Le dernier film du cinéaste iranien emprisonné Jafar Panahi à l’affiche en Martinique

Le film Aucun ours (No Bears), de Jafar Panahi, prendra l’affiche vendredi [en Martinique] alors que le cinéaste iranien est emprisonné dans son pays natal depuis le mois de juillet 2022. En réalisant cette œuvre, il a défié une cinquième fois une interdiction, imposée par le gouvernement, de faire des films pour une période de 20 ans.

Au mois de juillet, Jafar Panahi s’est rendu dans le bureau du procureur de Téhéran pour se renseigner sur le dossier de Mohammad Rasoulof, un autre cinéaste iranien arrêté pour troubles à l’ordre public. Les autorités en ont profité pour l’arrêter et l’emprisonner lui aussi, en se basant sur une condamnation datant de 2010.

Condamné pour propagande contre le régime, il avait écopé à l’époque d’une peine de 6 ans de prison assortie d’une interdiction de réaliser ou d’écrire des films, de voyager ou de s’exprimer dans les médias pour une période de 20 ans. Il continuait cependant à travailler et à vivre en Iran alors qu’il était en liberté conditionnelle.

Les œuvres de Jafar Panahi sont des exemples manifestes de résistance artistique et reflètent clandestinement les mécaniques de la société iranienne. Dans Aucun ours, le réalisateur joue son propre rôle dans un film qu’il a tourné dans une ville rurale d’Iran à la frontière avec la Turquie….

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Jafar Panahi (en persan : جعفر پناهي), en translittération française : Djafar Panahi, né le 11 juillet 1960 à Téhéran, est un réalisateur iranien parmi les plus influents du mouvement de la Nouvelle Vague iranienne.

Il a notamment obtenu le Lion d’or à Venise en 2000 pour Le Cercle, l’Ours d’or à Berlin en 2015 pour Taxi Téhéran et le Prix du scénario à Cannes en 2018 pour Trois Visages.

Condamné en 2010 par la justice iranienne à 6 ans de prison ferme pour propagande contre le régime, il est placé en liberté conditionnelle jusqu’à son arrestation au parquet de Téhéran le 11 juillet 2022 à l’âge de 62 ans.

Biographie
Fils d’un peintre en bâtiment2, Jafar Panahi grandit dans les quartiers déshérités de Téhéran.

Après avoir étudié la réalisation de films à l’université de cinéma et de télévision à Téhéran, Panahi fait plusieurs films pour la télévision iranienne et devient l’assistant réalisateur d’Abbas Kiarostami sur Au travers des oliviers. Son premier long métrage de cinéma, Le Ballon blanc, est récompensé par la Caméra d’or au festival de Cannes 1995.

En 2001, il fait partie du jury du 36e festival international du film de Karlovy Vary.

Ses deux films à charge sur les inégalités et l’absence de liberté dans la société iranienne — Le Cercle (Dayereh, Lion d’or à Venise en 2000) et Sang et Or (Talāye sorkh, prix du jury Un certain regard en 2003) — ont été interdits par le gouvernement de la République islamique d’Iran à cause de leurs sujets. Ainsi, Le Cercle traite de la condition des femmes en Iran et, en particulier, de la prostitution, et Sang et Or raconte l’histoire d’un vétéran de la guerre avec l’Irak confronté à l’injustice sociale.

En 2003, il fait partie du jury du 44e festival de Thessalonique.

Le régime interdit également la sortie en salles de Hors jeu (Offside) — Ours d’argent à Berlin en 2006 — qui dénonce la place réservée aux femmes dans son pays. Le film traite de la fronde des Iraniennes, fans de football, assistant clandestinement aux matches, en contournant l’interdiction qui leur est faite, depuis la révolution islamique de 1979, d’entrer dans les stades lors des matchs opposant des équipes masculines. Cependant, le film connaît le succès en Iran grâce aux copies DVD diffusées, en partie clandestinement, dans tout le pays.

Alors que les œuvres de Panahi sont systématiquement primées dans les grands festivals internationaux, elles sont aujourd’hui interdites dans son propre pays, même si elles sont distribuées sous forme de DVD, vendus au marché noir. Il inspire toute une nouvelle génération de cinéastes iraniens. Tournant ses films en secret, il invente la technique de la double équipe de tournage. La première est un leurre qui prend en cas de danger la place de la deuxième (la vraie) qui tourne en secret.

En juin 2009, il participe dans la rue à de nombreuses manifestations à la suite de la victoire controversée de Mahmoud Ahmadinejad aux élections présidentielles. Fin juillet, il est arrêté quelques jours pour avoir assisté à une cérémonie organisée à la mémoire d’une jeune manifestante tuée, Neda Agha-Soltan. Libéré, il arbore au festival de Montréal une écharpe verte, couleur de l’opposition, alors qu’il est président du jury.

En février 2010, le pouvoir islamique lui interdit de se rendre à la Berlinale 2010 alors qu’il en est l’invité d’honneur.

Arrêté le 1er mars 2010 avec sa femme, sa fille et 15 autres personnes (ces dernières relâchées quarante-huit heures après), il est retenu dans la prison d’Evin par les autorités iraniennes pendant le festival de Cannes 2010 alors qu’il y est invité à faire partie du jury officiel3. Le 18 mai 2010, lors du festival, une journaliste iranienne révèle que le cinéaste a entamé une grève de la faim pour protester contre les mauvais traitements qu’il subit en prison4. Il est libéré sous caution le 25 mai 20105.

Lors de la Mostra de Venise 2010, son film L’Accordéon est sélectionné. Mais il ne pourra venir le défendre.

En décembre 2010, il est condamné à six ans de prison et il lui est interdit de réaliser des films ou de quitter le pays pendant vingt ans. « Jafar Panahi a été condamné à six ans de prison pour participation à des rassemblements et pour propagande contre le régime », explique son avocate Farideh Gheirat dont les propos sont relayés par l’agence de presse Isna.

En février 2011, il est tout de même membre du jury à titre honorifique, à la Berlinale 2011.

En octobre 2011, la condamnation est confirmée en appel.

Malgré cette interdiction de travailler, Panahi coréalise avec Mojtaba Mirtahmasb Ceci n’est pas un film qui décrit sa situation. Tourné avec une caméra numérique et parfois avec un iPhone, Panahi décrit la situation d’un cinéaste qui n’a pas le droit de faire du cinéma. Ce film arrive au festival de Cannes 2011 et y est présenté hors compétition. Depuis, il fait le tour des festivals de cinéma internationaux.

En 2012, avec Nasrin Sotoudeh, il remporte le prix Sakharov, remis par le Parlement européen. Sous le coup de l’interdiction de quitter le pays, Panahi se fait représenter par sa fille Parmiz Panahi, qui vient recevoir le prix aux côtés de Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix 2003, qui représente Nasrin Sotoudeh.

Panahi coréalise avec Kambuzia Partovi dans le plus grand secret Pardé. Sélectionné à la Berlinale 2013 le film reçoit l’Ours d’argent du meilleur scénario.

Le cinéaste se voit ensuite décerner l’Ours d’or pour Taxi Téhéran au festival de Berlin 2015, film également tourné clandestinement avec une petite caméra. Panahi s’y met en scène comme chauffeur de taxi accueillant dans son véhicule des personnalités ou des anonymes de Téhéran dont il dépeint le quotidien, repoussant la frontière entre fiction et documentaire . Sa jeune nièce est venue à Berlin accepter la récompense en son nom.

En octobre 2016, le Centre Pompidou présente une intégrale de ses films et une exposition de ses photos. À cette occasion paraît le livre Jafar Panahi : images/nuages de Clément Chéroux et Jean-Michel Frodon.

En 2018, son film Trois visages, en compétition officielle au festival de Cannes reçoit, ex-æquo avec Alice Rohrwacher, le prix du scénario.

Jafar Panahi est à nouveau arrêté le 11 juillet 2022 et emmené au centre de détention d’Evin pour y purger une peine de 6 ans de prison. Son arrestation fait suite à une demande d’informations sur l’arrestation de Mohammad Rasoulof et Mostafa al-Ahmad après la publication d’une tribune critiquant l’attitude des forces de l’ordre lors d’une manifestation. Le Festival de Cannes demande la libération immédiate des cinéastes Mohammad Rasoulof, Mostafa Aleahmad et Jafar Panah et condamne la vague de répression en cours en Iran contre ses artistes.

Prises de position
À suite de l’obtention de l’Ours d’or du meilleur film au festival de Berlin 2015 pour Taxi Téhéran, Jafar Panahi déclare à un média iranien : « Je suis vraiment heureux pour le cinéma iranien et pour moi, mais ce prix n’a pas de valeur tant que mes compatriotes ne peuvent pas voir mes films », rapporte l’Agence de presse de la République islamique (IRNA).

« Les gens au pouvoir nous accusent de faire des films pour les festivals étrangers. Ils se cachent derrière des murs politiques et ne disent pas que nos films ne sont jamais autorisés à être diffusés dans les cinémas iraniens. »

Filmographie
Longs métrages
1995 : Le Ballon blanc (بادکنک سفید, Bādkonake Sefid)
1997 : Le Miroir (آینه, Ayneh)
2000 : Le Cercle (دایره, Dayereh)
2003 : Sang et Or (طلای سرخ, Talāye sorkh)
2006 : Hors Jeu (آفساید, Afsaid)
2011 : Ceci n’est pas un film (این فیلم نیست, In film nist)
2013 : Pardé (پرده, Pardeh)
2015 : Taxi Téhéran (تاکسی, Taxi)
2018 : Trois Visages (Se rokh)
2022 : Aucun ours (Jaddeh Khaki)

Sources :  Radio-Canada & Wikipedia