Le dilemne : rouvrir les écoles, ou pas ?

En Martinique, des établissements scolaires fermés depuis cinq mois

— Marie Piquemal, dans le journal « Libération » du 4 juin 2020 — 

Une grande partie des écoles, collèges et lycées sont fermés depuis décembre, d’abord en raison du mouvement de grève contre la réforme des retraites. Puis de la crise sanitaire. Aujourd’hui, seules 15 écoles ont rouvert (1).

Tout en parlant, elle feuillette son cahier d’appel. « La dernière fois que j’ai vu mes élèves en classe… C’était le 15 janvier. Oui, c’est bien ça. Depuis bientôt cinq mois, mon collège est fermé et toujours pas de date de reprise ! ». Florence Lapierre, professeur d’EPS à Sainte-Marie en Martinique, est passée par tous les stades : la patience, l’incompréhension, la colère, la résignation. « À présent, je suis blasée. Comme tout le monde. Comment ne pas l’être ? ». Partout sur le territoire, l’année scolaire a été particulière, hachée comme jamais, avec le mouvement de grève contre les retraites, une grève très suivie dans le domaine de l’éducation, puis cette crise sanitaire et la fermeture inédite des écoles. Mais en Martinique, encore plus qu’ailleurs, la situation interpelle. « Une grande majorité des écoles, collèges et lycées sont fermés depuis le mois de décembre », reconnaît le Rectorat.

« Il y a une inertie »

Comme Libé l’avait raconté, la crise sociale avait pris sur l’île une tournure inédite : chaque nuit des manifestants bloquaient les accès des établissements avec cadenas et palettes. De sorte que même les non grévistes ne pouvaient faire cours. La situation s’apprêtait à rentrer à la normale quand le confinement a été décrété. « On aurait pu penser que les autorités allaient réagir encore plus vite à la fin du confinement. Mettre le turbo pour rouvrir les établissements dès que possible », poursuit l’enseignante. On l’entend soupirer au téléphone : « Eh bien non. Pas du tout. Il y a une inertie… On dirait que tout est fait pour qu’on ne reprenne pas ! ». À ce jour, seules quinze (1) écoles maternelles et élémentaires sur les 344 établissements de l’île ont rouvert leurs portes, confirme le rectorat de Martinique. Tous les collèges et lycées restent fermés. « La collectivité territoriale de Martinique a indiqué le 29 mai qu’une reprise progressive de l’activité pourrait être envisagée à compter du lundi 8 juin », précise, avec des pincettes, le Rectorat dans un communiqué.

Florence Lapierre n’y croit plus. « Sept minutes après l’intervention du ministre de l’Éducation qui indiquait que 100% des écoles rouvraient, la mairie de Trinité postait un message sur Facebook appelant (les parents) à venir chercher les affaires de leurs enfants en classe car les écoles resteraient fermées jusqu’en septembre ! ». Lucie (2), mère d’un enfant en grande section de maternelle, a reçu un message du même type, invitation à venir vider les tiroirs. « On vient de créer un groupe Facebook avec des parents pour essayer de faire quelque chose. Qu’on en parle, au moins. C’est surtout cette passivité qui est insupportable, cette impression que rien n’est fait pour rouvrir les écoles. Une partie des parents ont peur du virus, c’est vrai. Mais d’autres n’attendent qu’une chose, la réouverture. Pour les enfants, et puis, nous, parents pour travailler ».

Une rancœur qui enfle

En une paire de jours, une centaine de parents a déjà rejoint le groupe. À mots prudents, ils parlent de cette rancœur qui enfle, quand on essaie de jongler entre le travail et la garde des enfants à la maison. Et qu’à côté, « les écoles fermées restent fermées, avec des personnels qui ne font rien pour que ça reprenne ». Elle ajoute : « Si le problème c’est le manque de savon dans les sanitaires, les parents sont prêts à en fournir ! ». Elle raconte ces messages d’amis désespérés, leurs inquiétudes partagées pour ces enfants qui perdent la motivation de travailler à distance, ou n’en ont pas les moyens. Avec une crainte : « Qu’on perde encore du temps en septembre car rien n’aura été fait dans les établissements d’ici là pour s’organiser ».

(1) Après la publication de l’article, le Rectorat précise qu’aux 6 écoles rouvertes jusqu’ici, viennent s’en ajouter 9 autres à compter de ce jeudi.
(2) Le prénom a été modifié.

Un exemple de réouverture progressive raisonnée

— Par France Antilles, le vendredi 5 juin —

Les écoles et la crèche de la ville de Saint-Pierre accueillent désormais des enfants. La municipalité a travaillé de concert avec les équipes pédagogiques et le personnel encadrant, pour organiser cette réouverture dans le respect du protocole sanitaire en vigueur.

À l’école primaire Philémond-Montout : 

La directrice Corine Nardy et son équipe ont accueilli 16 enfants le 25 mai, puis 20 ce mardi 2 juin, sur un effectif de 152 élèves. La confiance retrouvée, les familles volontaires ont pris contact avec la directrice pour connaître les conditions de prise en charge de leurs enfants.

« Nous avons effectivement ouvert avec 16 élèves et j’espère que d’autres viendront, sachant que l’école fonctionnera jusqu’au vendredi 3 juillet », indique la directrice. « L’école est ouverte de 8 heures à 13 heures le lundi, mardi, jeudi et vendredi. Avec une arrivée échelonnée le matin, à 8 heures les CE1, puis les CM1 à 8 h 15, et les CM2 à 8 h 30. Le départ se fait aussi de manière échelonnée, 11 heures pour ceux qui ne mangent pas à la cantine et 13 h 30 pour les autres. La capacité de la cantine est de 40 enfants en tenant compte des mesures de distanciation physique. Les parents sont informés de l’organisation de l’école, et pour les autres enfants, il y a un suivi par Internet organisé par les enseignants ».

Pendant la récréation, les enfants se sont adaptés aux nouvelles dispositions, et le personnel veille à l’observance des gestes barrières, régulièrement repris par l’infirmière de l’Éducation nationale, en début de matinée. Par exemple, les enfants suivent un parcours fléché pour éviter les croisements ; le lavage régulier des mains est bien évidemment de rigueur. 

La Crèche restera ouverte jusqu’au 31 juillet.

La crèche reçoit à ce jour 3 enfants sur une capacité de 8 enfants chez les grands et les moyens, et 5 chez les bébés. Le maire Christian Rapha rappelle : « Dans les conditions de la loi actuelle d’urgence sanitaire, nous avons ouvert dans un format maîtrisé et nous sommes vraiment en dessous de notre capacité. Maintenant que tout est encadré, on peut accueillir des enfants jusqu’à la capacité maximale décidée ». La directrice de la crèche, Véronique Vélaye, précise : « Les protocoles mis en place sont affichés et à la disposition des parents, le personnel est formé. J’ai expliqué à chaque parent les nouvelles dispositions de la crèche, et ils ont été aussi informés de la date et des conditions d’ouverture. La crèche sera ouverte jusqu’au 31 juillet ».

Il appartient aux parents d’entrer en contact avec les différents responsables des écoles et la crèche pour la reprise des cours.

L’Union des parents d’élèves de Martinique s’inquiète du confinement éducatif

L’Upem a déclaré, après une réunion le 3 juin tenue avec les syndicats : « Nous demandons, dans un respect mutuel, que tous les partenaires prennent la mesure de la situation, et que nous fassions preuve de responsabilité pour redonner confiance aux parents et notamment aux élèves, le futur de notre pays Martinique. Il demeure que l’intérêt collectif doit toujours être au-dessus de l’intérêt particulier, afin de donner à l’éducation la place qu’elle mérite, et d’en faire une véritable priorité ».

Fort-de-France, le 7 juin 2020