«L’emploi ne doit plus s’évaluer sur des critères masculins»

— Entretien réalisé par Latifa Madani —

balima-vittinLes différences salariales persistent dans le monde, affirme l’Organisation internationale du travail (OIT). Que 171 pays aient ratifié la convention de 1951 sur l’égalité des rémunérations n’empêche pas les emplois d’être déterminés par le genre plutôt que la compétence. Entretien avec Cécile Balima-Vittin du département des normes internationales du travail au BIT.

HD. Que révèlent les inégalités salariales persistantes entre hommes et femmes ?

Cécile Balima-Vittin. La majorité reste sur le concept de « à travail égal, salaire égal », au lieu du principe qui va plus loin de « salaire égal pour travail de valeur égale », que défend l’OIT. Même si l’emploi est différent, la valeur est égale. Nous l’appelons équité salariale. Les hommes et les femmes doivent percevoir une rémunération égale, non seulement pour un travail identique ou similaire, mais aussi pour un travail de valeur égale.

Or, nous constatons de façon récurrente un écart résiduel « inexpliqué », injustifié, entre le salaire des hommes et celui des femmes, une fois éliminées les causes dites objectives : scolarité, expérience, secteur d’activité, nombre d’heures… Une partie de l’écart salarial pourrait être résorbée par des politiques agissant sur ces causes. Malgré cela, à travail de valeur égale, les écarts persistent. Il s’agit de discrimination, basée sur les critères prohibés : être une femme, ou d’une ethnie ou d’une minorité visible.

HD. Comment expliquer cette discrimination ?

C. B.-V. La discrimination en fonction du sexe est le fait de stéréotypes et de préjugés à l’égard du travail féminin. Être discriminée parce qu’on est femme entraîne d’être embauchée dans des emplois précaires et à des salaires inférieurs. Et quand on est pénalisée en raison de la maternité, des enfants et du ménage, on est infériorisée. On hésitera à négocier le salaire ou une augmentation. Tout cela étant intimement imbriqué, les méthodes d’évaluation des emplois sont conçues en fonction des exigences des emplois masculins, lesquels seront surévalués alors que les emplois dits féminins seront sous-évalués.

HD. Des exemples ?

C. B.-V. La dextérité manuelle est perçue comme typiquement féminine. Comme on considère « naturel » que les femmes sont plus aptes à prodiguer des soins, à s’occuper des autres. Mais si une tâche demande un effort physique, on lui donnera plus de valeur parce que « naturellement » masculine et elle sera mieux rémunérée. Même dans les postes de cadres, les femmes sont souvent confinées aux ressources humaines, aux relations publiques, à l’administration, qui ont moins de valeur salariale que les services financiers, commerciaux ou que les directions générales, dans lesquels les hommes sont prédominants.

Les femmes sont souvent concentrées dans les mêmes secteurs. Et parce qu’ils sont à dominante féminine, ils seront moins considérés. Le salaire sera moindre. Les hommes les déserteront. On observe malheureusement que, lorsque ça se féminise, ça se dévalorise. Dans l’enseignement, en France, les instituteurs étaient en majorité des hommes ; aujourd’hui, dans le primaire, il y a 90 % de femmes. Le secteur s’est dévalorisé. Même phénomène dans la médecine, dans la profession d’avocat…

Cela est vrai partout dans le monde : pays développés, en voie de développement et pays émergents.

HD. Qu’est-ce qui bloque ? Pourquoi les femmes sont-elles concentrées dans certains secteurs ?

C. B.-V. Parce que les emplois sont affiliés plus à un genre qu’à une compétence. L’inégalité prend sa source dans une « construction sociale » des métiers dits féminins qui se traduira notamment dans l’orientation scolaire et professionnelle des filles…

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