« Le Journal d’une femme de chambre », version minimale

Par Selim Lander

Le roman d’Octave Mirbeau est l’un de ceux qui ont « fait époque » au double sens où ils ont marqué les contemporains et où ils sont un reflet si fidèle de leur temps (aussi fidèle que peut l’être un roman) qu’ils prennent aux yeux des générations futures valeur de témoignage. Ceci explique que Le Journal d’une femme de chambre ait fait l’objet de plusieurs adaptations successives. Au cinéma, Jeanne Moreau et plus récemment Léa Seydoux ont rencontré un grand succès dans le rôle titre.

Le cinéma est incontestablement avantagé par rapport au théâtre car il peut reconstituer l’environnement des personnages avec une précision quasi parfaite. C’est en particulier le cas avec le film de Benoît Jacquot (avec Léa Seydoux – voir la photo) qui nous transporte dans l’univers de la Belle Époque comme si nous y étions. Or les objets pèsent lourd dans cette histoire : cirer les bottes, faire les lits, plier le linge, astiquer l’argenterie, servir à table, c’est le quotidien d’une femme de chambre. Comment faire spectacle (et non littérature) de ce quotidien sans montrer tous ces objets ?  

C’est possible, évidemment. On peut faire en effet des spectacles merveilleux sur n’importe quel sujet dans un décor entièrement dépouillé et sans le moindre accessoire. Encore faut-il alors compenser ces manques par une intensité telle dans le jeu des comédiens qu’ils nous font oublier que tout ce qu’ils nous racontent n’est qu’illusion… On peut aussi jouer sur la distanciation, certes ! … Certes, mais c’est encore plus risqué !

On attend donc les comédiens, le metteur en scène et le dramaturge au tournant. Il est difficile de dire laquelle de ces trois parties pèse le plus dans ce qu’il faut bien nommer l’échec de la tentative. Philippe Honoré, le dramaturge, a décidé de transposer l’action du roman de Mirbeau dans les années 1970. Pourquoi pas ? Mais pourquoi oui ? On se le demande. Par ailleurs, il a organisé le spectacle en courtes scénettes entrecoupées par des noirs. Compte tenu du caractère minimal du décor et des costumes, ces interruptions n’étaient sans doute pas indispensables. Le fait est qu’elles coupent le rythme de la pièce, ce qui relève maintenant de la responsabilité du metteur en scène. Celui-ci, Philippe Person, un habitué de la Martinique, endosse également tous les rôles masculins (qui se résument à trois, en fait, plus deux en voix off) tandis que sa partenaire, Florence Le Corre, interprète Célestine, la femme de chambre, plus deux ou trois autres personnages. À noter que le morceau le plus bouleversant du roman, l’idylle entre Célestine et un jeune malade dont elle a la garde, est traité sous la forme d’un film en noir et blanc, accompagné du récit en voix off, montrant un personnage emmitouflé au bord d’un lac.

Les comédiens sont expérimentés. Ils ne commettent pas de faute… mais ils n’investissent jamais suffisamment leur rôle pour nous faire vibrer. La passion fiévreuse de Célestine pour Joseph, le cocher de la maison, le machiavélisme de ce dernier sont bien représentés sur la scène mais pas au point de nous inquiéter. Nous les considérons de loin sans qu’ils parviennent à nous émouvoir vraiment.

Ce qui n’empêche pas que la pièce puisse présenter un certain intérêt, au moins celui de la découverte, pour les spectateurs qui n’ont encore jamais rencontré, sous une forme ou sous une autre, l’œuvre de Mirbeau.

En tournée au Théâtre municipal de Fort-de-France du 18 au 19 mars 2017.