Le Musée d’Aquitaine affiche un cartel aux relents révisionnistes sur la traite négrière

Un collectif d’écrivains, emmené par Anne-Marie Garat, déplore, dans une tribune au « Monde », la réécriture douteuse de l’histoire à laquelle se livre le Musée d’Aquitaine dans un texte explicatif qui accompagne l’une des salles consacrées à la traite négrière.

 Il semble que les instances scientifiques du Musée d’Aquitaine valident décidément un cartel pédagogique apposé dans l’une des salles consacrées à la traite négrière du port de Bordeaux car, objection ayant été présentée à son directeur il y a plus d’un an, et malgré sa réponse laissant alors espérer une modification, celui-ci est maintenu tel quel à ce jour. Le contexte muséal étant par ailleurs de grande qualité historique et documentaire, ce cartel en est d’autant plus choquant.

Selon celui-ci, « Noirs et gens de couleur viennent à Bordeaux au XVIIIe siècle. » De leur propre chef, par goût du voyage, si prisé à cette époque ? « Pour l’essentiel, il s’agit de domestiques suivant leurs maîtres. » Domestiques ? Ont-ils ce statut qui entend des gages ? L’essentiel ? Pas vraiment puisque, est-il précisé plus loin, « deux tiers sont des esclaves » : appartient-il à ce « bien meuble » de venir à Bordeaux, d’y suivre ou non son maître, qui a sur lui tout pouvoir de vente et achat, de travail forcé, de sévices, de mort… Le mot de déportation ne serait-il pas plus approprié quand le propriétaire s’exempte de l’affranchir, en contravention avec la loi qui dès alors limite le maintien d’esclaves sur le sol métropolitain ?

Ces gens seraient « envoyés apprendre un métier, parfaire leur formation » : le planteur ou l’armateur esclavagiste aurait donc souci d’éduquer le cheptel humain exploité dans ses îles à sucre, aux Antilles, à Saint-Domingue avant son départ pour parachever sa formation à Bordeaux. Que pensent les historiens de ce vertueux motif philanthropique falsifiant la réalité négrière et ses horreurs ?

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Mais « il y a peu de problèmes de cohabitation en dépit de la forte discrimination ». Or, si cohabiter signifie habiter ensemble, jouir librement du même espace, le terme édulcore sérieusement la ségrégation raciale ; et heureux d’apprendre que ceux qui la subissent ne posent pas trop de problèmes à leurs exploiteurs… Cependant, leur « afflux » a l’air d’en poser : les « autorités » s’emploient à le « limiter ». S’agirait-il d’une invasion d’immigrés subie par les Bordelais à l’insu de leur plein gré et qu’il faudrait juguler ? Allusion sibylline aux mesures de coercition de la « police des Noirs » instituée à l’encontre des esclaves : « recensements obligatoires » – litote couvrant le « passe » racial obligatoire –, « “dépôt” des Noirs », dont le pudique guillemet habille le dépotoir carcéral où, traités en criminels, ils croupissent, « rongés de vermine et de gale », selon un contemporain. Répression visant les Noirs ; évidemment pas les négriers, initiateurs et bénéficiaires de leur présence à Bordeaux et fraudant l’interdiction de servitude sur le sol métropolitain.

Une idéologie insane

Tout est à l’avenant dans ce cartel dont la rhétorique atteste la pérennité d’une idéologie insane, désinformation insidieuse aux relents révisionnistes dont la visée pédagogique auprès du visiteur, et surtout du jeune public, laisse songeur. A moins que ce lapsus de tartuferie langagière trahisse la bonne conscience d’une ville qui a tiré son opulence du commerce négrier et qui, enfin conduite à se retourner sur son histoire, « blanchit » sa mauvaise mémoire, symptôme d’une amnésie chronique locale souvent dénoncée.

Il s’agit de l’emploi des mots et de leur sens, du langage, par lequel s’énonce le monde et se construit la pensée. Non d’une quelconque repentance, mais de la rigueur historique que la mémoire collective se doit à elle-même et aux générations futures. Qu’au XXIe siècle un tel cartel puisse perdurer au Musée d’Aquitaine est simplement scandaleux, et nous demandons qu’il en soit retiré.

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Les écrivains signataires de cette tribune sont : Marianne Alphant, Françoise Armengaud, Geneviève Brisac, Belinda Cannone, Patrick Deville, Annie Ernaux, Anne-Marie Garat, Gauz, Sylvie Germain, Brigitte Giraud, Paula Jacques, Camille Laurens, Bertrand Leclair, Véronique Ovaldé, Martine Storti, Lydie Salvayre et Antoine Volodine.