Le légendaire metteur en scène britannique Peter Brook, concepteur de « l’espace vide » au théâtre, est mort à 97 ans

Peter Brook, né le 21 mars 1925 à Chiswick à Londres, et mort le 2 juillet 2022 à Paris, est un metteur en s cène, acteur, réalisateur et écrivain britannique.
Artiste novateur dans ses interprétations des pièces du grand répertoire international, et plus particulièrement des classiques de Shakespeare, il est le théoricien de « l’espace vide ». Depuis le milieu des années 1970, sa compagnie est en résidence à Paris au Théâtre des Bouffes du Nord.

Peter Brook est le fils de deux juifs lituaniens immigrés en Angleterre. Il fait ses études à la Westminster School, la Gresham’s School et le Magdalen College où il étudie la littérature comparée. En parallèle à ses études, il écrit des scripts pour la télévision. C’est dans ce cadre qu’il réalise une adaptation cinématographique d’un roman de Laurence Sterne, A Sentimental Journey.

À l’âge de 5 ans, il met en scène en marionnettes Hamlet. Il commence sa carrière théâtrale en 1942 par une adaptation de The Tragical History of Docteur Faustus de Christopher Marlowe. Il monte à la fois des classiques (dont Shakespeare) et des pièces d’auteurs contemporains comme Jean Anouilh, Jean-Paul Sartre, Jean Genet, André Roussin et des auteurs d’avant-garde tel Peter Weiss. Il veut rapprocher le cinéma et le théâtre. Peter Brook s’inscrit, comme Giorgio Strehler ou Jean Vilar, dans le nouveau courant du théâtre, influencé par Brecht ou l’héritage de Jacques Copeau et Edward Gordon Craig. Il va travailler dans cet esprit sur des pièces de Shakespeare comme La Tempête et Hamlet. Mais il souhaite avant tout mettre en avant les œuvres moins connues de Shakespeare.

À partir de 1948, il travaille au Covent Garden où il cherche des innovations en montant des opéras, par exemple Salomé (1949) de Richard Strauss. Ces expériences lui feront porter sa réflexion sur ce qu’il nomme « le théâtre mort » ou « théâtre bourgeois » (« deadly theater »), qui a perdu tout son sens, et dont il cherchera à se démarquer. Il met en scène en 1953 pour la télévision américaine Le Roi Lear avec Orson Welles dans le rôle-titre. En 1959, il réalise une adaptation cinématographique d’un roman de Marguerite Duras, Moderato Cantabile, avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo.

En 1962, il crée à Londres Le Roi Lear, avec la Royal Shakespeare Company, et décide alors de renoncer au décor pour œuvrer dans ce qu’il appellera « l’espace vide », lequel doit développer l’imagination du spectateur. Peter Brook travaillera plusieurs fois avec la Royal Shakespeare Company entre 1945 et 1979. Il poussera plus loin l’expérience en s’inspirant du « théâtre de la cruauté » d’Antonin Artaud, qui est en prise directe avec le public. Il fait montre d’engagement politique en montant Marat-Sade de Peter Weiss, et US en 1966, une pièce traitant de la guerre du Viêt Nam qui repose entièrement sur le travail d’improvisation de sa troupe. À partir de ce moment il se démarque définitivement du théâtre traditionnel.

En 1968, il est invité par Jean-Louis Barrault à Paris pour participer à un atelier théâtral d’échange culturel. À partir de cela il fonde, en 1971, le Centre international de recherche théâtrale (CIRT) où il va travailler avec des acteurs de différents pays et différentes cultures. Brook, qui effectue essentiellement un travail de recherche sur le théâtre, va emmener sa troupe en tournée à travers le monde à la rencontre de nouvelles cultures. Invitée en Iran par le régime du Shah, la troupe donne un premier spectacle, Orghast, en 1971. Au cours d’un voyage de trois mois et demi dans des villages d’Afrique, Peter Brook et sa compagnie découvrent de nouvelles formes de théâtre ; entre 1973 et 1974, ils travaillent aux États-Unis et rencontrent des Indiens.

Brook s’installe à Paris en 1970. En 1971, lui et la productrice Micheline Rozan découvrent dans Paris, un théâtre à l’italienne sur le point d’être démoli : le Théâtre des Bouffes du Nord. Ayant le coup de foudre, Peter Brook s’y installe avec le CIRT. En 1974, le théâtre est rouvert avec la représentation de Timon d’Athènes de Shakespeare, qui attire un public nombreux. Laissant la salle telle qu’il l’a découverte, dans son dépouillement, il fait ajouter une imposante avant-scène semi-circulaire au même niveau que les gradins sur lesquels prend place le public du parterre, pour créer un rapport de proximité entre acteurs et spectateurs. Cette salle de 500 places devient un lieu important de la création théâtrale européenne.

Avec l’aide de Jean-Claude Carrière pour le texte, il adapte et met en scène 3 versions de La Tragédie de Carmen sur une musique de Marius Constant, adaptée de l’opéra de Georges Bizet (première, le 9 novembre 1981 au théâtre des Bouffes du Nord). En 1985, création de Mahâbhârata, une épopée mythologique hindoue ; ce sera l’un de ses spectacles les plus impressionnants et les plus accomplis. Brook mettra une dizaine d’années pour réaliser complètement ce projet, qui est représenté pour la première fois au festival d’Avignon de 1985, dans la carrière Boulbon1, sur une durée de près de neuf heures. La troupe ira régulièrement en Inde afin d’y étudier la culture. Cette création semble être la synthèse du travail qu’a accompli Brook depuis des années. En 1989, il en réalise une adaptation filmique.

Brook est un artiste complet. Que ce soit dans le domaine de l’opéra, du théâtre, du cinéma ou encore de l’écriture, son travail est admiré.

Il a écrit L’Espace vide, un essai sur la mise en scène.

Peter Brook meurt à Paris le 2 juillet 2022 à l’âge de 97 ans.

Famille
Peter Brook a transmis sa passion à ses deux enfants, Simon Brook et Irina Brook.

Distinctions
Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique (CBE – 1965)
Membre de l’Académie des arts de Berlin3 (1970)
Commandeur de la Légion d’honneur (2013)4 (officier en 1995)
Membre de l’Ordre des compagnons d’honneur (CH – 1998)
Commandeur des Arts et des Lettres
Order of Sant’Iago da Espada, Portugal
Médaille de vermeil de la Ville de Paris

Théorie de « l’espace vide »
L’Espace vide est un écrit sur le théâtre de Peter Brook, qu’il base sur les différentes rencontres et expériences menées au cours de son travail. L’auteur dégage quatre types de théâtre : « Le théâtre rasoir » sclérosé ; « Le théâtre sacré » de l’invisible devenu visible ; « Le théâtre brut » ; enfin, « Le théâtre immédiat ». C’est dans cette dernière notion que Brook tente de synthétiser ce qui selon lui formerait le théâtre idéal. L’auteur y explicite aussi trois aspects du théâtre : le travail de mise en scène en étroite relation avec celui de la scénographie, celui des répétitions et du travail des acteurs et l’analyse qu’il fait de la réception d’un spectacle par un public dans un lieu précis.

« L’espace vide » est la conception de la scénographie de Peter Brook : c’est en quelque sorte un retour à la source, à un dispositif plus simplifié, épuré. Ce n’est qu’à partir de 1962, en créant Le Roi Lear qu’il décide de renoncer au décor pour travailler l’espace vide qu’il préconisera ultérieurement. Ainsi le spectacle repose essentiellement sur le comédien, les mouvements du corps réels et intuitifs de ce dernier.

« Le théâtre est un art autodestructeur. Il est écrit sur le sable. Le théâtre réunit chaque soir des gens différents et il leur parle à travers le comportement des acteurs. Une mise en scène est établie et doit être reproduite – mais du jour où elle est fixée, quelque chose d’invisible commence à mourir. »

— L’Espace vide

« Le théâtre immédiat » que revendique Peter Brook consiste pour les artistes à remettre en question chaque jour les découvertes des répétitions précédentes, comme si la pièce leur échappait. Brook désire aussi un théâtre très proche du public. Il s’est d’ailleurs beaucoup inspiré du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud, qui aspire à un contact direct avec le spectateur, faisant partie intégrante de la création artistique globale.

Citations sur le théâtre
« … Nous devons prouver qu’il n’y a aucune tricherie, qu’il n’y a rien de caché. Nous devons ouvrir nos mains nues et faire voir que nous n’avons rien dans nos manches. Alors, nous pourrons commencer. »

« On va au théâtre pour retrouver la vie mais s’il n’y a aucune différence entre la vie en dehors du théâtre et la vie à l’intérieur, alors le théâtre n’a aucun sens. Ce n’est pas la peine d’en faire. Mais si l’on accepte que la vie dans le théâtre est plus visible, plus lisible qu’à l’extérieur, on voit que c’est à la fois la même chose et un peu autrement. À partir de cela on peut donner diverses précisions. La première est que cette vie-là est plus lisible et plus intense parce qu’elle est plus concentrée. Le fait même de réduire l’espace, et de ramasser le temps, crée une concentration. »

Source : Wikipedia