Le Front national : à l’origine ou réceptacle du racisme martiniquais ?

— Par Yves-Léopold Monthieux —
Observant les récentes positions du comité « Marine déwo », je posais dernièrement la question de savoir ce qu’avaient prévu les partis politiques et leurs dirigeants dans l’hypothèse de la victoire de Marine Le Pen à l’élection présidentielle. Et ce qu’ils comptaient entreprendre pour combattre la candidate du Front national. Mais personne n’attend vraiment de réponse à ce genre d’interrogations, ce qui atteste du manque d’intérêt pour un sujet qui ne compte pas pour la réélection des élus.
On peut aisément imaginer qu’une fois passée l’élection présidentielle, qui mesure tous les cinq ans le niveau de progression du lepénisme en Martinique, en donnant lieu à des surprises bien plus affichées que sincères, les autruches officielles continueront de mettre la tête dans le sable. Puisque l’identitaire martiniquais s’est substituée avec son sac de nœuds idéologiques à la plupart des mots d’ordre traditionnels, ils resteront vigilants à relever les outrances verbales venant d’ailleurs et à faire la leçon aux autres. Mais le phénomène domestique ressurgira toujours et, si l’on ne prend garde, éclatera au visage des politiques et des martiniquais, en général.
Seuls les élus coincés par le succès de Marine Le Pen, ce samedi, dans leurs communes sont contraints de susurrer devant les caméras que c’est la « faute aux étrangers ». La maire autonomiste de Basse-Pointe s’est montrée moins réticente dans cet exercice que son collègue indépendantiste du Prêcheur, plus roué, qui s’est contenté d’un bref « effectivement, il y a beaucoup d’Haïtiens dans notre commune ». Ces positions sont celles de militants de gauche et d’extrême-gauche qui, à leur façon, disent comprendre le comportement des électeurs qui votent pour le Front national. Elles ne suscitent aucune réaction de la part des partis prompts à faire la leçon aux hommes politiques nationaux de droite. On s’attendrait, par exemple, à ce que le président du PPM réagisse à la déclaration de l’élue de la commune de naissance de Césaire, celle-ci ayant envisagé de ne pas donner de consignes de vote dans 15 jours.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que, dans les campagnes et les quartiers, dans la rue ou sur les lieux de travail, se manifeste à l’égard des étrangers des Caraïbes une hostilité que je refuse d’affubler du vocable « xénophobie ». Lequel est trop souvent utilisé pour éviter le mot racisme qu’on réserve aux autres mais qui me paraît parfaitement approprié pour décrire le comportement de certains martiniquais, voire certaines institutions. Cette hostilité est activement masquée par des engagements d’hommes politiques soucieux d’images respectables et d’intellectuels porteurs de bien-pensance et d’utopie.
C’est une réalité, il n’y a pas égalité entre le racisme, généralement dominateur, du Blanc à l’égard du Noir et le racisme souvent réactif du Noir à l’égard du Blanc. Cependant, tant qu’on n’aura pas trouvé de vocables différents pour les distinguer c’est le mot « racisme » qui les recouvre bien plus que « xénophobie ». Reste qu’on se retrouve dans un vrai racisme de supériorité – comme celui du Blanc à l’égard du Noir – lorsque celui-ci s’exerce par le martiniquais envers ses voisins de la caraïbe, supériorité qu’il croit détenir de sa qualité de français. C’est alors qu’on s’aperçoit que la solidarité de couleur de peau, qui se transforme souvent en une manière de racisme vertueux – si l’on peut dire – marque le pas face à la solidarité de situation, celle de l’appartenance à la société française. D’autant plus que les hommes politiques et les intellectuels laissent se développer un racisme quasi-officiel au sein de certaines institutions, dans le sport, notamment.
L’une des ligues sportives est fermée aux étrangers venant d’Europe et chichement ouverte aux caribéens. Aussi a-t-il été refusé aux joueurs haïtiens se produisant dans un championnat martiniquais de participer à la sélection de ligue, de même qu’il n’a pas été possible de désigner un technicien métropolitain considéré comme le meilleur du moment, malgré les carences locales évidentes, à la direction de la sélection martiniquaise du sport considéré. Non, le racisme ne se limite pas à celui des autres, le racisme martiniquais c’est aussi du racisme. Oui, le racisme anticaribéen se développe en Martinique et ce n’est pas en organisant des réactions primaires qui interdisent une vraie pensée, comme celles de « Marine Déwo », qu’on arrêtera la progression de ce racisme.
On attendait des Haïtiens et des Ste Luciens venant ici qu’ils se livrent à des activités peu valorisantes desquelles le standing français des Martiniquais les ont éloignés. Et voilà que ces hôtes se mettent à ressembler aux Martiniquais, à vouloir assurer une vraie fonction dans la société martiniquaise et à bénéficier des mêmes prérogatives sociales qu’eux, bref, d’avoir des comportements citoyens. Hélas, pour un nombre grandissant d’afro-européo-descendants, c’est insupportable. Et ce n’est pas en érigeant un mur à l’aéroport contre la venue de Marine Le Pen qu’on mettra fin à cette situation qui évolue dangereusement.
Le politologue Jean-Claude William a justement déploré que les méthodes utilisées pour combattre le Front national soient les mêmes que celles qui avaient été utilisées contre Jean-Marie Le Pen, il y a 30 ans. En effet, les militants anti-Le Pen espèrent faire subir à la fille le sort qu’avait éprouvé le père à l’aéroport du Lamentin. En se limitant à coiffer celle-ci du bonnet paternel, ils n’ont pas su, pour convaincre les martiniquais, arguer ni de justifications ni de faits racistes récents et significatifs qui lui seraient imputables. Adeptes des clichés, les politiciens se contentent d’utiliser le mot « raciste » comme un épouvantail qui leur permet de s’exonérer d’une vraie réflexion sur la politique du Front national. Ils ne s’aperçoivent pas que le refus de l’immigration reproché à la candidate s’est répandu en Martinique, sans attendre le Front national, et bien au-delà de l’expression des urnes. En réalité ce n’est pas le Front national qui transforme certains martiniquais en racistes, c’est leur racisme non contenu qui fait d’eux des électeurs du Front national.
Fort-de-France, le25 avril 2017
Yves-Léopold Monthieux