Quel nom pour le lycée « Schœlcher »? Choisir en toute connaissance de l’histoire

Par Yves-Léopold Monthieux

Au début de l’année 2022 les élèves du lycée Schœlcher devraient intégrer les nouveaux locaux construits sur le site de l’ancien établissement. Et voilà que des bruits circulent qui annoncent que ce haut lieu de la connaissance ne s’appellerait plus lycée Schoelcher et qu’une pétition cheminerait en vue de lui substituer une nouvelle appellation. S’il est donné une suite à ces échos on aurait ainsi la réponse politique officielle aux questions posées par la destruction des statues de Victor Schoelcher à Fort-de-France et dans la ville de Schoelcher, ainsi que le déboulonnement des bustes de l’abolitionniste en d’autres lieux. Il va sans dire que la décision aurait pour effet de cautionner les agissements des activistes, d’héroïser leurs 2 jeunes animatrices et de reconnaître à leur geste une portée historique.

La violence inattendue apportée à la mémoire et aux effigies de Victor Schoelcher, qui faisait jusqu’alors consensus et emportait l’adhésion enthousiaste d’Aimé Césaire, appelle à la plus grande prudence pour le choix d’un nouveau patronyme. On sait que le concurrent de Victor Schoelcher devant l’Histoire n’avait pas tenu la route. Que Cyrille Bissette ait détenu des esclaves, ce fut certes à cette époque un péché véniel, car ce fut le cas d’homme de bonne réputation comme le Père Labat et la plupart des héros haïtiens dont on peut lire les noms dans les rues et places de Fort-de-France. Cet homme qui mena le combat contre les esclaves avant de prendre leur défense fit, pour le moins, preuve d’opportunisme. Cependant ne faut-il pas relativiser quand on sait qu’au début du siècle suivant un homme comme Mahatma Ghandi atteignit le panthéon de l’humanité après avoir été un théoricien du racisme et l’avocat de l’apartheid ? Si Schoelcher a une part d’ombre il ne pourrait se situer qu’avant l’âge de 25 ans où il écrivit son premier texte contre l’esclavage.

Il serait question de substituer à son patronyme celui qui passe pour le découvreur de la date fétiche du 22 mai 1848 et proposa avec succès de faire de cette date celle de l’abolition de l’esclavage en Martinique. Notons que le découvreur a été un découvreur en second, car il avait été précédé par son aîné Gabriel Henry (1848), communiste comme lui, et ce dernier avait effectué ses recherches à partir d’une chronique de Lafcadio Hearn dans son ouvrage intitulé Youma (1890). Début 1960, il manquait une pièce au discours nationaliste naissant, la « découverte » d’Armand Nicolas arriva à point nommé : ce fut une véritable aubaine qui fut accueilli sans discernement. C’est ainsi que la date du 22 mai 1848 fut promptement substituée à celle du 24 avril 1848 qui est, elle, commune à toutes les colonies françaises. Comme pour faire bonne mesure, d’autres dates furent trouvées pour les 3 autres ex-vieilles colonies, mais seule celle du 22 mai est affectée d’une bonification d’héroïsme surfait pouvant laisser croire qu’elle aurait été déterminante pour les autres.

C’est ainsi que l’histoire de la Martinique a été écrite par le Parti communiste martiniquais, l’un des rares partis communistes à n’avoir jamais condamné le stalinisme, comme Césaire l’avait fait en 1956 en quittant le PCF. Les réserves ci-dessus qui se font en bas feuille par certains historiens ne sont pas les seules ni les plus graves qui devraient s’opposer à l’impétrant prétendument « Père de l’histoire martiniquaise ». Quoi qu’il arrive, reprenant le vœu d’un internaute au sujet de cette affaire et afin d’éviter aux futurs héros des déconvenues comme celles qui touchent aujourd’hui à Schoelcher, il convient de faire les choix en toute connaissance de l’histoire.

Fort-de-France, le 22 octobre 2021

Yves-Léopold Monthieux