Le théâtre privé retrouve de l’entrain

— Par Alain Beuve-Méry —theatre_placier

Tous les ans, comme ce 11 septembre, les trois coups de la rentrée des théâtres privés parisiens (non subventionnés) sont frappés rue Blanche, au Théâtre de Paris. Dans le hall aux murs rouges et colonnes en stuc blanc, tous les directeurs de salles, producteurs, tourneurs, acteurs, auteurs, attachés de presse se bousculent pour humer l’air de la rentrée. Directeur du Théâtre Edouard VII et président du Syndicat national des directeurs et tourneurs du théâtre privé (SNDTP), Bernard Murat est là pour présenter les évolutions.

En ligne de mire, cette année, le projet de loi d’orientation relatif à la création artistique, « vide dans sa partie consacrée à la préservation de la diversité culturelle » et ne comportant « aucune disposition censée mieux réguler l’activité d’entrepreneur de spectacles ». Les services de la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, sont invités à revoir leur copie.

Mais l’essentiel des propos ne se situe pas là. Après avoir connu une année noire en 2012, Bernard Murat constate depuis juin « un frémissement » de la fréquentation pour la cinquantaine de théâtres privés, adhérents du syndicat (L’Atelier, Théâtre Antoine, Comédie des Champs-Elysées, Folies-Bergère, Hébertot, Marigny, Michodière, Mogador, Saint-Georges, Poche-Montparnasse, Variétés, Béliers Parisiens, etc.).

BAISSE SENSIBLE DU PRIX DU BILLET

En 2012, tous les clignotants ont subitement viré au rouge. Les recettes de la billetterie ont chuté de 14 %, passant de 109,7 millions d’euros en 2011 à 94,4 millions en 2012. La fréquentation a reculé de 10 %, le nombre de spectateurs passant sous la barre des 3 millions et revenant au score de 2005, à 2,9 millions. Le prix du billet a, lui aussi, affiché une baisse sensible, perdant 1,50 euro, à 31,72 euros.

Or, avec quelque 122 spectacles à l’affiche pour la première partie de saison, contre 111 en 2012 et 101 en 2011, les directeurs de théâtre se sont surpassés pour la saison qui s’ouvre. Plusieurs « locomotives » sont à l’affiche comme Nos femmes, avec Daniel Auteuil et Richard Berry (Théâtre de Paris), Nina, avec Mathilde Seigner et François Berléant (Edouard VII), Le plus heureux des trois, d’Eugène Labiche, au Théâtre Hébertot, Zelda et Scott, avec Sara Giraudeau, au Théâtre La Bruyère, The Guitrys (Théâtre Rive-Gauche), Mur, avec Nicole Calfan et Rufus (Petit Théâtre de Paris).

Parmi les raisons qui expliquent l’augmentation du nombre de spectacles figurent la multiplication des oeuvres destinées au jeune public et le poids croissant des humoristes qui aiment à se produire dans de vrais théâtres, comme Pierre Palmade avec Le Fils du comique et Muriel Robin avec Muriel revient.

L’embellie constatée sera-t-elle durable ? Sur le premier semestre, « les théâtres privés ont récupéré la moitié de leur perte par rapport à 2012, avec une augmentation de 7 % des recettes en billetterie « , précise Antoine Masure, délégué général de l’Association pour le soutien du théâtre privé. Produisant chaque année plus de 200 spectacles par an, le théâtre privé représente plus de 50 % de la fréquentation théâtrale totale.

MUTAION À L’ŒUVRE

Mais, depuis plusieurs années, une mutation en profondeur du modèle économique du théâtre privé est à l’oeuvre. On assiste notamment à une rotation accélérée des spectacles liée à un changement de comportement du public ; à des tensions baissières sur les prix des billets avec, parallèlement, une hausse des cachets pour les artistes les plus connus ; enfin, à une augmentation des baux commerciaux et une tendance à la concentration des salles de secteur aux mains de groupes aux capacités financières plus grandes.

Bernard Murat a beau jeu de pointer « un accroissement du nombre d’exploitations à durée déterminée », c’est-à-dire dont la date de dernière est fixée dès sa conception, sans que le succès puisse en repousser le terme. Fini les spectacles qui durent toute une saison ! Deux fois par an, au moins, les directeurs de théâtre mettent en jeu le prix d’un appartement parisien pour produire un spectacle vivant.

La dimension humaine et artisanale de toute entreprise de spectacle se trouve ainsi rudement mise à l’épreuve. Mais, en cas de bide, il existe un fonds de soutien doté de 15 millions d’euros, mis en place par la profession. Il permet de prendre en charge de 30 % à 40 % du déficit. Ce système, dont on fêtera le 50e anniversaire en 2014, a démontré son efficacité. « Il assure une mutualisation des risques », précise M. Masure. Il comprend aussi des aides à la création, qui viennent en amont des représentations, pour les frais de montage, de costume, de publicité.
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LE MONDE | 21.09.2013