L’éphéméride du 22 octobre

La panique bancaire américaine de 1907 débute le 22 octobre

La Panique bancaire américaine de 1907, aussi nommée Panique des banquiers, est une crise financière qui eut lieu aux États-Unis lorsque le marché boursier s’effondra brusquement, perdant près de 50 % de la valeur maximale atteinte l’année précédente. Cette panique se produisit au milieu d’une période de récession, marquée par d’innombrables retraits de fonds des banques de détail et d’investissement. La panique de 1907 se propagea à tout le pays, de nombreuses banques et entreprises étant acculées à la faillite. Parmi les premières causes de la crise, on peut citer le retrait de liquidités des banques de New York, la perte de confiance des dépositaires et l’absence d’un fonds de garantie des dépôts.
Illustration : Theodore Roosevelt lance deux ours nommés Interstate Commerce Commission et Federal Courts sur Wall Street. Puck Magazine, 8 mai 1907
La crise éclata en octobre après une tentative ratée de corner sur les actions de la compagnie United Copper. Les banques qui avaient prêté de l’argent pour réaliser le corner furent victimes de retraits massifs, qui se propagèrent aux établissements affiliés, causant en l’espace d’une semaine la chute de la société fiduciaire Knickerbocker Trust Company, troisième établissement en importance de ce genre à New York. Cette chute causa une vague de paniques parmi les établissements financiers de la ville lorsque les banques régionales commencèrent à retirer des fonds de New York. La panique gagna bientôt le pays tout entier et les particuliers se ruèrent sur les banques pour retirer leurs dépôts.

La panique se serait accrue si le financier J. P. Morgan n’était pas intervenu en engageant ses fonds propres et en persuadant d’autres banquiers de l’imiter pour soutenir le système bancaire américain. À cette époque, il n’existait pas de banque centrale américaine pour réinjecter des liquidités sur le marché. En novembre, la crise était pratiquement terminée, quand elle repartit de plus belle lorsqu’une firme de courtiers fit un emprunt massif gagé sur les actions de la Tennessee Coal, Iron and Railroad Company (TC&I). La chute des actions de cette compagnie fut évitée par une prise de participation d’urgence de la U.S. Steel effectuée avec l’aval du président Theodore Roosevelt, pourtant farouche opposant des monopoles. L’année suivante, le sénateur Nelson W. Aldrich réunit une commission qu’il présida lui-même pour enquêter sur la crise et préconiser des solutions. Le processus allait aboutir le 22 décembre 1913 à la création de la Réserve fédérale des États-Unis.

Contexte économique

Le Tremblement de terre de 1906 à San Francisco affecta l’économie américaine, exacerbant la vulnérabilité du système bancaire.
Lorsqu’en 1836, le président américain Andrew Jackson prit la décision de ne pas renouveler la charte de la Second Bank of the United States qui recevait en dépôt les fonds fédéraux, le pays se retrouva sans aucun établissement bancaire capable de faire fonction de banque centrale. Ainsi les disponibilités monétaires de la ville de New York se mirent-elles à fluctuer au rythme des cycles agricoles. Chaque automne voyait diminuer les réserves avec l’achat des récoltes, ce qui provoquait une hausse des taux d’intérêt destinée à attirer les dépôts. Les investisseurs étrangers prirent l’habitude de déposer leur argent à New York pour bénéficier de ces taux avantageux.

Après le record de 103 points atteint en janvier 1906, l’indice Dow Jones amorça une modeste correction. L’économie américaine fut déstabilisée par le tremblement de terre de San Francisco survenu la même année. La destruction de la ville causa un mouvement de capitaux de New York vers la côte Ouest pour financer les travaux de reconstruction. À cela s’ajouta une nouvelle épreuve monétaire lorsque la Banque d’Angleterre éleva ses taux à la fin de l’année 1906, attirant une partie des capitaux sur lesquels comptaient les banques new-yorkaises.

À partir du niveau maximal de janvier, la baisse des cours avait atteint 18 % en juillet 1906. En septembre, les actions n’avaient récupéré que la moitié de ce qu’elles avaient perdu. Au même moment, le Hepburn Act, qui donnait aux commissions commerciales inter-étatiques (ICC) le droit de plafonner les prix des transports ferroviaires, prit force de loi3, faisant chuter les actions des compagnies de chemin de fer4. Entre septembre 1906 et mars 1907, le marché boursier continua à baisser, la capitalisation boursière perdant 7,7 %.

Entre le 9 et le 26 mars, les cours chutèrent encore de 9,8 %. Cette chute du mois de mars est parfois surnommée « la panique du riche ». L’économie demeura très instable au cours de l’été où une série de chocs éprouva durement le système : le cours de l’action de l’Union Pacific, une des contreparties les plus courantes des emprunts, perdit 50 points ; au mois de juin, la ville de New York essaya vainement d’émettre des obligations. En juillet, le marché du cuivre s’effondra ; au mois d’août, la Standard Oil Company reçut une amende de 29 millions de dollars pour avoir violé les lois antitrust7. Au total, dans les neuf premiers mois de l’année 1907, les cours avaient chuté de 24,4 %.

Le 27 juillet, le magazine spécialisé The Commercial & Financial Chronicle observait : « le marché reste instable… à peine voit-on pointer un espoir de reprise que la moindre rumeur d’une fuite de l’or vers Paris fait trembler tous les titres de la liste et le gain d’argent et de confiance se volatilise ».

Plusieurs paniques bancaires se déclenchèrent à l’extérieur des États-Unis en 1907 : en Égypte, aux mois d’avril et mai ; au Japon, en mai-juin ; à Hambourg et au Chili, au début octobre. L’automne était une saison traditionnellement critique pour les banques et dans le contexte d’un marché boursier en pleine effervescence, le moindre choc pouvait avoir de graves répercussions.

Déroulement de la crise
Échec d’un corner
La panique de 1907 s’amorce par une tentative de manipulation boursière destinée à cornériser les actions de la compagnie United Copper, appartenant à Fritz Augustus Heinze. Heinze avait fait fortune dans le cuivre à Butte dans le Montana. En 1906, il s’installa à New York où il devint proche du banquier Charles W. Morse, une des vedettes de Wall Street. Morse avait réussi à cornériser le marché de la glace de New York et, avec l’aide de Heinze, il prit le contrôle d’un grand nombre de banques. Le duo siégeait au conseil d’administration d’au moins six banques nationales, cinq sociétés fiduciaires et quatre compagnies d’assurance.

Le frère de Fritz Augustus, Otto, fut l’architecte du corner de la United Copper ; il était persuadé que la famille Heinze était déjà majoritaire dans la société. Un nombre important des actions détenues par les Heinze étaient en fait entre les mains d’emprunteurs, qu’Otto pensait être en majorité des investisseurs. En fait, c’était des spéculateurs qui attendaient une chute des cours : celle-ci leur aurait permis de racheter les actions à vil prix et d’empocher la différence, opération connue sous le nom de vente à découvert.

Otto proposa un bear squeeze, opération qui consistait pour les Heinze à se lancer agressivement dans le rachat du plus grand nombre possible d’actions restantes sur le marché avant d’obliger les emprunteurs à rembourser les actions qu’ils détenaient. La campagne de rachat agressif ferait monter le prix de l’action, et les emprunteurs, incapables de trouver d’autres actions sur le marché, se tourneraient alors inévitablement vers les Heinze qui seraient dorénavant en mesure de fixer leur prix15.

Pour financer le projet, Otto, Fritz Augustus et Charles Morse rencontrèrent Charles T. Barney, président de la troisième compagnie fiduciaire de New York, la Knickerbocker Trust Company. Barney avait déjà financé certaines des opérations de Morse. Ce dernier avertit Otto qu’il aurait besoin de plus d’argent qu’il n’en possédait pour réussir l’opération de squeeze et il refusa de fournir cet argent16. Otto décida de passer outre.

Le lundi 14 octobre, il commença à acheter des actions de la United Copper, dont le cours monta de 39 USD à 52 USD l’unité dans la journée. Le mardi, il demanda aux emprunteurs de rendre leurs actions. Le prix de celles-ci monta jusqu’à presque 60 USD, mais les emprunteurs purent facilement trouver des actions auprès d’autres vendeurs. Otto avait mal évalué le marché et le prix de l’action de United Copper s’effondra17. Parallèlement, la conjoncture Boursière en Europe était aussi au bord du retournement, avec les premiers lock-out dans l’automobile italienne, sur fond de boom des cours des matières premières, notamment le cuivre, qui fait monter les coûts de production et de crise de surproduction, ce qui pèse sur la Bourse des valeurs de Turin.

L’action, qui était à 30 USD à la fermeture le mardi, descendit à 10 USD le mercredi. Otto Heinze était ruiné. L’action de United Copper se négocia en dehors de la bourse new-yorkaise, dans un marché en plein air, littéralement « sur le trottoir » (ce marché extérieur deviendra plus tard l’American Stock Exchange, ou AMEX). Après le krach, on put lire dans The Wall Street Journal : « Jamais, de mémoire de vétéran du marché extérieur, on ne vit de scène plus désordonnée sur le trottoir »18.

L’effet domino à New York
Après cet échec, Otto Heinze se trouva incapable de faire face à ses obligations, entraînant la faillite de la société de courtage Gross & Kleeberg, dont il était client. Le jeudi 17 octobre, le New York Stock Exchange lui interdit toute activité d’opérateur de marché. Mais à la suite de l’effondrement des cours de l’United Copper, la Caisse d’épargne du Montana (dont le propriétaire était Fritz Augustus Heinze), annonça qu’elle était en cessation de paiements. La banque du Montana détenait des actions de United Copper qui lui avaient été remises comme garantie collatérale des prêts qu’elle avait consentis ; elle était une des banques correspondantes de la Mercantile National Bank de la ville de New York, dont Fritz Augustus Heinze était alors le président.

L’état de cessation de paiement de la Caisse d’épargne du Montana s’ajoutant à l’implication de Fritz Augustus Heinze dans l’opération de corner fut l’opération de trop qui conduisit le conseil d’administration de la Mercantile à se rebiffer. Heinze fut contraint de donner sa démission avant midi19, mais il était trop tard. Les rumeurs de faillite couraient déjà et les dépositaires se ruèrent en masse sur les guichets pour retirer leur argent de la Mercantile National Bank. La banque détenait assez de capitaux pour faire front à quelques jours de retraits, mais les dépositaires s’étaient mis à retirer également de l’argent des banques de l’associé de Heinze, Charles W. Morse. Des retraits massifs eurent lieu dans la National Bank of North America et la New Amsterdam National.

Craignant que le scandale éclaboussant Fritz Augustus Heinze et Morse ne rejaillisse sur l’ensemble de la profession, la New York Clearing House, chambre de compensation des banques new-yorkaisesnote 1, obligea Heinze et Morse à renoncer à toutes leurs participations bancaires20.

Cependant, à la fin de la semaine qui avait vu l’échec du corner d’Otto Heinze, la panique était encore toute relative. Les fonds retirés des banques associées au scandale étaient simplement transférés dans d’autres banques de la ville21.

La crise bancaire
Au début des années 1900, les sociétés fiduciaires étaient florissantes. Dans la décennie 1897-1907, leurs avoirs avaient augmenté de 244 %. Parallèlement, les avoirs des banques nationales avaient augmenté de 97 %, tandis que les banques des États situées à New York avaient vu les leurs croître de 87 %22. Les dirigeants des sociétés fiduciaires les plus en vue étaient pour la plupart membres de l’élite sociale et bancaire de New York. L’un des plus respectés était Charles T. Barney, dont le beau-père, feu William Collins Whitney, avait été un financier réputé. La société fiduciaire Knickerbocker de Barney était le troisième établissement de ce genre par ordre d’importance à New York23.

Siège de la Knickerbocker Trust Company au coin de la cinquième avenue et de la 34e rue (Manhattan).
En raison de ses accointances passées avec Charles W. Morse et Fritz Augustus Heinze, le conseil d’administration de la Knickerbocker demanda à Barney de donner sa démission dès le lundi 21 octobre (les dépositaires avaient peut-être commencé à retirer des fonds dès le 18 octobre, faisant réagir le conseil d’administration21). Le même jour, la banque nationale de commerce annonça qu’elle se refusait à servir de chambre de compensation pour la Knickerbocker. Le 22 octobre, la banque se trouva confrontée à un mouvement de panique classique. La foule ne cessa d’augmenter dès l’ouverture de la banque. Selon le The New York Times, « aussitôt qu’un dépositaire sortait de la banque, dix autres y entraient pour réclamer leur argent et [la banque demanda à la police] d’envoyer des hommes pour maintenir l’ordre »24. En moins de trois heures, 8 millions USD sortirent des caisses de la Knickerbocker. La société dut cesser toutes opérations peu après midi21.

Tandis que les rumeurs allaient bon train, les autres banques et les établissements financiers hésitaient à prêter de l’argent. Les taux d’intérêt sur les prêts consentis aux courtiers s’envolèrent, mais comme ceux-ci étaient incapables de trouver l’argent, les cours des actions tombèrent à un niveau jamais atteint depuis décembre 190025. La panique se propagea et fit deux nouvelles victimes de taille, Trust Company of America et Lincoln Trust Company. Dès le jeudi, des faillites en série affectèrent tout le quartier des banques : Twelfth Ward Bank, Empire City Savings Bank, Hamilton Bank of New York, First National Bank de Brooklyn, International Trust Company of New York, Williamsburg Trust Company of Brooklyn, Borough Bank of Brooklyn, Jenkins Trust Company of Brooklyn et Union Trust Company of Providence26.

J.P. Morgan entre en scène

Alors que le chaos s’installait, minant la confiance dans les banques new-yorkaises, le plus célèbre banquier de la ville était absent. J.P. Morgan, président de la banque du même nom, la J.P. Morgan & Co., assistait à une convention religieuse à Richmond en Virginie. Morgan n’était pas seulement le plus riche banquier de la ville et le mieux servi par ses réseaux, mais il avait l’expérience des crises financières, ayant sauvé le Trésor américain lors de la panique de 1893. Les nouvelles de la crise se confirmant, Morgan quitta la convention et regagna Wall Street tard dans la nuit du samedi 19 octobre. Le lendemain matin, la bibliothèque de la résidence de Morgan au coin de Madison avenue et de la 36e rue était devenue le passage obligé des présidents des banques et des établissements financiers new-yorkais qui venaient pour échanger des informations sur la crise imminente, voire chercher de l’aide pour la surmonter27,28.

Morgan et ses associés épluchèrent les comptes de la Knickerbocker Trust Company pour conclure à la banqueroute ; ils décidèrent de laisser faire. La faillite de la compagnie, cependant, déclencha une panique affectant d’autres sociétés fiduciaires dont les finances étaient saines, ce qui décida Morgan à monter une opération de sauvetage. Dans l’après-midi du mardi 22 octobre, le président de la Trust Company of America se tourna vers Morgan pour demander de l’aide. Le soir même Morgan s’entretint avec George Fisher Baker, président de la First National Bank, James Stillman de la National City Bank de New York (qui deviendra Citibank) et le secrétaire du Trésor, George B. Cortelyou. Ce dernier annonça qu’il était prêt à transférer des capitaux fédéraux dans les banques pour renflouer leurs caisses. Après un audit de la Trust Company of America, qui dura toute la nuit, il s’avéra que l’institution était saine et le mercredi matin, Morgan prit sa décision : « C’est donc là qu’il faut intervenir pour arrêter la crise »29.

Tandis qu’un mouvement de panique secouait la Trust Company of America, Morgan et Stillman s’occupèrent de liquider les avoirs de la compagnie pour pouvoir rembourser les dépositaires. La banque tint bon jusqu’à la fermeture, mais Morgan comprit qu’elle aurait besoin de capitaux frais pour résister à une seconde journée de crise. Dans la nuit, il convoqua les présidents des autres sociétés fiduciaires et présida une réunion qui se termina vers minuit, lorsqu’ils acceptèrent de consentir un prêt de 8,25 millions USD pour permettre à la Trust Company of America de rester ouverte le lendemain30. Le jeudi matin, Cortelyou fit transférer environ 25 millions USD dans les caisses de différentes banques new-yorkaises31. John D. Rockefeller, la plus grosse fortune des États-Unis, transféra 10 millions USD supplémentaires dans la National City Bank de Stillman31. Avec cet afflux massif de capitaux, la National City Bank se retrouvait à la tête des plus grosses réserves de toute la ville de New York. Pour ranimer la confiance publique, Rockefeller appela au téléphone Melville Elijah Stone, directeur de l’agence Associated Press, pour lui annoncer qu’il engagerait la moitié de sa fortune pour garantir le crédit américain32.

La bourse prête à s’effondrer
Malgré ces injections de capitaux, les banques de New York hésitaient toujours à consentir les prêts à court terme qu’ils avaient l’habitude de faire pour faciliter les transactions boursières du jour. En l’absence de ces facilités, les prix en bourse accusèrent une chute rapide. À 13 h 30 le jeudi 24 octobre, Ransom Thomas, directeur de la bourse de New York, se rendit en toute hâte dans le bureau de J.P. Morgan pour lui annoncer qu’il serait obligé de clore la bourse avant l’heure habituelle. Morgan s’y opposa, jugeant qu’une clôture prématurée serait catastrophique33,34.

Morgan convoqua immédiatement les directeurs de banque dans son bureau. Ceux-ci commencèrent à arriver vers 14 heures. Il les informa que plus de cinquante courtiers en bourse devraient déposer leur bilan s’ils n’arrivaient pas à trouver 25 millions USD dans les dix minutes qui suivaient. Dès 14 heures 16, 14 présidents de banque avaient pris l’engagement d’injecter 23,6 millions USD dans la bourse pour la renflouer. L’argent arriva sur le marché vers 14 heures 30, à temps pour que les activités reprennent avant la fermeture, et au moment de la clôture de 15 heures, 19 millions USD avaient été engagés. Le pire avait été évité. Morgan était d’habitude très réservé face à la presse, mais en quittant ses bureaux ce soir-là, il fit une déclaration aux journalistes : « Si les gens veulent bien laisser leur argent à la banque, tout se passera bien ».
Lire la Suite & Plus = Wikipedia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panique_bancaire_am%C3%A9ricaine_de_1907