Le traitement lexicographique du créole dans le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms »

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Le traitement lexicographique du créole dans le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » du National Center for Interpretation (University of Arizona)

La publication de l’article « Le naufrage de la lexicographie créole au « New Jersey Judiciary Glossary of Legal (and Related) Terms – English/Haitian creole » (par Robert Berrouët-Oriol, Rezonòdwès, 16 septembre 2023) a suscité un réel intérêt chez des lecteurs d’horizons divers et nous a valu le signalement, par un collègue traducteur vivant en Floride, d’un dictionnaire juridique anglais-créole que nous n’avions pas retracé lors de la recherche documentaire ayant précédé la rédaction de notre article. Le dictionnaire que nous a révélé notre collègue traducteur a pour titre « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » (The University of Arizona Press, 218 pages, 1998). Il a été publié par une institution universitaire américaine, le National Center for Interpretation Testing, Research and Policy (NCI), une unité de recherche de l’Université de l’Arizona. Il est utile de savoir, pour mettre en perspective le rayonnement institutionnel de cette unité de recherche universitaire dans les domaines de la traduction et de l’interprétariat, que les institutions suivantes ont le statut d’adhérent au National Center for Interpretation Testing, Research and Policy : l’Association nationale des interprètes et traducteurs judiciaires, la Société des traducteurs et interprètes du Nord-Ouest, l’Association des interprètes judiciaires de l’Arizona et l’Association des traducteurs américains. En outre, quatre institutions professionnelles sont affiliées au National Center for Interpretation Testing, Research and Policy: la Arizona Translators & Interpreters, Inc., l’Association des traducteurs et interprètes de Floride, l’Association des traducteurs et interprètes du Nevada et l’Association des traducteurs et interprètes de la région de San Diego. Le site Web du National Center for Interpretation Testing, Research and Policy (NCI) fournit une longue liste des nombreuses institutions américaines oeuvrant dans les domaines de la traduction et de l’interprétariat (American Translation and Interpreter Studies Association, International Federation of Translators, New York Circle of Translators, etc.).

Avant de procéder à l’évaluation lexicographique du « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » (The University of Arizona Press, 218 pages, 1998), il est utile de rappeler que nous avons auparavant procédé à l’examen analytique de plusieurs lexiques et dictionnaires selon les critères méthodologiques de la lexicographie professionnelle. Cet examen analytique a permis de démontrer (1) qu’un nombre restreint de dictionnaires et de lexiques créoles ont été élaborés selon la méthodologie de la lexicographie professionnelle, et (2) que plusieurs ouvrages lexicographiques sont lourdement lacunaires au plan de la méthodologie de la lexicographie professionnelle et sur le registre du traitement défaillant des unités lexicales qui se caractérise principalement par la non-conformité ou le caractère fantaisiste d’un grand nombre équivalents créoles. Les ouvrages qui se caractérisent par leurs grandes qualités lexicographiques et dont nous avons fait une présentation analytique sont ceux élaborés par Henry Tourneux, le « Petit lexique créole haïtien utilisé dans le domaine de l’électricité » (Cahiers du LACITO / CNRS, 1986)  ; le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » (Hachette-Deschamps-Éditha, 1996) et le « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » (tomes 1 et 2, Éditions Édutex, 2000 et 2002) d’André Vilaire Chery ; le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » (Creole Institute, Indiana University, 2007) d’Albert Valdman. Ces ouvrages définissent adéquatement leurs objectifs et exposent la méthodologie mise en œuvre lors de l’élaboration de leur corpus de référence et de leur nomenclature ; quant aux ouvrages bilingues, les équivalents créoles sont motivés, adéquats et bien catégorisés, et les rubriques définitoires correctement élaborées éclairent adéquatement la signification des notions.

En ce qui a trait aux ouvrages lourdement lacunaires au plan de la méthodologie de la lexicographie et de l’inadéquation d’un grand nombre d’équivalents créoles souvent erratiques et fantaisistes, nous avons mis en lumière leurs principales caractéristiques et nous avons également accordé une attention particulière à ceux qui ont abordé la néologie scientifique et technique créole. Cela nous a valu d’exposer avec rigueur l’institution d’une « lexicographie borlette » pré-scientifique échafaudée principalement au MIT Haiti Initiative et qui, tout en promouvant un pseudo « modèle » lexicographique de type Wikipédia totalement inconnu de la lexicographie professionnelle, se caractérise également par le bricolage d’équivalents « créoles » en grande partie fantaisistes, erratiques et souvent non conformes au système morphosyntaxique du créole (voir nos articles « La lexicographie créole à l’épreuve des égarements systémiques et de l’amateurisme d’une « lexicographie borlette » (Le National, 1er avril 2023), et « La « lexicographie borlette » du MIT Haiti Initiative n’a jamais pu s’implanter en Haïti dans l’enseignement en créole des sciences et des techniques » (Le National, 3 juillet 2023).

TABLEAU 1 / Échantillon d’ouvrages élaborés en dehors de la méthodologie

de la lexicographie professionnelle

Titre de l’ouvrage et date de publication Auteur(s) Catégorie Principales caractéristiques lexicographiques
Diksyonè kreyòl Vilsen [c1994 ?, 1997, 2009] Maud Heurtelou, Féquière Vilsaint Dictionnaire unilingue créole. Format livre de poche. Accès Web également. Incohérence, insuffisance ou inadéquation de nombreuses définitions. Certaines rubriques comprennent des notes explicatives.
Leksik kreyòl : ekzanp devlopman kèk mo ak fraz a pati 1986 [2000] Emmanuel Védrine S’intitule « leksik » alors qu’il est un glossaire unilingue créole. Accès Web uniquement. De nombreuses entrées (« mots vedettes ») sont des slogans ou des séquences de phrases ou des proverbes. De nombreuses entrées ne sont pas des unités lexicales. Incohérence, insuffisance ou inadéquation des rares définitions.
Diksyonè kreyòl karayib [2003 ?] Jocelyne Trouillot Dictionnaire unilingue créole au format papier uniquement. Incohérence, insuffisance ou inadéquation de nombreuses définitions. De nombreuses entrées (« mots vedettes ») ne sont pas des unités lexicales, ce sont plutôt des noms propres ou des toponymes.
Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative [2015 ?] MIT – Haiti Initiative  Lexique bilingue anglais-créole. Accès Web uniquement. Équivalents créoles souvent fantaisistes, erratiques, a-sémantiques et non conformes au système morphosyntaxique du créole.

Les ouvrages lexicographiques ciblant le créole et dont nous avons fait l’analyse détaillée au fil des ans sont étudiés dans les articles suivants :

  1. « Le traitement lexicographique du créole dans le « Diksyonè kreyòl Vilsen » (Le National, 22 juin 2020.

  2. « Le traitement lexicographique du créole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haïti Initiative » (Le National, 21 juillet 2020 ; voir aussi « Le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative » (Le National, 15 février 2022).

  3. « Le traitement lexicographique du créole dans le « Leksik kreyòl » d’Emmanuel W. Védrine » (Le National, 14 août 2021).

  4. « Le traitement lexicographique du créole dans le « Diksyonè kreyòl karayib » de Jocelyne Trouillot » (Le National, 12 juillet 2022).

  5. « La lexicographie créole à l’épreuve de l’« English – Haitian Creole computer terms » / Tèm konpyoutè : anglè – kreyòl » d’Emmanuel W. Vedrine » (Le National, 15 juin 2023). 

Par l’examen méthodique de cette production lexicographique ciblant le créole, nous avons amplement mis en lumière la primauté à accorder à la méthodologie de la lexicographie professionnelle dans tout processus d’élaboration des dictionnaires et des lexiques créoles. L’incontournable primauté de la méthodologie de la lexicographie professionnelle est amplement étayée dans plusieurs de nos articles, notamment :

  1. « Jean Pruvost et la fabrique des dictionnaires, un modèle pour la lexicographie haïtienne » (Le National, 26 septembre 2021)

  2. « Dictionnaires créoles, français-créole, anglais-créole : les grands défis de la lexicographie haïtienne contemporaine » (Le National, 21 décembre 2022).

  3. « Toute la lexicographie haïtienne doit être arrimée au socle méthodologique de la lexicographie professionnelle » (Le National, 31 décembre 2022).

  4. « Lexicographie créole : revisiter le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman » (Le National, 30 janvier 2023).

  5. « Lexicographie créole : retour-synthèse sur la méthodologie d’élaboration des lexiques et des dictionnaires » (Le National, 4 avril 2023).

  6. « La lexicographie créole à l’écoute des enseignements de la dictionnairique » (Le National, 16 mai 2023).  

L’examen au fil des ans de la production lexicographique ciblant le créole nous a valu également d’interroger le mode de production des dictionnaires et des lexiques dans l’article « Dictionnaires et lexiques créoles : faut-il les élaborer de manière dilettante ou selon des critères scientifiques ? » (Le National, 28 juillet 2020) et, surtout, de faire le « Plaidoyer pour une lexicographie créole de haute qualité scientifique » (Le National, 15 décembre 2021). Dans le prolongement des enseignements des pionniers émérites de la créolistique et de la lexicographie haïtienne Pradel Pompilus, Pierre Vernet, André Vilaire Chery, Henry Tourneux, Marie-Christine Azaël-Massieux, Dominique Fattier, Annegret Bollée, Georges Daniel Véronique, Frédéric Torterat, Albert Valdman–, nous avons élaboré une cartographie historique de la production lexicographique haïtienne sur ses versants français, français-créole et anglais-créole sur une période de 64 ans et cette cartographie est consignée dans notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » (Le National, 21 juillet 2022). Cet « Essai de typologie » répertorie 64 dictionnaires et 11 lexiques, soit un total de 75 ouvrages auquel désormais il faut adjoindre le 76ème, le « New Jersey Judiciary Glossary of Legal (and Related) Terms – English/Haitian creole », le 77ème, le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » du National Center for Interpretation (University of Arizona) ainsi que le 78ème, le « English Haitian Creole Legal Glossary » de Jean Robert Cadely et Joëlle Haspil (Éditions Educa Vision Inc., 1999) qui sera ultérieurement examiné.

Critères d’examen analytique du « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » (The University of Arizona Press, 218 pages, 2018).

Pour procéder à l’examen de cet ouvrage, nous avons recours aux critères méthodologiques habituels de la lexicographie professionnelle : (1) repérage du projet éditorial et identification des usagers-cibles visés ; (2) repérage des sources du corpus de référence en vue de l’établissement de la nomenclature ; (3) repérage des critères relatifs à l’établissement de la nomenclature des termes retenus à l’étape du dépouillement du corpus de référence ; (4) repérage des critères du traitement lexicographique des termes de la nomenclature et mise en application des critères relatifs à la rédaction des rubriques dictionnairiques (définitions, notes). 

  1. Le projet éditorial et les usagers-cibles

Le site Web du National Center for Interpretation Testing, Research and Policy (NCI) présente comme suit  la mission de cette institution : « Le National Center for Interpretation Testing, Research and Policy (NCI) est une unité de recherche et de vulgarisation de l’Université de l’Arizona chargée de promouvoir la communication interculturelle et la justice sociale pour les minorités linguistiques par le biais de recherches, de formations et de tests de pointe pour les interprètes et les traducteurs, tout en faisant progresser leur professionnalisme. Fondé en 1979, [le] NCI se consacre à garantir l’accès linguistique aux personnes d’expression anglaise limitée. Nous offrons une variété de services, y compris la formation et l’évaluation des interprètes dans les domaines juridique et médical, ainsi que du matériel d’auto-apprentissage pour s’assurer que les interprètes atteignent le niveau d’excellence requis par le domaine. En outre, [le] NCI propose des services de traduction et d’interprétation de conférence, ainsi que des plans d’accès linguistique personnalisés pour les écoles, les hôpitaux et toute organisation cherchant à garantir les droits accordés par le titre VI. » [Traduction : RBO]

Natifs d’Haïti, les contributeurs (« authors ») de ce dictionnaire –improprement qualifié de « Glossary »–, sont des professionnels langagiers : ils sont linguistes (Marie M. B. Racine, Yves Dejean, Yves Joseph), interprètes certifiés (Raynold Abellard, Claudine Sada) et enseignant (Roger Desir). Au cours de son élaboration, le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » (The University of Arizona Press, 1998) a bénéficié de la collaboration du juriste Karl Racine, ancien procureur général du district de Columbia à Washington, et de l’assistance de la University of Arizona Federal Court Interpreter Certification Project Staff.

La « Préface » de ce dictionnaire expose adéquatement le projet éditorial de l’ouvrage : « Ce glossaire est consacré principalement à la terminologie juridique et à d’autres termes lexicaux qui apparaissent fréquemment dans un cadre judiciaire dans des causes impliquant des Haïtiens. La sélection s’est faite principalement sur la base des termes qui se sont avérés difficiles à interpréter en créole haïtien. (…) Ce glossaire a été rédigé dans le but précis de fournir aux interprètes créoles un aperçu compréhensible, et non exhaustif, des termes juridiques ou autres en anglais, et de fournir le mot ou l’expression équivalente en créole haïtien qui peut être utilisé dans le processus d’interprétation. On ne trouvera donc pas dans cet ouvrage de définitions exhaustives de dictionnaires, ni d’autres notes ou commentaires étymologiques, linguistiques ou historiques. Nombre de ces termes n’ont jamais été répertoriés auparavant et représentent un effort concerté pour aider les interprètes en créole haïtien dans la tâche ardue qui consiste à transférer le sens d’un univers linguistique culturel à un autre univers linguistique culturel très éloigné et complexe. Les équivalents inclus dans cette référence sont ceux qui sont les plus significatifs et les plus compréhensibles dans l’univers linguistique créole pour le plus grand nombre de locuteurs traditionnels et non traditionnels du créole. » [Traduction : RBO]

  1. Les sources du corpus de référence

Dans ce dictionnaire, le corpus de référence est un « corpus fermé » dont les limites sont préalablement fixées en fonction de l’objectif pragmatique à atteindre : « La sélection s’est faite principalement sur la base des termes qui se sont avérés difficiles à interpréter en créole haïtien » dans un cadre judiciaire explicitement identifié, à savoir les « causes impliquant des Haïtiens » par-devant des tribunaux états-uniens.

  1. Établissement de la nomenclature

En lien avec le « corpus fermé » adéquatement identifié, la nomenclature des termes retenus, et qui apparaissent en « entrée » du dictionnaire, constitue une « nomenclature fermée ». La « Préface » du dictionnaire, en effet, précise que « La sélection [des unités lexicales] s’est faite principalement sur la base des termes qui se sont avérés difficiles à interpréter en créole haïtien » dans un cadre judiciaire explicitement identifié, à savoir les « causes impliquant des Haïtiens » par-devant une juridiction dont la langue de travail est l’anglais. Toutefois ces paramètres souffrent d’un évident déficit de cohérence puisqu’on retrouve dans la nomenclature des termes qui, compte-tenu de leur fréquence dans le vocabulaire général du Droit, ne présentent pas de réelles difficultés de traduction en créole. C’est le cas par exemple de « accusation » = « akizasyon », « advocate » = « avoka », « child abuse » = (en français) « enfance maltraitée », « false arrest » = (en français) « arrestation illégale ». L’on retrouve également des termes qui n’appartiennent pas, au sens strict, au vocabulaire du Droit mais qui sont couramment employés dans ce domaine : « lease » = « bail », « client » = « kliyan », « corpse » = « kadav », « device » = « aparey », « zouti ». La rétention d’un certain nombre de termes n’appartenant pas au sens strict au vocabulaire du droit s’explique principalement par le choix éditorial effectué en amont, à savoir que l’élaboration du dictionnaire a été menée « sur la base des termes qui se sont avérés difficiles à interpréter en créole haïtien ».

La « Préface » du dictionnaire expose que « Collectivement, ces personnes [les auteurs] ont effectué la compilation des termes dans les deux langues pendant une longue période et se sont continuellement efforcées de trouver les équivalents les plus utiles et les plus appropriés en créole haïtien. » Cette préconisation est fort discutable, comme on le verra à la section suivante, car le principe de l’adéquation et de la conformité des équivalences lexicales s’est avéré à l’analyse absent dans un grand nombre d’équivalents créoles proposés pour traduire les termes anglais : en nombre élevé, des équivalents créoles ne sont pas « les plus utiles et les plus appropriés en créole haïtien » mais plutôt des phrases définitoires/explicatives tenant lieu d’équivalents créoles (voir le « Tableau 1 »).

  1. Traitement lexicographique des termes de la nomenclature

Alors même que le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » a été élaboré par des langagiers natifs d’Haïti (linguistes, interprètes certifiés) en collaboration avec des juristes, entre autres Karl Racine, ancien procureur général du district de Columbia à Washington et lui aussi natif d’Haïti, cet ouvrage comporte de très lourdes lacunes. Celles-ci sont identifiables sur deux registres liés : (1) l’inadéquation, la non-conformité et l’inexactitude d’un grand nombre d’équivalents créoles et (2) la fréquente utilisation d’une phrase définitoire et/ou explicative comme équivalent créole. Le « Tableau 1 » en fournit un ample échantillon.

TABLEAU 1 / « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » du National Center for Interpretation Testing, Research and Policy (NCI) / Échantillon de termes anglais, suivis de leur définition et des équivalents créoles + Équivalents français

du *GDT ou de **Termium Plus

Terme anglais Définition anglaise Équivalent créole (unité lexicale ou utilisation d’une phrase définitoire comme équivalent créole) Équivalent français du GDT* ou de Termium Plus**

+ Remarques de RBO

accusation An allegation made to a ·court, that a person is alleged to have committed a crime. akizasyon accusation
acquit To set free from an obligation or an accusation. declare moun pa koupab rendre un verdict d’acquittement (Termium Plus)
citizen A person born in the United States or later naturalized. A person who enjoys all of the rights, privileges and responsibilities which can be enjoyed by any other person within a legal district. sitwayen peyi Etazini ;
moun ki fet nan peyi Etazini ;
moun ki pran nasyonalite peyi Etazini ; moun ki vin sitwayen peyi Etazini
Remarque de RBO / La séquence verbale « act in concert » (« agir de concert ») est traduite à la fois par une séquence substantive « ansanm ak lòt moun » et également par une séquence verbale « fè (yon bagay), fè (kichoy) ».
act in concert To act together or with the same purpose. ansanm ak lòt moun ; fè (yon bagay) ;
fè (kichoy)
agir de concert (GDT et Termium Plus)
Remarque de RBO / La séquence verbale « act in concert » (« agir de concert ») est traduite à la fois par une séquence substantive « ansanm ak lòt moun » et également par une séquence verbale « fè (yon bagay), fè (kichoy) ».
advocate v. To speak in favor of or defend by argument.

n. A person who speaks for another person for a cause.

v. presente pou yon lòt ;
parèt pou yon lot ;
kanpe pou yon lòt ;
pran pozisyon pou
(yon kòz, yon lide)

n. avoka ;
moun ki prezante pou yon lòt ; moun ki parèt pou yon lòt ; moun ki kanpe pou yon lòt ; moun ki pran pozisyon pou (yon kòz, yon lide)

Remarque de RBO / Le terme « advocate » est défini en tant que verbe (v.) et en tant que nom (n.). Dans Termium Plus, la forme verbale « advocate » a pour équivalent français « plaider la cause de ». L’ouvrage n’établit pas de renvoi synonymique entre des substantifs qu’il répertorie sans lien entre eux : « advocate », « lawyer » et « legal advisor ».
youthful offender A youth who is treated as delinquent and not as a criminal in the juvenile court. minè ki fè zak délinquant juvénile, enfant délinquant, jeune contrevenant, adolescent délinquant » 
Remarque de RBO / L’équivalent créole prend la forme d’une phrase définitoire et le sème « offender » (« délinquant, contrevenant ») est absent de « minè ki fè zak ».
zoning ordinance Laws with limit the use as to which land in each area may be put, the minimum site of each lot, building types, etc. lwa ki regle sa ki ka fèt nan dives zòn yon vil (monte kay, legliz, lopital, magazen…) ordonnance de zonage (Termium Plus)
Remarque de RBO / L’équivalent créole prend la forme d’une phrase définitoire qui n’exprime pas l’articulation sémantique existant entre « zoning » (« zonage ») et « ordinance » (« ordonnance »). Une « ordonnance de zonage » n’est pas obligatoirement une loi, elle peut être une simple directive administrative émise, par exemple, par une municipalité.
child abuse The failure to take the proper care of a child. fè timoun pase mizè ; maltrete timoun ; fè timoun abi enfance maltraitée n. f. (GDT) ; violence envers les enfants, violence à l’égard des enfants, violence à l’endroit des enfants (Termium Plus)

 

lease A contract for the use of land or buildings for a given period of time, but not for their ownership. lwayaj ; fèm ; anfèmaj ; fèmaj bail n.m (GDT et Termium Plus)
expert witness A person possessing special knowledge or experience who is allowed to testify at a trial not only about facts (like an ordinary witness) but also about the opinions or the professional conclusions he or she draws from these facts. yon temwen ki espesyalis ; yon temwen ki espè témoin expert n. m.

(GDT et Termium Plus)

extortion Any illegal taking of money by using threats, force or misuse of public office. fè abi pou vòlò ;
fè menas pou vòlò;
vòlò leta ;
lè moun sèvi ak otorite I pou vòlè
extorsion n. fém. (GDT et Termium Plus)
Remarque de RBO / La définition française de « extortion » dans le GDT expose le trait notionnel majeur de « crime » : « Acte criminel par lequel une personne induit ou tente d’induire une autre personne à accomplir un acte, en usant de menaces, d’accusations ou de violence ». À l’inverse, les équivalents créoles sont plus restrictifs et privilégient le sème définitoire de « voler » qui est certes un crime mais tous les crimes ne se résument pas à « voler ». 
false arrest An unlawful restraint of deprivation of a person’s liberty. lè yo arete yon moun pou anyen ; lè yo fèmen yon moun san rezon ; lè yo mete yon moun nan prizon san lalwa pa mande fè sa arrestation illégale n. f.

détention arbitraire n. f.

(GDT) ; arrestation illicite n. f. (Termium Plus)

Remarque de RBO / Hypothèse : le segment « lè yo » à l’initiale des équivalents créoles semble mettre l’accent sur une temporalité future (quand telle chose adviendra) plutôt que sur la chose advenue et saisie dans une temporalité présente (l’« arrestation illégale » est attestée au présent).

*GDT : Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. **Termium Plus : dictionnaire terminologique du Bureau de la traduction du gouvernement fédéral canadien.

La problématique de l’équivalence en traduction juridique a été diversement étudiée par des spécialistes du domaine (traducteurs et rédacteurs juridiques, jurilinguistes), et par des linguistes d’horizons divers. Cette problématique a fait l’objet de la thèse de doctorat de Gladys González Matthews, « L’équivalence en traduction juridique : analyse des traductions au sein de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) » (Université Laval, 2003). Gladys González Matthews expose avec rigueur les difficultés et les enjeux inhérents à l’équivalence en traduction juridique, et il est utile de la citer longuement :

« La traduction juridique possède des caractéristiques qui la distinguent d’autres formes de traduction. Dans le domaine scientifique, la traduction est favorisée par le fait que la terminologie y est généralement univoque ; elle peut souvent être exprimée à l’aide de symboles qui excluent toute ambiguïté. Les symboles chimiques et les formules mathématiques, par exemple, ont une représentation universelle, ils ne sont pas affectés par des questions de contexte ou de langue. Par ailleurs, dans le domaine littéraire, il n’y a pas d’objection à considérer le traducteur comme un second créateur qui puise son inspiration de l’original et en fait une nouvelle œuvre dans laquelle il tente, au moyen d’une forme nouvelle, d’exprimer les mêmes idées. Dans le domaine juridique, toutefois, le rôle du traducteur ne saurait être perçu ainsi. »

« (…) Le langage juridique est l’une des langues de spécialité les plus complexes. Sa traduction est par conséquent complexe elle aussi. La langue est le véhicule d’expression du droit. Ce véhicule d’expression est soumis à un grand nombre de règles sur les plans stylistique, syntaxique, sémantique et lexical. Ces règles sont fixées au sommet de la hiérarchie du système juridique, soit par le législateur. Il en résulte une langue dotée d’un caractère particulier que tous les usagers du domaine se doivent de respecter. En se dotant d’une langue particulière, le droit cherche à donner à la norme l’efficacité et la nature impérative nécessaires pour organiser la vie en société. »

« (…) La terminologie du droit est vaste et provient de sources variées. Bon nombre de termes proviennent de la langue courante, mais sont dotés d’une signification particulière, alors que d’autres n’existent qu’à l’intérieur du cadre juridique. D’autres termes sont empruntés à d’autres langues ou en sont l’héritage, en particulier le latin et le grec. Par ailleurs, la signification des termes est souvent fixée selon un contexte particulier, dans un cas particulier, ce qui fait de la langue juridique l’une des langues les plus polysémiques. »

« (…) La traduction juridique doit tenir compte des éléments qui constituent le tissu du droit. À l’instar d’un véritable tissu, le droit est composé d’éléments ayant des effets les uns sur les autres : le droit est un phénomène social véhiculé par une langue qui est, elle aussi, un phénomène social; le droit dicte la norme à l’aide d’une langue qui a été au préalable soumise à des normes que le droit a lui-même établies. Par ailleurs, le droit étant un phénomène social, traduire un texte de loi signifie transposer un produit dans une autre culture. Ce sont là des caractéristiques faisant de la traduction juridique une opération aux difficultés multiples. »

Gladys González Matthews circonscrit rigoureusement l’une des caractéristiques majeures de la problématique de l’équivalence en traduction juridique : elle pose l’articulation existant entre le Droit, « phénomène social », et le Droit instance à la fois normative et instance normée « soumise à des normes que le droit a lui-même établies » et que « tous les usagers du domaine se doivent de respecter », y compris par les traducteurs juridiques. L’équivalent dans la langue d’arrivée –ici le créole–, doit rigoureusement circonscrire et exprimer la notion que recouvre le terme dans la langue de départ –ici l’anglais–, sans perdre de vue que « traduire un texte de loi signifie transposer un produit dans une autre culture ».

Ainsi, les principes à la fois juridiques et lexicographiques exposés par Gladys González Matthews dans sa thèse de doctorat ne se retrouvent pas dans l’approche méthodologique privilégiée les rédacteurs du « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » qui, il faut le rappeler, ne sont ni des traducteurs juridiques ni des rédacteurs juridiques ni des lexicographes. Les lourdes lacunes du « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » se situent sur un double registre. D’une part un grand nombre d’équivalents créoles sont inexacts, approximatifs ou carrément faux. Exemples : « citizen » = « sitwayen peyi Etazini », « moun ki fet nan peyi Etazini », « moun ki pran nasyonalite peyi Etazini », « moun ki vin sitwayen peyi Etazini » ; le terme « disclaim » dans sa forme verbale a pour équivalent créole « kite (sa) tonbe », ce qui ne correspond pas au sens plein de la forme verbale « renoncer à » (Termium Plus) et au substantif « renoncement » ; « dispatcher » faussement défini comme « The policeman who operates the police station’s central radio », est faussement traduit par « operatè radyo (lapolis) » ; « exculpatory » (« evidence which tends to demonstrate innocence ») est traduit par « ki montre yon moun inosan », l’équivalent créole faisant ici l’impasse sur le trait sémantique initial de « evidence », à savoir la « preuve ».

D’autre part –et c’est là la plus lourde lacune de ce dictionnaire–, cet ouvrage affiche la fréquente utilisation d’une phrase définitoire et/ou explicative comme équivalent créole. Les termes anglais de la nomenclature (termes simples ou termes complexes) souvent ne sont pas traduits, ils ont fréquemment pour équivalents créoles une phrase définitoire et/ou explicative. Cela atteste qu’il y a dans le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » une ample confusion entre une unité lexicale et une phrase définitoire donnée comme équivalent créole. Cette ample confusion se retrouve dans le « English-Haitian Creole Computer Terms » d’Emmanuel W. Vedrine et dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative ». Exemples tirés du Vedrine : « shift » = « pese bouton shift (pou bay majiskil) » ; « are you sure you want to » = « ou si (asire) ou vle » (équivalent totalement opaque sur le plan sémantique). Exemples tirés du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » : « multiple regression analysis » = « analiz pou yon makonnay regresyon » (équivalent totalement opaque sur le plan sémantique) ; « how many more matings would you like to perform ? » = « konbyen kwazman ou vle reyalize ? ».

De manière plus essentielle, la comparaison entre le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » du National Center for Interpretation (University of Arizona), le « English-Haitian Creole Computer Terms » d’Emmanuel W. Vedrine et le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » est riche d’enseignements. Ainsi, en ce qui a trait au CRITÈRE DE L’EXACTITUDE DE L’ÉQUIVALENCE LEXICALE CONJOINT À CELUI DE L’ÉQUIVALENCE NOTIONNELLE, il est avéré que CE CRITÈRE MAJEUR PLACÉ AU CENTRE DE TOUTE RIGOUREUSE DÉMARCHE LEXICOGRAPHIQUE ET TERMINOLOGIQUE EST ABSENT DANS UN GRAND NOMBRE DE PSEUDO ÉQUIVALENTS « CRÉOLES » DE CES TROIS OUVRAGES LEXICOGRAPHIQUES. En voici quelques exemples tirés du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » (« Tableau 2 »). Les exemples du « Tableau 2 » sont suivis, à titre comparatif au « Tableau 3 », d’un échantillon de termes dont le domaine d’emploi est spécifié. La mention du domaine d’emploi est un critère de premier plan pour bien mesurer l’exactitude de l’équivalence lexicale conjoint à celui de l’équivalence notionnelle.

TABLEAU 2 / Échantillon de pseudo équivalents « créoles » provenant du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative »

Termes anglais Équivalents « créoles »** 
bar graph grafik ti baton [1,2,3]
accumulation antipilasyon [1,2,3]
atomic packing makonn atomik [1,2,3]

air resistance rezistans lè [1,3,4]
air track pis kout lè // pis ayere [1,2,3,4]
and replica plate on epi plak pou replik sou [1,2,3,4]
escape velocity vitès chape poul [1,3,4]
multiple regression analysis analiz pou yon makonnay regresyon [1,2,3,4]

center of mass sant mas yo [1,2,3,4]
checkbox bwat tchèk [1,2,3,4]
flux meter flimèt [1,3,4]
line integral  entegral sou liy [1,2,3,4]
how many more matings would you like to perform ? konbyen kwazman ou vle reyalize ? [1,4]
peer instruction enstriksyon ant kanmarad [1,3,4]
prior (conjugate) konpayèl o pa [1,2,3,4]
seasaw prinsiple prensip balanswa baskil [1,2,3,4]
spin angular momentum moman angilè piwèt [1,2,3,4]

** [Remarques analytiques sur les équivalents « créoles »] : 1 = équivalent faux et/ou fantaisiste et/ou qui ne constitue pas une unité lexicale ; 2 = équivalent non conforme à la syntaxe du créole ; 3 = équivalent présentant une totale opacité sémantique ; 4 = équivalent dont la catégorie lexicale n’est pas précisée. Tel que précisé plus haut, le critère de l’exactitude de l’équivalence lexicale conjoint à celui de l’équivalence notionnelle » est un critère central de toute rigoureuse démarche lexicographique. Il est totalement absent du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » pour une évidente raison : les rédacteurs de cet ouvrage ne disposent d’aucune compétence universitaire et professionnelle avérée et vérifiable en lexicographie générale et encore moins en lexicographie créole, et certainement pas en rédaction scientifique et technique créole. Aucun des rédacteurs de ce « Glossary » n’a publié, au cours des trente dernières années, un quelconque texte en lien avec la lexicographie créole, et la lexicographie en tant que discipline spécifique de la linguistique n’est même pas enseignée au Département de linguistique du MIT qui pourtant abrite le MIT Haiti Initiative…

TABLEAU 3 / Échantillon comparatif de quelques termes anglais suivis d’équivalents « créoles » provenant du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » suivis des équivalents français, avec mention du domaine d’emploi, relevés dans le Grand dictionnaire terminologique (GDT*) de l’Office québécois de la langue française

Termes anglais Équivalents « créoles » Termes français du *GDT Domaine d’emploi du terme
bar graph grafik ti baton diagramme de barres [GDT*] chimie, chromatographie

 

air track pis kout lè ; pis ayere rail à coussin d’air [GDT*] chemin de fer
escape velocity vitès chape poul vitesse de libération [GDT*] astronautique ;

mécanique du vol dans l’espace

multiple regression analysis analiz pou yon makonnay regresyon analyse de régression multiple [GDT*] statistique

Les équivalents français relevés à titre comparatif dans le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française indiquent bien que l’aire sémantique des termes anglais ne correspond pas du tout aux équivalents « créoles » bricolés par les rédacteurs du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » qui, il faut encore le rappeler, ne sont dépositaires d’aucune compétence connue en lexicographie créole. L’amateurisme qui caractérise cette production lexicographique borlettisée, pourvoyeuse d’un lexique en grande partie opaque et incompréhensible du locuteur créolophone, s’explique donc principalement par l’ignorance des règles de base de l’équivalence notionnelle et lexicale (voir Annaïch Le Serrec et Janine Pimentel, « Équivalence en terminologie : repérage et validation en corpus parallèle et en corpus comparable », Observatoire de linguistique sens-texte Lexterm, Université de Montréal, 2010).

Qu’il s’agisse du le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » du National Center for Interpretation (University of Arizona), de l’« English-Haitian Creole Computer Terms » d’Emmanuel W. Vedrine et du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », la lexicographie haïtienne vieille de 64 ans est tributaire pour une grande part d’UNE TRIPLE LOURDE LACUNE DE FOND : (1) l’ignorance du dispositif normé de la méthodologie de la lexicographie professionnelle et (2) l’incapacité d’élaborer des lexiques et des vocabulaires en stricte conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle et, de manière liée, (3) l’incapacité de produire des équivalents créoles spécifiques –des unités lexicales– en dehors de l’emploi fréquent de phrases définitoires et/ou explicatives en lieu et place d’équivalents créoles lexicalisés. Cette incapacité est tributaire de l’absence de critères relatifs à l’exactitude de l’équivalence lexicale conjoint à celui de l’équivalence notionnelle, et elle est davantage exposée dans les productions lexicographiques qui prétendent élaborer une terminologie dans les domaines techniques et scientifique (voir les « Tableaux » 1, 2, 3) et également dans le domaine juridique comme nous venons de le démontrer en analysant le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » du National Center for Interpretation (University of Arizona).

Il est symptomatique que la triple lourde lacune de fond de la lexicographie créole contemporaine siège dans un environnement universitaire, la University of Arizona pour le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms », et le Département de linguistique du MIT pour le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative ». Ces deux institutions ne disposent d’aucune compétence connue en lexicographie générale et en lexicographie créole, ce qui n’empêche pas les rédacteurs-bricoleurs du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » de prétendre frauduleusement mener une entreprise de néologie créole. En effet, l’élaboration du « Glossary » est présentée, sur le site du MIT – Haiti Initiative –au chapitre « Kreyòl-English glosses for creating and translating materials in Science, Technology, Engineering & Mathematics (STEM) fields in the MIT-Haiti Initiative »–, dans les termes suivants : « (…)  l’un des effets secondaires positifs des activités du MIT-Haïti (ateliers sur les STEM, production de matériel en kreyòl de haute qualité, etc.) est que nous enrichissons la langue d’un nouveau vocabulaire scientifique qui peut servir de ressource indispensable aux enseignants et aux étudiants. Ces activités contribuent au « développement lexical de la langue » créole. » [Traduction : RBO] Le « nouveau vocabulaire scientifique » bricolé par les rédacteurs du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » a enfanté d’obscurs et fantaisistes équivalents « créoles » totalement incompréhensibles du locuteur créolophone ; exemples : « makonn atomik », « grafik ti baton », « entèferans fabrikatif », « an pwotonasyon », « pis kout lè », « pis ayere », « epi plak pou replik sou », « vitès chape poul », « analiz pou yon makonnay regresyon », « entegral sou liy »… Quant à lui, le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms », qui n’a pas été élaboré dans la concertation avec des juristes haïtiens oeuvrant en Haïti ou avec l’École de la magistrature d’Haïti, charrie lui aussi des équivalents créoles erratiques et obscurs où des périphrases sont données pour des équivalents créoles ; exemples : « ordinance » = « lwa ki regle sa ki ka fèt nan dives zòn yon vil » ; « false arrest » = « lè yo arete yon moun pou anyen » ; « lè yo fèmen yon moun san rezon » ; « lè yo mete yon moun nan prizon san lalwa pa mande fè sa ».

La triple lourde lacune de fond de la lexicographie créole contemporaine, sur le registre spécifique de la néologie créole, a des conséquences désastreuses que les linguistes créolistes doivent davantage soumettre à l’analyse critique. D’une part, la néologie créole entendue au sens de la néologie planifiée, est un champ neuf du domaine conjoint de la lexicographie et de la terminologie et à ce titre elle doit se développer dans l’ancrage au socle méthodologique de la lexicographie professionnelle. D’autre part, l’échec attesté consécutif aux errements méthodologiques ayant conduit à l’arrivée de la « néologie borlette » –dans l’« English-Haitian Creole Computer Terms » d’Emmanuel W. Vedrine et dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative »–, illustre en toute clarté que la « néologie borlette », pourvoyeuse d’équivalents fantaisistes et erratiques, ne peut en aucun cas constituer un « modèle » capable de guider l’ensemble des futurs chantiers de la néologie créole. (Sur la problématique de la néologie scientifique et technique créole, voir notre article « La néologie scientifique et technique, un indispensable auxiliaire de la didactisation du créole haïtien » paru dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robert Berrouët-Oriol et al., Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021. Une très ample réflexion analytique sur la néologie créole a été conduite par la linguiste créoliste Marie-Christine Hazaël-Massieux dans l’article « Prolégomènes à une néologie créole » paru dans la Revue française de linguistique appliquée vol. VII, 2002/1.)

  1. Le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman : un modèle lexicographique de haute qualité scientifique

La lexicographie créole contemporaine, sur le versant anglais-créole, dispose toutefois d’un remarquable modèle lexicographique de haute qualité scientifique : le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman et al. (Creole Institute, Indiana University, 2007, 781 pages). Ce dictionnaire est issu d’un vaste et rigoureux chantier lexicographique, il a été élaboré sur le socle méthodologique de la lexicographie professionnelle. L’analyse objective atteste que ce monumental dictionnaire généraliste bilingue créole-anglais remplit toutes les exigences de la dictionnairique moderne et il constitue la modélisation la plus aboutie de toute la lexicographie bilingue anglais-créole. Fortement structuré, il expose clairement le « Guide d’utilisation du dictionnaire » (page XIX : descriptif de sa méthodologie), la « Présentation détaillée du contenu des entrées » (page XXIII), une ample bibliographie (page XXIX), la « Liste des abréviations » (page XXXIII), suivis de l’ensemble des rubriques du dictionnaire (pages 1 à 781).

TABLEAU 4 / Modélisation des rubriques lexicographiques dans le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary »

Terme créole

Catégorie grammaticale

Définition anglaise

Terme(s) apparenté(s)

Locutions illustratives

Renvoi(s)

pipirit1

n. [nom ou substantif]

Kind of small bird

pipirit chandèl

Anvan pipirit mete kanson li/depi pipirit chante

Gri kou pipirit /see/ gri.

Sou kon pipirit /see/ sou.

pipirit gri

pipirit gwo tèt

pipirit pa chante

pipirit rivyè

pipirit tètfou

pipirit2

/see/ pripri

[Les termes apparentés sont définis et suivis d’une illustration d’emploi. Ex. : Li kite lakay li o pipirit chantan]

Tel que nous l’avons démontré dans notre compte-rendu analytique du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » effectué selon les critères méthodologiques usuels de la lexicographie professionnelle, ce dictionnaire comprend : (1) une adéquate formulation de la politique éditoriale et les cibles visées ; (2) la détermination du corpus de référence et les règles de dépouillement des données ; (3) l’élaboration rigoureuse de la nomenclature et une systématique rédaction des définitions, des notes et des exemples illustratifs (voir notre article : « Lexicographie créole : revisiter le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman » (Le National, 31 janvier 2023).

L’usager qui consulte le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » accède à des unités lexicales et non pas à des énoncés phrastiques tenant lieu d’équivalents créoles. La consultation de l’ouvrage est aisée, l’on accède facilement à des termes définis et grammaticalement catégorisés ainsi qu’à des termes apparentés –« pipirit gri », « pipirit gwo tèt », « pipirit pa chante », « pipirit rivyè » et « pipirit tètfou »–,  au moyen d’un souple système de renvois . Le terme « pipirit » (définition : « Kind of small bird ») renvoie ainsi à « pipirit chandèl » et à des locutions illustratives telles que « Anvan pipirit mete kanson li » / « depi pipirit chante » / « Gri kou pipirit » /see/ « gri », « Sou kon pipirit » /see/ « sou ».

En guise de conclusion, il y a lieu de rappeler que la traduction juridique français-créole et anglais-créole ainsi que la production d’outils lexicographiques unilingues créoles sont des domaines majeurs qui ont rendez-vous avec l’édification de l’État de droit en Haïti et avec l’efficience des droits citoyens consignés dans la Constitution de 1987. Les outils lexicographiques du domaine du Droit seront également utiles à la nécessaire didactisation du créole comme l’a bien montré le juriste Alain Guillaume dans son article « Pour un encadrement juridique de la didactisation du créole en Haïti » paru dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (ouvrage co-écrit et dirigé par Robert Berrouët-Oriol, Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021). Sur un registre tout aussi important, celui du « Droit coutumier » haïtien dont la langue conceptuelle et d’expression est le créole, des travaux de recherche majeurs devront également être conduits pour, entre autres, explorer et apporter des réponses institutionnelles et régaliennes à la « fracture juridique » évoquée par le juriste Alain Guillaume dans son article de référence « L’expression créole du droit : une voie pour la réduction de la fracture juridique en Haïti » (Revue française de linguistique appliquée, vol. XVI, 2011/1).

Dans son étude Alain guillaume expose que « La société haïtienne est marquée par des dichotomies bi-séculaires faites d’oppositions aussi extrêmes que constantes. (…) Cette configuration sociale affecte jusqu’aux structures juridiques du pays. Elle a donné lieu à une véritable fracture juridique avec un bijuridisme inégalitaire compliqué du facteur linguistique. Le bijuridisme renvoie en Haïti à une situation de cohabitation de deux traditions juridiques, l’une écrite, exprimée de préférence en français, et l’autre orale, coutumière, utilisant le créole comme vecteur linguistique (Dorval 2003). Il peut être qualifié d’inégalitaire, en ce sens qu’il consacre la domination, ou tout au moins la volonté de domination du second par le premier. Cette domination se manifeste principalement par la négation du droit coutumier informel (Montalvo Despeignes 1976) –généralement considéré comme dépourvu de toute réelle valeur juridique, bien qu’il régisse des pans entiers du corps social–, et par le refus de rendre l’information juridique disponible en créole. (…) L’inaccessibilité de l’information juridique à la majorité créolophone et la non-correspondance entre la règle de droit édictée par les institutions étatiques et le vécu de la majorité des Haïtiens demeurent deux des problèmes juridiques majeurs en Haïti. » [Les caractères gras sont de RBO. Les références évoquées par Alain Guillaume dans cette partie de son article sont : Jacquelin Montalvo Despeignes (1996), « Le droit informel haïtien » (PUF, 1976 ; thèse préfacée par Jean Carbonnier) et Monferrier Dorval (2003), « La place de la loi et des coutumes en Haïti » paru dans « De la place de la coutume dans l’ordre juridique haïtien. Bilan et perspectives à la lumière du droit comparé », actes du Colloque des 29 et 30 novembre 2001, Presses universitaires de Grenoble.] Les travaux de recherche universitaire sur le « Droit coutumier informel » devront permettre de répondre à des questions majeures, notamment : (1) dans ses dimensions sociologique et anthropologique, quels sont les mécanismes et/ou les réseaux actuels de l’exercice du « Droit coutumier » en Haïti ? S’agit-il des traditionnels « lakou » ou des espaces dédiés au culte vodou ? (2) Par qui le « Droit coutumier » est-il exercé aujourd’hui en Haïti ? (3) Dispose-t-il de ce qui pourrait éventuellement s’apparenter à une sorte de « clergé », de « barreau », de « tribunaux » ? (4) Est-il fondé de dire que le « Droit coutumier » est une instance discursive au sein de laquelle les locuteurs ne s’expriment qu’en créole ? (5) Dans la mesure où toute instance discursive produit un vocabulaire généraliste et des terminologies spécifiques selon les besoins langagiers des locuteurs, est-il possible d’identifier et de retracer un vocabulaire créole spécifique du « Droit coutumier » ? (6) Dans l’hypothèse où le « Droit coutumier » imprègne toutes les relations entre les locuteurs unilingues créolophones, en particulier dans les campagnes, a-t-il préséance sur la tradition civiliste dans l’administration des zones rurales du pays ? Cet ample cheminement réflexif pourra bénéficier des études rassemblées dans l’ouvrage « De la place de la coutume dans l’ordre juridique haïtien. Bilan et perspectives à la lumière du droit comparé » (Presses universitaires de Grenoble, 2003). Cet ouvrage a été publié à la suite colloque international sur la place de la coutume dans l’ordre juridique haïtien tenu à Port-au-Prince, les 29 et 30 novembre 2001. L’on pourra également mettre à contribution les actes du colloque tenu les 14-16 avril 2021 au CESICE (Université Grenoble Alpes), « Droit et pouvoir à Haïti (1801-1934) » publiés sous la direction de Frédéric Charlin et Yves Lassard en septembre 2022 à l’enseigne de l’Institut francophone pour la justice et la démocratie. Historien du droit, Yves Lessard enseigne à la Faculté de droit de Grenoble depuis 1985. Il est l’auteur, entre autres, du livre « Droit coutumier familial haïtien : un héritage pluriséculaire » (Revista ultracontinental de literatura jurídica, Ed. Associação de letras juridicas de Montes Claros, vol. 3 no 3, 2022).

Montréal, le 25 septembre 2023