Les PME françaises, largement désavantagées par un taux d’imposition plus élevé que les grandes entreprises

— Par Jean Samblé —

Une étude détaillée de l’Insee, publiée le 2 septembre 2025, met en lumière un phénomène inquiétant : en dépit des réformes fiscales récentes, les petites et moyennes entreprises (PME) françaises continuent de supporter une charge fiscale plus lourde que les grandes entreprises. Alors que le taux nominal de l’impôt sur les sociétés (IS) a été réduit de manière significative, la réalité de l’imposition effective, mesurée par le taux implicite, révèle des disparités criantes entre les différentes catégories d’entreprises.

1. Le taux implicite : une mesure plus précise de l’imposition

L’impôt sur les sociétés est censé être appliqué à un taux unique de 25 % en France depuis 2022. Toutefois, le taux nominal ne reflète pas la réalité de la charge fiscale des entreprises. En effet, le taux implicite d’imposition – qui est le rapport entre l’impôt payé et l’excédent net d’exploitation (ENE), c’est-à-dire les profits dégagés par les entreprises après déduction de leurs coûts de production, salaires et amortissements – offre une vision plus fidèle de l’impact fiscal.

Le taux implicite des entreprises françaises a diminué entre 2016 et 2022, passant de 20,7 % à 17,5 %. Cependant, cette baisse globale masque des inégalités importantes, notamment en fonction de la taille des entreprises.

2. Des disparités accrues entre PME et grandes entreprises

Taux Implicite des PME vs Grandes Entreprises

En 2022, le taux implicite des petites et moyennes entreprises (PME) est de 21,4 %, un niveau largement supérieur à celui des grandes entreprises, qui affiche un taux de 14,3 %. Cela signifie qu’à bénéfice égal, les PME paient 50 % d’impôt en plus que les grandes entreprises. Cette différence s’est accrue au fil du temps, malgré les baisses successives du taux nominal de l’IS.

Entre 2016 et 2022, le taux implicite des grandes entreprises a chuté de 5 points (de 19,3 % à 14,3 %), un recul bien plus important que celui observé pour les PME, dont le taux n’a baissé que de 1,7 point (de 23,1 % à 21,4 %). Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ont également vu leur taux implicite baisser plus nettement (-3,4 points), tout comme les microentreprises, dont le taux a augmenté légèrement de 0,4 point.

3. Les raisons de ces différences

Plusieurs facteurs expliquent ces écarts d’imposition entre PME et grandes entreprises :

  • Optimisation fiscale et dispositifs spécifiques : Les grandes entreprises disposent généralement de plus de ressources (fiscalistes, comptables, etc.) pour tirer parti des dispositifs fiscaux et financiers en leur faveur. Elles peuvent notamment recourir à des mécanismes d’optimisation fiscale (comme les prix de transfert, qui permettent de réduire artificiellement leur excédent net d’exploitation en transférant des bénéfices à des filiales situées dans des pays à faible imposition) et de déductions fiscales pour les charges d’intérêts ou les investissements.
  • Régimes d’allégement : Les grandes entreprises sont aussi plus aptes à bénéficier de certains allégements fiscaux comme le crédit d’impôt recherche (CIR), les crédits d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ou les report de déficit, qui permettent de réduire leur base imposable. Ces mécanismes sont souvent difficiles d’accès ou moins avantageux pour les PME, qui manquent de ressources pour optimiser pleinement leur situation fiscale.
  • La volatilité des résultats exceptionnels : Les grandes entreprises, en raison de leur taille et de leur diversité, ont davantage de résultats exceptionnels ou financiers (bénéfices non récurrents mais fortement taxés dans le calcul du bénéfice fiscal). Ces fluctuations influencent davantage leur taux implicite d’imposition, leur permettant parfois d’échapper à une imposition plus lourde. En revanche, ces résultats exceptionnels sont moins fréquents ou moins marqués dans les PME, ce qui peut expliquer un taux d’imposition plus stable et élevé.
  • Limites des réductions fiscales pour les PME : Bien que des dispositifs existent pour réduire l’impôt des PME (notamment un taux réduit de 15 % pour les bénéfices inférieurs à 38 120 euros), ces avantages ne sont souvent applicables qu’à une faible portion du bénéfice, et ne compensent pas les différences structurelles entre PME et grandes entreprises. Par ailleurs, les microentreprises ont très peu profité des baisses fiscales, d’où une légère hausse de leur taux implicite (+0,4 point).

4. Un manque d’économies d’échelle

Les grandes entreprises bénéficient également d’économies d’échelle qui leur permettent de mieux absorber les coûts liés à la fiscalité. Par exemple, en raison de leur taille, elles peuvent se permettre de concentrer des ressources dédiées à la gestion fiscale et financière, ce qui leur donne une plus grande capacité d’adaptation aux évolutions législatives et fiscales. En revanche, les PME, souvent moins structurées en termes de personnel et de gestion, peinent à exploiter toutes les niches fiscales disponibles.

5. Une équité fiscale menacée

Ce déséquilibre soulève une question fondamentale sur l’équité fiscale. Alors que l’égalité devant l’impôt est un principe clé de la justice fiscale en France, le traitement fiscal des PME semble de plus en plus en décalage avec ce principe. En 2023, la Commission des finances de l’Assemblée nationale avait déjà attiré l’attention sur les écarts fiscaux entre entreprises, soulignant que ces différences résultent en partie de la capacité des grandes entreprises à tirer profit des avantages fiscaux et à gérer plus efficacement leur fiscalité.

L’écart entre PME et grandes entreprises s’est notamment creusé depuis 2019, malgré des réformes censées favoriser une taxation plus équitable. En 2022, alors que le taux nominal de l’IS était abaissé à 25 %, les PME ont bien moins profité de ces réductions que les grandes entreprises, aggravant ainsi une situation déjà défavorable pour les plus petites structures.

6. Un défi pour la politique fiscale

Alors que le budget 2026 se prépare dans un contexte tendu pour les finances publiques, cette question de la fiscalité des PME devient centrale. Les inégalités fiscales observées entre les différentes tailles d’entreprises sont d’autant plus préoccupantes que les PME représentent un moteur essentiel de l’emploi et de l’innovation en France. Le déséquilibre observé entre PME et grandes entreprises soulève des interrogations sur la capacité de la France à soutenir ses petites entreprises face à une concurrence fiscale internationale de plus en plus intense.

Une réforme de la fiscalité des PME s’impose

Les résultats de l’étude de l’Insee mettent en lumière un problème structurel qui nécessite une attention urgente. Si la France veut réellement soutenir ses PME, elle devra réévaluer ses politiques fiscales pour garantir un traitement plus équitable entre petites et grandes entreprises. Les mécanismes d’optimisation fiscale dont bénéficient les grandes entreprises doivent être mieux encadrés, et les PME doivent avoir un accès plus large et plus simple aux dispositifs fiscaux, afin de rétablir une forme de justice fiscale et d’aider à la compétitivité des plus petites structures.