Le marché juteux de l’éducation

school_businessLorsque après avoir enseigné en ZEP l’auteur est muté dans le lycée prestigieux d’un quartier chic, il découvre à quel point l’école est gangrenée par l’argent. Quand on a été élevé dans l’idée que l’école française se devait d’être publique, gratuite et méritocratique, c’est un vrai choc culturel.
Il faut dire que la compétition pour accéder aux meilleures formations est devenue féroce. Elle angoisse les parents, prêts à de lourds sacrifices pour assurer l’avenir de leurs enfants. Dans cette course effrénée, tous les moyens sont bons : déménager pour intégrer les établissements réputés, payer des formations coûteuses, privées ou publiques, du soutien scolaire et autres coaching, stages à l’étranger et préparations aux concours. Quant au tourisme scolaire, il permet de contourner la sélection – moyennant finances – pour obtenir des diplômes prestigieux.
Certes, « petits cours » et écoles payantes ne datent pas d’hier. Mais un inventaire systématique montre que nous avons changé d’échelle et que notre système éducatif en est complètement transformé. Des groupes financiers achètent et revendent des écoles par dizaines. Les universités elles-mêmes multiplient les formations payantes. La mue a été rapide, mais discrète, sauf pour ceux qui y sont directement confrontés. L’énorme pression du chômage des jeunes, l’appauvrissement de l’État et le dynamitage des diplômes par la construction européenne sont passés par là. Un état des lieux édifiant qui s’adresse aux parents d’élèves, aux enseignants, comme à tous ceux qui veulent comprendre les nouvelles règles du jeu et l’ampleur de la révolution en cours.

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L’éducation est désormais une « activité de service à haute valeur ajoutée », un bon moyen de gagner très vite beaucoup d’argent. Se pourrait-il que ce phénomène touche un jour la France ? C’est déjà le cas. […] La France, si fière de son école gratuite et méritocratique, ne résiste pas au phénomène mondial de marchandisation du savoir. C’est l’un des enseignements les plus frappants de School Business, l’enquête d’Arnaud Parienty sur l’argent dans le système éducatif. Fort de trente ans de carrière, en ZEP comme dans les lycées cossus de la capitale, ce professeur de sciences économiques et sociales observe toutes les conséquences des inégalités financières. Son ouvrage chemine de l’inévitable analyse de la carte scolaire jusqu’au marché mondialisé des études supérieures. La structure même du livre met en perspective ce constat vertigineux: de la maternelle à la vie active, l’argent oriente les parcours, sur tous les plans. Contournement de la carte scolaire, enseignement privé, cours particuliers, réseaux… Pour la plupart ces phénomènes ne sont pas nouveaux mais l’ouvrage d’Arnaud Parienty remet à plat, sans passion, les problèmes concrets de l’inégalité scolaire: qu’est-ce qui fait un bon établissement ? Progresse-t-on mieux dans une bonne école ? Pourquoi les enfants riches, même mauvais élèves, sont-ils généralement sauvés par les langues étrangères ? Le cœur de l’enquête est cependant l’étude d’une course au profit inédite. L’éducation est devenue un marché lucratif. […] Dans ce tableau peu reluisant d’un système dominé par l’argent, l’auteur ne porte jamais de jugements sur les familles. Au contraire, il analyse avec finesse l’engrenage qui les pousse à dépenser. […] L’une des véritables forces de cette cartographie du système éducatif est de démonter, chiffres à l’appui, que les classes moyennes font les frais de cette différenciation par l’argent.

28/08/2015 – Violaine Morin – Le Monde des livres

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L’interview : Le marché juteux de l’éducation

Dans un livre choc, Arnaud Parienty, professeur en science économique et sociale, dénonce les effets pervers de la marchandisation de l’éducation. Ces dix dernières années, il constate qu’une révolution est en cours, discrète mais rapide : l’essor vertigineux du marché des formations privées – depuis le collège jusqu’aux études post-bac – qui rapporte plusieurs milliards d’euros par an à ses promoteurs. Les parents, inquiets pour l’avenir professionnel de leurs enfants, n’hésitent plus, quand ils en ont les moyens, à dépenser des fortunes dans du coaching privé pour élèves en mal d’orientation, des cours particuliers, des stages linguistiques à l’étranger, ou des prépas à l’année.

Des officines privées vont jusqu’à s’installer à côté des universités pour attirer des étudiants souvent dépassés face au système universitaire : amphis géants, et absence de suivi individualisé. Les deux tiers des étudiants en médecine sont donc obligés de payer de 5000 à 10000 euros par an pour passer le cap du concours de la première année !

Si l’éducation en France est en théorie gratuite, elle est en passe de devenir payante. Et les frais de scolarité ne cessent de grimper. Une école de commerce, l’EDHEC, fait ainsi payer sa formation 45 000 euros pour trois années.

L’interview audio à retrouver ici