Par l’association Les Vélos Marin Martinique —
Ce texte est le troisième volet d’un article en quatre parties. C’est une tentative de compréhension, mais aussi un appel à faire évoluer le rapport de force actuel.
Le vélo, dans sa forme populaire, ne pourra avancer qu’à condition d’être pensé comme un bien commun, et reconnu dans sa dimension culturelle, sociale et immatérielle.
3. Protéger le vélo populaire
Alors que certains s’activent autour de la création d’une écologie labellisée, toujours plus saturée de nouveaux organismes, têtes de réseaux, éco-organismes et autres entités censées tout « éco-organiser », une question se pose, que vaut une transition sans lien humain ? Sans attention portée aux objets eux-mêmes, sans relation directe, sans réparation, sans le temps et l’espace réellement investis dans l’action ? Le vélo populaire, naturellement, nous ramène à cette échelle-là, celle de l’humain, du geste concret, de la proximité. Il est vivant parce qu’il évolue, et parce qu’il est façonné par celles et ceux qui le pratiquent, l’adaptent, le réparent, le transmettent. Mais cette vitalité, si elle n’est pas protégée, peut aussi se retourner contre lui.
Livré aux forces du marché, aux logiques utilitaristes et à la domination persistante de la pensée automobile, le vélo risque de se dénaturer. Pire encore, il pourrait finir par servir des objectifs contraires à ses propres valeurs. Le vélotaf en est un exemple parmi d’autres. Aller travailler à vélo est, en soi, une pratique respectable. Ce n’est pas le geste qui interroge, mais le cadre idéologique qui l’enveloppe. Derrière cette apparente modernité, se profile une logique insidieuse, celle d’un vélo qui ne libère plus, mais s’ajuste aux modes de vie dictés par la vitesse, l’efficacité et la performance. Un vélo devenu outil de conformité sociale, plutôt que d’émancipation. Ce qui était un choix de nécessité ou de liberté devient une obligation, celle d’être un « travailleur modèle », mobile, parfaitement adapté au monde tel qu’il est. Le cycliste se transforme en un rouage de plus dans une machine qu’il aurait pu remettre en question. Il s’immisce entre les voitures, pendant que l’automobile elle conserve tous ses privilèges, infrastructures, lois, subventions, légitimité culturelle… tout !
Il nous semble aujourd’hui urgent de réagir aussi face à la situation précaire des projets de mobilité populaire, et à leur quasi-inexistence, alors même qu’ils devraient se multiplier, s’enrichir, se diversifier. C’est l’inverse qui se produit. Il devient presque impossible pour une association locale de faire vivre durablement une démarche de mobilité sociale, manque d’espaces, de financements, de reconnaissance, mise en concurrence ; invisibilisé dans les priorités institutionnelles. Ce constat dépasse largement la Martinique, il touche au cœur même de l’économie solidaire, partout où la mobilité représente un besoin fondamental et un levier d’émancipation. Ce droit à la mobilité populaire, à une mobilité choisie et non subie, ne fait l’objet d’aucune stratégie publique digne de ce nom. Il est absent des priorités. Quand il est évoqué, c’est à travers la vision du rendement, jamais de la dignité, de l’accès réel. Ainsi, ce qui aurait pu être un instrument d’émancipation et de lien social se retrouve au service de la continuité destructrice de la modernité et de son « progrès ». Même les gestes les plus simples, réparer, accueillir, transmettre, sont littéralement empêchés, pas de local, pas d’accès au foncier, pas de soutien structurel.
Cette absence n’est pas neutre, elle trahit une hiérarchie des valeurs, où seuls les projets rentables ou médiatiquement attractifs sont jugés dignes d’espace et d’attention. Cette capture idéologique étouffe la contestation, anesthésie la pensée critique, et fait du vélo un outil intégré à un système qu’il aurait pu influencer et changer. L’objet n’est plus regardé pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il peut rapporter. Tout devient flux, gisement, pour notre plus grand malheur. On déshumanise le rapport à la matière. Mais il est bien plus qu’un article de sport et de loisir, il est porteur de culture. Le vélo populaire porte en lui une autre voie, une manière d’habiter le monde autrement. Un rapport renouvelé au temps, à l’espace, aux autres. Protéger cette richesse n’est pas un romantisme marginal, c’est une responsabilité, une nécessité politique de notre temps. Cela exige une clarté d’analyse, une logique lucide, désencombrée des récits automatiques. Car, derrière l’apparent bon sens des systèmes qui marginalisent le vélo, se cachent des contradictions profondes. Les exposer, les nommer, c’est déjà résister. Même si cela semble n’avoir aucun effet immédiat, cela sème des graines pour d’autres possibles.
Les Vélos Marin Martinique – 31/07/2025 –
À suivre… Prochain chapitre : 4 «Le patrimoine culturel immatériel comme rempart»
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