Le « complotisme », une régression de la pensée 

— Par Philippe Pierre-Charles & Max Rustal —

On sait le bien, l’histoire humaine est évidemment jalonnée de multitudes de complots. Par définition, assassinats de dirigeant-e-s révolutionnaires ou de tyrans, massacres terroristes ou autres, sont les fruits de machinations savamment élaborées. Nul doute que de tels actes peuvent jouer un rôle décisif :11 septembre, Charlie-Hebdo, Bataclan, Guerre du golfe, assassinat de Kadhafi etc. en sont des illustrations aussi spectaculaires que chargées de conséquences. Il ne fait guère de doute que, couronnées de succès — si l’on peut dire —, ces véritables conspirations sont aptes à conforter l’idée qu’il existe des puissances plus ou moins cachées, pilotant irrésistiblement le destin des peuples et de l’humanité. 

Pourtant, il a fallu beaucoup de temps, de polémiques et d’expériences vécues, de sacrifices de combattants pour faire comprendre aux populistes russes de la fin du 19ème siècle, que l’exécution de tsars ne supprimait pas le tsarisme. Les voix les plus autorisées s’élèvent encore pour dénoncer les exécutions aveugles et indistinctes de personnes accablées par le sort. Cela n’a pas empêché les adeptes de la conception policière de l’histoire de proclamer que la révolution russe était le fruit d’un « complot judéo-marxiste ». Aujourd’hui, leurs descendants jettent à toute occasion l’anathème sur la brumeuse mouvance islamo-gauchiste supposée prendre une revanche sur Charles Martel.

Or, Marx lui-même avait pris soin de commencer son texte le plus connu par une phrase qui n’a rien perdu de sa pertinence : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes. » 

À cet égard, il est navrant de voir combien de militantes et militants, parfois ayant fréquenté telle ou telle école du marxisme, remplacer la notion de lutte des classes comme moteur fondamental de l’histoire, par celle des complots obscurs comme explication systématique des mouvements des sociétés humaines ! Tantôt, les « Juifs », tantôt les « Francs-maçons », tantôt tel ou tel puissant personnage, sont présentés comme sournois et maléfiques protagonistes de la marche du monde.

Alimentées par de tragiques avatars, avérés et hyper-médiatisés, ces visions « complotistes » de l’histoire, fleurissant sur le terreau d’un recul de la pensée marxiste, conduisent hélas à l’impasse. Car si la grande majorité des scientifiques, des hauts fonctionnaires, des militantEs politiques et syndicaux ou associatifs ne sont que les jouets manipulés ou corrompus de quelques sectes, groupuscules ou grands capitalistes, alors la bataille est perdue d’avance. Les confrontations idéologiques, les débats doctrinaux, la pédagogie politique, deviendraient sans intérêt, et il n’y aurait plus de place que pour les vains anathèmes, les détestations impuissantes… et les complots contre les comploteurs.

Celles et ceux qui cèdent à ces facilités, donnant à leur colère légitime la forme bien pauvre de la stigmatisation vengeresse, méritée ou pas, de tel ou tel individu ou groupement, oublient que la pensée critique évolue elle aussi en fonction des avancées et des reculs de la lutte des classes opprimées. Ces dernières ayant tout intérêt à la lucidité sur les enjeux, les méthodes et les stratégies.

À bon entendeur, salut !

Fort-de-France le 25 janvier 2022

Philippe Pierre-Charles

Max Rustal