Le lien social comme effet de discours

— Par Marie-Elisabeth Volckrick —
lien_socialComment la psychanalyse permet-elle de penser le lien social ? Freud a posé la question du lien social en terme de processus inconscients liés à un objet extérieur idéalisé. Lacan, tout en reprenant ces éléments, va transformer leur trajet, en faisant intervenir la notion de discours 1. Pour Lacan, le discours, c’est le lien social.
« En fin de compte, il n’y a que ça, le lien social. Je le désigne du terme de discours parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de le désigner dés qu’on s’est aperçu que le lien social ne s’instaure que de s’ancrer dans la façon dont le langage se situe et s’imprime, se situe sur ce qui grouille, à savoir l’être parlant. » 2
(78)C’est principalement dans L’Envers de la Psychanalyse 3 que Lacan utilise le terme de discours : « C’est le discours qui fait lien social » et « le propre d’un discours c’est d’être sans paroles ». Comment comprendre ces assertions ?
Je propose de reprendre ici rapidement le schéma des quatre discours décrit par Lacan. Avec ce schéma, nous sommes dans une structure pure. Il faudra ensuite l’interpréter et voir en quoi elle peut nous aider à éclaircir la question du lien social. Pour cela, j’utiliserai les discours en les faisant parler un peu à coté du champ où Lacan les a introduits. Je montrerai enfin que sous la structure d’un discours, des choses différentes peuvent s’énoncer. Un discours est un jeu de places, on y associe toujours des contenus au point de confondre discours et contenus de discours.
Pour rendre compte de cette observation des discours, c’est la divination qui s’est imposée comme terrain privilégié de mon investigation. Les discours s’y manifestent, peutêtre à l’état pur, parce que moins contrôlés par une cohérence sociale imposée a priori.
Qu’est-ce qu’un discours ?
Le terme de discours réfère habituellement aux travaux séculaires de la vieille rhétorique classique où l’on n’ignorait pas que dire c’est faire, agir et prescrire des places, aux analyses de Benveniste, Lyotard, Barthes et surtout Foucault lequel inclut dans ce terme les dispositifs techniques et matériels qui appareillent un discours.
Lacan, lui, nous plonge en plein paradoxe : un discours, s’il présuppose bien sûr la constitution du langage et s’il se manifeste dans la parole adressée, n’est en lui-même ni langage, ni parole. Pour Lacan, ce qui fait que les êtres humains tiennent ensemble, cela a rapport au discours. Le discours est une structure qui dans le langage se fixe, se cristallise, use des (79)ressources du langage pour que le lien social entre les êtres humains fonctionnent.
Nous savons que le langage nous constitue. Nous sommes des êtres de langage. Mais le langage n’est pas seulement interne, il est aussi parole que nous adressons à nous-mêmes et aux autres. Il fait partie de la texture du lien social. Il est nomination, répartition
de places, distribution de positions et donc, on peut dire, constitution d’un lien social. C’est dans cette parole que nous prenons position ou plutôt que nous fixons notre position. Ce n’est pas à entendre au sens sociologique ou psychologique de prendre un parti. Nous nous trouvons être dans un discours.
Un discours, d’après Lacan, est une structure de langage définie par quatre places : l’agent, l’autre, la production, la vérité, et par quatre lettres : $, S1, S2 et a. En faisant jouer une certaine combinatoire des lettres par rapport aux places selon un procédé connu dans la théorie des ensembles sous le nom de « permutation circulaire », il obtient les quatre discours du maître, de l’universitaire, de l’hystérique et de l’analyste.
Que représentent ces discours ?
« Les discours dont il s’agit ne sont rien d’autre que l’articulation signifiante, l’appareil, dont la seule présence, le statut existant, domine et gouverne tout ce qui peut à l’occasion surgir de paroles. Ce sont des discours sans la parole, laquelle vient s’y loger ensuite. (…) Certains repérages du discours (…) seraient peut-être de nature à ce que, de temps en temps, on ne la prenne pas sans…

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Septembre 1997

1. Je ne reprendrai pas ici l’explicitation de ce trajet mais on peut le trouver dans :
E. VOLCKRICK, Discours, Lien social et Divination. Etude de l’impact du discours sur le lien social,
thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve, octobre 1996, pp. 1-75.
2. J. LACAN, Le Séminaire Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 51.
3. J. LACAN, Le Séminaire Livre XVII, L’Envers de la Psychanalyse, Paris, Seuil, 1991.