crise de l’endettement des collectivités locales se profile à d’ici 2030 . Pourquoi faire dès lors état de pessimisme quand on dit que la Guadeloupe pour des raisons que nous avons déjà moult fois explicité dans nos précédents articles est a priori condamnée pour la décennie actuelle à un faible rythme d’activité et à une crise de croissance ?
La baisse de la dépense publique et le déclin démographique auront leur part dans cette évolution : la baisse du nombre d’actifs réduit la disponibilité du facteur travail, qui est l’une des sources de la croissance. Mais c’est la faiblesse des gains de productivité, c’est-à-dire notre capacité à produire de plus en plus efficacement, qui sera la cause du ralentissement , car la production de biens et services sera anémique en Guadeloupe et bon nombre de ses secteurs productifs connaîtront des difficultés dans les prochaines années .Je pense d’abord au secteur agricole notamment sucrier en raison de la fin des quota , mais aussi au tourisme avec la grande hôtellerie et surtout de pas mal d’industries de transformation existantes aux Antilles qui n’auront plus les moyens de leur développement du fait que le commerce traditionnel sera menacé par le canal digital et par l’ouverture inéluctable des marchés à la concurrence internationale .S’ajoutera le principal problème qui tient à un coût du travail trop élevé, élément particulier d’un problème plus général, celui d’une fiscalité inadaptée et d’une sur-administration décourageant l’esprit d’entreprise. Et pour être complet , il faudra prendre en considération les difficultés financières croissantes des collectivités locales et tenir compte de la chute de la consommation (compte tenu de la révolution écologique) principal moteur actuel de la croissance en Guadeloupe .

Les entreprises seront en manque de capital , et les consommateurs verront fondre leur pouvoir d’achat d’ici 2030.
Dans la décennie qui s’ouvre , la tendance sera à une hausse du besoin d’investissement dans notre économie : il faudra demain deux fois plus de capital qu’il y a dix ans pour créer la même quantité de richesses. S’ajoutera à cela la désindustrialisation de la Guadeloupe en raison de facteurs extérieurs . Or, c’est dans l’industrie que les gains de productivité sont les plus forts.
Ensuite, dans un environnement où les compétences et les qualifications représentent des avantages compétitifs importants, la Guadeloupe affichera de faibles performances . Enfin, Internet, smartphones et autres tablettes changeront nos vies quotidiennes, mais ne sont pas sources d’efficacité productive. Bref, les ressorts de la croissance à long terme seront cassés.
Il faudra chercher un autre modèle de prospérité. Oublions complètement la dimension écologique , c’est-à-dire l’addition d’une transition énergétique vers les industries renouvelables et d’un changement de modèle de production et de consommation . A notre sens ,en dépit de quelques projets intéressants , la transition écologique aura du mal à être opérante en Guadeloupe du fait de l’étroitesse du territoire et de l’absence d’entreprises véritablement innovantes pouvant soutenir la concurrence internationale.
Il existe un lien étroit entre la représentation des territoires qui sous tendent des valeurs du passé et la structuration sociale à travers la perception de l’avenir. La probabilité que la crise de croissance débouche sur une stagnation durable du «fétiche PIB» est de fait rendue crédible par de simples constatations empiriques. Au-delà des cycles conjoncturels, il apparaît ainsi que sur le long terme, dans les pays riches mais aussi à l’échelle mondiale, la tendance est au déclin de la croissance et des gains de productivité qui en ont été un moteur crucial.

Pour moderniser, protéger et permettre à la Guadeloupe d’aller mieux tout en restant elle-même , il n’y a pas trente six solutions , la seule qui vaille aujourd’hui est la construction originale d’un nouveau modèle économique et social dans lequel la politique économique de l’offre aura une prédominance, et où la croissance sera exogène . En bref, je suis optimiste sur la pertinence de ce nouveau modèle pour relever les défis de l’avenir . La période difficile dans laquelle nous allons nous trouver à l’aube de la décennie actuelle créera de nouvelles opportunités. La prise de conscience croissante que les marchés du travail avec le numérique et la fin de l’Etat providence vont changer fondamentalement la vie et définitivement les mentalités et aura pour effet de stimuler les politiques , les décideurs, les employeurs et les travailleurs à relever les nouveaux enjeux d’une manière qui profitera à tout le monde. Les grands changements politiques et économiques ne sont jamais faciles mais, quand ils sont gérés correctement avec l’intelligence du terrain , ils peuvent nous rendre plus forts et améliorer notre situation au lieu de nous conduire vers le pire. Aussi bien, cette citation doit nous interpeller :
“Qui manque de connaissance est sans cesse à la merci du changement.”

Une urgente prise de conscience individuelle et collective, permettant de faire un bilan socio-historique avec réalisme et ambition d’un nouveau concept de développement exogène serait un préalable inéluctable pour un véritable changement de paradigme .

Certains ont tort de penser que les guadeloupéens appréhendent les problèmes du futur avec une conscience éclairée. Il n’existe aucune pensée prospective dans notre pays et encore moins une vision des solutions aux problèmes qui assaillent la Guadeloupe et plus largement le monde. Les guadeloupéens pensent et agissent dans l’immédiateté, ainsi à preuve il n’y a pas de think tank dans le département. C’est le raisonnement à courte vue qui prédomine en Guadeloupe doublée d’une attitude passive voire résignée . Cela ne présage rien de bon pour le futur sauf à considérer que les guadeloupéens auront en temps utile le bon réflexe de s’adapter en cas de crise. C’est peut être à cette condition que la Guadeloupe pourra participer pleinement à la 4ème révolution industrielle qui se profile à présent, celle de la convergence des technologies et du transhumanisme. Faute de cela, la Guadeloupe encourt un risque de déclin économique et social et une discrimination 2.0 qui mettrait en cause sa future légitimité de région autonome que d’aucuns prévoient dans la décennie actuelle .

Jean-Marie Nol, économiste