Le plaisir au féminin

Adeline Fleury, ancienne collaboratrice au JDD, fait l’éloge de la jouissance féminine.

jouissance-400La jouissance féminine, « vaste programme » aurait dit le général de Gaulle, qui n’a pas toujours été le « bonnet de nuit » qu’on imagine. Le Petit Éloge que lui consacre Adeline Fleury est un livre courageux (l’auteure s’y expose), argumenté (elle s’y confronte aux grands textes), écrit avec finesse et audace. Elle y avoue avoir attendu ses 35 ans pour découvrir la plénitude sexuelle, cette jouissance à propos de laquelle le philosophe Jean-Luc Nancy écrit : « Jouir, c’est s’échapper à soi-même. » Le point crucial concerne moins le caractère tardif de cette métamorphose que l’émerveillement généré par cette révolution.

Le livre suit un double chemin : 1/Adèle raconte sans détour cet épanouissement, du premier émoi quand la main de « l’homme électrochoc » se pose sur son jean jusqu’aux ardeurs les plus extrêmes ; 2/Adeline s’interroge : d’où vient l’effroi qui peut tenir en lisière la jouissance féminine, et qui fit passer les femmes pour des sorcières, des hystériques, des épileptiques? La peur de l’homme devant cette incandescence qui pourrait se révéler insatiable ; l’angoisse des femmes sur leur propre plaisir.

Obscur « continent noir »

Freud avait avoué que ce « continent noir » lui paraissait bien obscur au regard des canons phalliques de son époque. Lacan, lui, pensa cette puissance extraordinaire, son caractère illimité car non ­frappé de castration. De ce point de vue, le mythe de Tirésias est éclairant. Le devin de Thèbes fut homme puis femme puis homme. Zeus et Hera l’interrogèrent pour savoir qui éprouvait le plus grand plaisir. « S’il est dix parts en amour, répondit Tirésias, neuf reviennent à la femme et une seule à l’homme. » Hera, furieuse de ce dévoilement, le rendit aveugle ; Zeus, dans sa mansuétude, le fit devin.

Contrairement à Hera, ­Adeline Fleury assume sa grande découverte, qui n’est pas que sexuelle. Elle en tire des enseignements qui bouleversent les équilibres homme-femme (qui pénètre? qui est pénétré?), cite Duras (« Le féminin est la clé de la jouissance pour la femme comme pour l’homme ») et surtout Anaïs Nin (« L’érotisme est une base de connaissance de soi aussi indispensable que la poésie »).

Petit éloge de la jouissance féminine, Adeline Fleury, éd. François Bourin, 158 p, 18 euros.

Patrice Trapier
Le JDD;fr