Le cinéma anticolonial de Sarah Maldoror

— Par Dominique Daeschler —

Bel hommage à cette pionnière du cinéma consacré en majeure partie à l’Afrique , conjuguant Marie Galante et le Gers dans sa filiation.

L’interrogation, la révolte, le regard sur d’autres cultures et modes de vie est au cœur de l’œuvre de Sarah Maldoror. Avec son pseudonyme évoquant le personnage tourmenté de Lautréamont, cette dernière entre de plein fouet dans l’esthétique surréaliste. A la Sorbonne c’est la rencontre avec Toto Bissainthe et Bassori qui sera à l’origine de la fondation de la compagnie des Griots où elle montera Les Nègres de Jean Genet dans la mise en scène de Roger Blin ( voir l’interview faite par Marguerite Duras). Toute son œuvre photographique s’attache à valoriser une identité noire en s’opposant au racisme, à la colonisation , à l’assimilation. Le quotidien des gens et particulièrement ls parcours de femmes sont ses sujets favoris.

Formée à l’école cinématographique de Moscou ( technique de l’œil ciné), elle produit Monazam beé (Algérie 69) puis Sambizanga( Congo 72). Ecorchée vive, méticuleuse au franc parler qui lui ferme des portes, elle est l’auteur de portraits de belles personnalités d’Outremer : Léon Gontran Damas, son ami Aimé Césaire (cinq films de 1997 à 2008) sans oublier Edouard Glissant qui apparaît dans Devoirs de mémoire .Elle n’aura pas le temps ( elle meurt en 2020) d’aborder Fanon, Degrés et …Taubira. Sa pensée archipélique, rhizomique s’impose dans un cercle d’artistes militants. Pour Sarah, réaliser un film c’est prendre position, éduquer dans tomber dans un didactisme politique. Contre toute forme de nationalisme et toute importance donnée à la couleur de peau, elle revient toujours au combat essentiel des exploiteurs et des exploités.

Epouse du poète angolais Mario Pinto de Andrade, acteur actif des indépendances africaines ( ministre de la Culture en Guinée Bissau de 76 à 80 puis conseiller du 1ER ministre du Cap Vert), elle est nourrie des contacts de ce dernier avec Mandela, Fanon, Cabral….A son inverse, elle ne se définit pas comme une intellectuelle mais à partir de ses prises de risque ( expulsion d’Algérie en 70, son film Des fusils pour Banta est confisqué). Influencée par Eisenstein, disruptive dans ses plans de coupe, on comprend bien combien sa rencontre avec Chris Marker va de soi.

Chez Maldoror, celle qui aimait à dire «  Je suis de là où je suis », les thèmes de la liberté , et l’injustice sont récurrents et tout en aimant la construction d’un récit il lui importe de montrer pour mieux transmettre.

La multitude des écrans permet une immersion en profondeur avec son œuvre. La volonté d’y associer des artistes contemporains dont les recherches concernent la place des femmes noires dans la culture européenne, l’invisibilité des diasporas, la traite… sont autant d’hommages à l’esprit de transmission de Sarah Maldoror et à l’urgence à dire.

Palais de Tokyo, jusqu’au 20 mars 2022

Dominique Daeschler